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Pour construire l’abstraction

Les activités mentales des élèves lorsqu’ils accomplissent une recherche documentaire restent un peu mystérieuses. Pourtant, on peut raisonnablement penser qu’une meilleure connaissance dans ce domaine faciliterait la compréhension de leurs difficultés et permettrait de trouver des stratégies de conseil plus efficaces. On remarque des convergences dans la description des difficultés provoquées par le travail avec une documentation, difficultés qui ne sont pas le fait du hasard et ne peuvent être comprises que comme le signe d’obstacles inhérents à cette activité :

  • l’identification du contenu d’un sujet et des domaines de recherche auxquels il renvoie, l’identification d’un document en rapport avec le sujet de la recherche,
  • la sélection de l’information utile pour le sujet,
  • l’intégration de cette information dans la pensée spontanée de l’élève et l’élaboration d’un nouveau point de vue.

 

des activités mentales invariantes ?

L’examen de plusieurs récits de recherche a permis à notre groupe de dégager un certain nombre d’activités communes.

1. Phase exploratoire
Anticipation, mise en projet :

  • définition du but de la démarche documentaire,
  • définition de la restitution,
  • définition du réinvestissement de la recherche.
    Problématisation :
  • questionnement, position d’hypothèses,
  • définition d’un point de vue sur la recherche,
  • mise en relation avec des champs de connaissances identifiés.
    Recherche de l’information :
  • recherche des idées,
  • recours aux banques de données,
  • recours aux sources.

2. Phase de structuration
Traitement de l’information :

  • confrontation des informations recueillies avec les idées préalables (lecture),
  • analyse, comparaison, sélection, jugement (construction de concepts),
  • structuration par rapport à une culture préalable (concepts déjà acquis).

3. Phase de contrôle et de formulation
Restitution :

  • planification de la restitution,
  • écriture, reformulation, contrôle de l’information.

4. Phase de métacognition
Décontextualisation, investissement :

  • de l’information, des démarches,
  • insertion de l’information dans un processus d’apprentissage lié à la discipline,
  • évaluation de la démarche.

L’ordre chronologique des opérations varie sensiblement d’une personne à l’autre sans qu’on puisse en faire un critère d’efficacité. Les phases se mêlent et se prolongent l’une dans l’autre, avec des va-et-vient plus ou moins longs. L’ordre chronologique peut varier en fonction de plusieurs séries de facteurs :

  • facteurs cognitifs personnels (profil d’apprentissage),
  • facteurs affectifs (besoin de se rassurer, urgence de la réponse…),
  • facteurs sociaux (habitus, culture personnelle antérieure),
  • facteurs liés à la nature du savoir,
  • facteurs liés aux moyens effectivement disponibles,
  • facteurs liés à la situation pédagogique (temps imparti, réinvestissement, objectifs d’apprentissage…).

Dans l’élaboration de ces stratégies, nous avons remarqué l’importance des représentations et de l’investissement Il affectif. On a mentionné l’apathie totale, le combat contre la paresse, le besoin d’interaction, l’agacement, l’influence de l’image du professeur…

Certains ont une démarche standard qui marche à tous les coups, d’autres ont besoin d’en inventer une à chaque fois, en fonction du point de vue adopté sur la recherche. Certains sont désemparés par l’absence de consigne explicite. D’autres s’en réjouissent. La problématique est plus ou moins lente à élaborer.

Quelles stratégies ?

Il existe des variantes significatives dans les stratégies élaborées spontanément.
Le besoin d’entrer en contact avec autrui diffère considérablement dans sa forme et son contenu. Certains ont besoin de parler de leur recherche pour en cerner le sujet. D’autres recherchent une aide, un étayage auprès de quelqu’un, supposé être expert dans le domaine, l’information écrite ne paraissant pas suffisante, ou trop difficile d’accès…

Le « hasard » entre, pour une part, dans la démarche. Lorsqu’une préoccupation de recherche s’installe dans l’esprit, une sorte de vigilance permet une « lecture » nouvelle des sources offertes par l’environnement, en fonction du problème à traiter. Tout se passe comme si un dispositif de veille permettait à la fois la maturation de la problématique et la détection des sources pertinentes. Pour que ce dispositif de veille soit efficace, il faut disposer d’un certain temps et d’une relative disponibilité d’esprit.

Le rapport au temps peut être variable. Pour certains, le sujet doit murir hors situation de travail, avant de faire une recherche, mais le terme de la démarche doit être impératif et fixé à l’avance. L’activité de problématisation se cale sur l’échéance et se trouve stimulée par la tension qu’elle provoque. La production se fait dans l’urgence. Pour d’autres, la démarche documentaire peut se planifier, dans un laps de temps donné, la maturation se faisant en situation. La qualité de la production est alors directement liée à la maitrise de la démarche.

La réorganisation des connaissances ne se produit pas de la même manière (progressivement par va-et vient avec les documents, d’un seul coup selon une restructuration brusque du point de vue, à long terme de façon souterraine…), ni avec la même intensité. On a remarqué que l’information recueillie peut se juxtaposer avec les idées à priori, se substituer à elles ou encore ne les modifier que partiellement. Le mode de réorganisation des connaissances a un effet immédiat sur la restitution de la recherche.

La réflexivité de la démarche est également variable. Elle a un impact sur le degré de standardisation de la méthode de recherche, sur sa flexibilité et sur la capacité à l’évaluer. La mi se en projet de rechercher l’information est nécessairement un préalable. Pour certains, la recherche doit présenter un enjeu intellectuel ou affectif pour qu’il y ait engagement de la démarche. Il faut également que la recherche ait du sens et que les problèmes qu’elle pose soient perçus comme solubles.

Pour d’autres, elle résulte d’une autostimulation par le biais de l’activité elle-même (notion de profil cognitif).

Il semble que la démarche documentaire n’est pas de nature algorithmique mais de nature stratégique. Il n’est donc pas possible de réduire l’apprentissage de la recherche à l’acquisition d’une méthode universellement transposable, une recherche dépendant de facteurs circonstanciels, personnels et épistémologiques complexes.

Compétences disciplinaires et documentaires

Quelles sont les articulations entre compétences propres aux disciplines et technologies du traitement de l’information ?

Le problème est trop complexe pour être résolu dans le cadre restreint de notre recherche. La recherche documentaire, comme tout apprentissage, fait appel à différents types de savoirs : des savoirs théoriques (par exemple : qu’est-ce qu’une révolution ? Le loup est un mammifère ? etc.) ; des savoirs pratiques (par exemple : trouver un livre à partir de sa cote, trouver un mot dans le dictionnaire, organiser un plan de dissertation, etc.) ; des savoirs procéduraux (par exemple : utiliser une banque de données, organiser son travail, analyser un tableau statistique en sciences économiques et sociales, etc.).

Chaque type de savoir fait à la fois appel au champ des connaissances disciplinaires et au traitement de l’information. Reste un certain nombre de problèmes.

entre concept et mot clé

Le mot clé qui, appartenant à un classement codifié des savoirs, ne coïncide pas forcément avec le concept utile pour la résolution de problèmes dans le champ de connaissances étudié.

Le mot clé peut ne pas avoir de sens pour l’élève. Celui-ci peut soit partir de l’inventaire de ses représentations (hypothèses) et procéder par rectifications successives au fur et à mesure que se déroule sa démarche, soit tenter de créer le concept en cherchant des exemples (démarche inductive) sur lesquels il raisonne pour dégager leurs caractéristiques communes et chercher en quoi l’information qu’il recueille concerne le concept considéré, soit chercher, d’emblée, une définition (démarche déductive) dans le dictionnaire ou l’encyclopédie puis tenter d’en déduire les différents champs de sa recherche, quitte à élargir ces champs selon les conclusions de la recherche.

Si la recherche des idées intervient sans tentative de problématisation, elle a pour fonction d’établir un inventaire sur lequel va se fonder la problématique (mobilisation des idées).

Mais si le mot clé a un sens, la recherche d’idées peut être immédiatement problématisée, soit parce qu’on a défini au préalable le point de vue adopté, soit parce qu’on a déjà questionné le sujet et délimité le champ d’investigation, soit, enfin, parce que le problème est évident et contenu dans le sujet lui-même.

problématiser 

Nous avons défini une problématique de la façon suivante[[Gabrielle Di Lorenzo, Aperçu d’une méthode de construction autonome des savoirs, Marseille, Cafoc, 1989.]] :

  • Un axe ou un point de vue (le point de vue sera différent selon que la recherche vise à faire une exposition ou un exposé en classe) ;
  • une question (exemple : le loup des mythes a-t-il quelque chose en commun avec le loup réel ?) ;
  • un problème (comment, pourquoi, les récits légendaires projettent-ils sur le loup réel nos peurs inconscientes ?) ;
  • la problématique proprement dite (il apparait, dans l’exemple choisi, que le problème, et donc la problématique, ne peuvent être énoncés que lorsque la recherche est déjà en partie achevée).

 

Paradoxes

La recherche documentaire revêt des aspects paradoxaux.
Pour chercher et traiter correctement l’information, il faut anticiper sur ce qu’on cherche. Or, précisément, si on cherche, on ne connait pas l’information cherchée. Comment la « reconnaitre » ?

Pour qu’une démarche documentaire soit efficace, elle doit être complète et pourtant l’information utile résultera d’une sélection. Comment savoir ce qui est essentiel ? Par rapport à quoi ?

Le produit de la démarche documentaire doit présenter des caractéristiques de rigueur, alors que la démarche n’est pas complètement maitrisable et rigoureuse. Il y entre une part de hasard, de subjectivité et d’invention. Comment provoquer le hasard ?

Le savoir recherché est extérieur à celui qui le cherche. Il faut qu’il se l’assimile pour le reformuler avec ses propres mots. Comment l’élève intègre-t-il un savoir étranger à ses propres représentations mentales ?

La documentation, lieu multididactique

Penser la documentation comme le lieu des apprentissages strictement méthodologiques est extrêmement réducteur. Au contraire, l’intérêt principal d’une pédagogie intégrant la documentation est de nouer des apprentissages multiples, de solliciter simultanément des compétences auxquelles les élèves n’ont pas l’habitude de faire appel en même temps.

Utiliser une documentation suppose la construction d’une forme d’abstraction nécessaire pour se situer dans le réseau des connaissances, entraine à la formulation de problématiques plus ou moins complexes qui sont nécessaires pour mobiliser les ressources disponibles et mémoriser les informations.

La complexité des compétences en jeu suppose la collaboration étroite du professeur et du documentaliste. Cette collaboration, qui doit être clarifiée, dont les champs d’intervention doivent être précisés, ne peut se satisfaire d’une analyse schématique. Nous avons vu que les aides fournies par l’un et par l’autre ne peuvent être pensées indépendamment : elles se croisent, se mêlent, déteignent l’une sur l’autre. L’organisation de situations pédagogiques en documentation se fait toujours au risque des organisateurs : professeurs comme documentalistes courent le risque de faire apparaitre leurs limites. Mais on peut penser que c’est précisément dans l’éventualité de leur non-savoir que l’autonomie de l’élève peut enfin s’instaurer.

Françoise Clerc
IUFM de Lorraine