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Pour que l’enfance l’emporte sur le VIH

Comment commence un engagement ? Pour Patricia Velletri, c’est, nous dit-elle, « le hasard ». Alors étudiante en langues, elle accompagne des familles italiennes qui viennent en France pour faire soigner leurs enfants.

A l’hôpital, elle constate l’isolement de jeunes patients étrangers, seuls face à leurs souffrances, leur désarroi. Sans doute le déclic nait de là mais aussi d’un héritage, celui d’une famille engagée elle-même, cosmopolite et ouverte, avec un père italien et catholique, une mère d’origine hongroise et juive. « Le militantisme est de famille, je suis à la FCPE, mes parents étaient à la Cornec ». Elle cite le goût des débats dès l’âge de 10 ans, les manifestations lycéennes et puis l’attrait pour les idées que l’on défend tout au long de son parcours de vie.

Elle change de voie, choisit de devenir éducatrice pour enfants, travaille dans des foyers, poursuit en parallèle un troisième cycle de psychologie orienté vers les enfants et les adolescents. Elle exerce pendant cinq ans comme institutrice suppléante en maternelle. Et puis un jour, le hasard d’un recrutement la mène auprès de l’association « Sol en Si » où elle devient coordonatrice dans un centre d’accueil pour des familles touchées par le VIH, souvent des femmes migrantes, seules avec enfants. Quelques années plus tard, elle quitte « Sol en Si » mais son engagement perdure avec la naissance en 2000 de l’association Orphelins Sida International, sous l’égide de Myriam Mercy.

La première semaine de décembre nous rappelle comme un rituel que le VIH poursuit ses ravages, et parmi ses victimes on compte de nombreux enfants, eux-mêmes infectés, ou dont les parents sont malades voire décédés. « Continuer leur scolarité pour qu’ils n’aient pas leur vie sacrifiée » est un objectif fort de l’association. La prise en charge au quotidien des enfants est réalisée par des partenaires sur place, relais experts et confirmés dans les huit pays concernés : le Burundi, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Bénin, le Togo, l’Afrique du Sud, l’Inde, le Pérou et Haïti où des actions sont en préparation. En premier lieu, existe le parrainage individuel pour des orphelins recueillis par des tuteurs, par leur grand-mère, pour des adolescents aussi qui deviennent précocement chef de famille au décès de leurs parents.

Burkina, octobre 2014.

Burkina, octobre 2014.

« L’éducation est au cœur de nos préoccupations » souligne Patricia Velletri. Elle cite en exemple deux initiatives phares : la création d’un jardin d’enfants au Bénin et la mise en place de formations professionnelles qualifiantes. Au Bénin, les langues nationales sont désormais privilégiées dans l’enseignement, l’écrit passe encore par le français. Dans des classes à 60 ou 70 élèves, il s’avère difficile de passer des unes à l’autre. « Le jardin d’enfants est conçu comme une maternelle où les enfants acquièrent les pré-requis pour entrer en premier cycle. On s’est dit que même si c’était pour peu d’enfants, cela vaut le coup ».

Pour la formation professionnelle, l’accent est mis sur la parité et l’ouverture. Pour les 16 filles et garçons composant les groupes, à part égale, apprendre à devenir guide de tourisme solidaire ou à travailler dans le secteur du web amène à des découvertes proches ou lointaines, du patrimoine local ou des clés d’une communication universelle. Ce sont des jeunes en service civique qui animent les formations avec en retour une expérience riche d’apprentissages.

Patricia Velletri est chargée de ces jeunes engagés qui soulignent l’envie d’aller plus loin qu’ils rencontrent et qu’ils suscitent. Elle passe aussi beaucoup de temps à rechercher des familles pour parrainer et des fonds pour permettre aux initiatives de se déployer. L’association « Orphelins Sida International » est modeste par sa taille et par ses actions, un choix mais aussi un atout par ces temps de crise où les partenaires locaux apprécient un soutien constant et sans relâche.

Alors les liens se resserrent autour, par exemple, d’un programme de formation pour se professionnaliser ensemble. Depuis quatre ans se déploient aussi des actions courtes où des volontaires s’engagent sur des actions de soutien scolaire ou des missions techniques. Ils sont étudiants, jeunes retraités, salariés consacrant leurs congés à la solidarité. Certains sont déjà partis deux, voire trois fois. Cet élan est un véritable soutien. « On se bat tout le temps, toujours à la limite de joindre les deux bouts, à la recherche de mécènes de donateurs ». L’engagement est mangeur de temps, d’énergie. « Je ne sais plus ce qui me motive, sans doute l’envie de faire quelque chose, de savoir que l’on a déjà fait bouger plein de gamins. » Et pour illustrer qu’une goutte d’eau dans l’océan n’est jamais vaine, elle raconte cette jeune qu’elle parraine, qui a passé un diplôme de plombier et prépare son BEPC. Elle dit aussi tous ces liens qui tissent les responsabilités et temporisent les découragements.

Regarder les gouttes d’eau pleines de promesses, les signes infimes qui dénotent le changement, Patricia Velletri le fait également sur le monde proche qui l’entoure, celui de l’éducation. Présidente de la FCPE dans le collège de sa fille, représentante des parents d’élèves au conseil d’administration du lycée professionnel de son fils, elle constate les écarts entre les idées et les pratiques, les hoquets d’une école ou la hiérarchisation entre les voies scolaires sont prégnantes. « Je peux m’emballer très vite quand je parle de la notation et en règle générale de l’éducation mais je rencontre des enseignants extraordinaires ». Elle cite cette enseignante de français qui accorde son attention aux progrès réalisés, différenciant sa notation selon les difficultés que chacun a réussi à surmonter. « On marche sur des œufs car à la fois on ne doit pas s’attaquer à la pédagogie mais on sait que c’est à travers la pédagogie que l’on avancera » nous dit-elle. Elle s’étonne des a priori négatifs encore répandus sur l’enseignement professionnel alors qu’il se passe tant de choses positives.

Pour elle, les regards extérieurs sont nécessaires, tout est question de distance : s’impliquer sans franchir la limite de l’intrusion, infléchir les choses lorsqu’elles sont inacceptables comme lorsque par exemple des conseils de disciplines se répètent là où le dialogue, la prévention auraient limité l’exclusion, la déscolarisation. « Je crois beaucoup dans la co-éducation. Les enfants ont besoin de savoir qu’on travaille main dans la main ».

Et qu’il soit question de l’école ou de l’action envers les orphelins du Sida, on sent la même passion, la même intensité dans les propos de Patricia Velletri. La question du pourquoi s’engager devient secondaire comme si l’important n’était pas là. Agir tout simplement, à sa mesure, dans la certitude que l’inacceptable n’existe pas si nos consciences s’éveillent et guident nos pas, petits ou grands.

Monique Royer

www.orphelins-sida.org