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Polémiques et fake news scolaires, la production de l’ignorance

De nombreux ouvrages s’attaquent aux fake news et ouvrent une réflexion pour savoir comment y faire face. L’originalité de ce livre est d’étendre cette notion aux questions scolaires, en considérant, à juste titre, que la désinformation et les mensonges sont largement répandus, la plupart du temps par les partisans d’un ordre ancien, considéré comme seul légitime.

Le sociologue prend pour exemples plusieurs sujets qui ont suscité des polémiques sous le quinquennat précédent : la notation, le redoublement, et plus brièvement traités les ABCD de l’égalité (garçons-filles), ajoutant une question quasi éternelle : celle du niveau qui baisse, baisse continuellement… À chaque fois, un discours stéréotypé, méprisant les faits et la réalité, se répand, relayé par des organes de presse, des réseaux sociaux et des politiques, avec toujours pour cible ce qui irait dans le sens d’une école plus équitable, plus soucieuse de la réussite de tous. Pierre Merle montre pourtant que la note n’est ni juste ni efficace, que le redoublement a des effets désastreux à moyen terme et qu’il est très difficile de vraiment comparer des « niveaux » au fil des ans, surtout qu’on ne sait pas toujours bien ce que l’on mesure. Concernant la réforme du collège de Najat Vallaud-Belkacem, on le sait, le déchainement des fausses informations a été sans limites, alors qu’une vraie discussion aurait pu avoir lieu sur les mesures proposées, études et évaluations à l’appui. Reste, pourrions-nous ajouter qu’on ne comprend toujours pas pourquoi certains intellectuels ou organes de presse professant des idées progressistes peuvent, sur le terrain scolaire, reprendre les pires anathèmes de la droite réactionnaire et des élitistes déchainés. Qu’on puisse reprendre les propos de tel leader de Sauver les Lettres, tel discours haineux de Brighelli en contestant peut-être la forme, mais pas le fond est toujours une source de surprise et de consternation. Quand il s’agit de Valeurs actuelles ou de certains académiciens, au moins, c’est clair et cohérent!

Dans l’avant-dernier chapitre, l’auteur aborde d’ailleurs la question de l’évaluation des politiques éducatives et plaide pour une indépendance des évaluateurs, la seule qui permette d’éviter les biais, les manipulations et les censures. Malheureusement, l’organisme qui répondait le mieux au critère de sérieux scientifique et d’autonomie par rapport au pouvoir va être supprimé par l’actuel ministre (à savoir le CNESCO).

Pierre Merle en appelle aux Lumières de la raison, citant Condorcet, pour s’opposer à la vague de l’ignorance renforcée par la malveillance de certains groupes attachés à défendre des intérêts particuliers (ici, l’intérêt des classes privilégiées qui profitent au mieux d’un système ségrégué et n’ont guère envie que se développe la mixité sociale et l’hétérogénéité des classes). La conclusion est d’ailleurs plus générale et va au-delà du scolaire. L’auteur essaie d’élucider le succès des fake news, qui renvoient à un monde simpliste et finalement rassurant face à la démarche scientifique exigeante, qui cultive un doute structurel qui n’a rien à voir avec le scepticisme des complotistes, mais qui peut troubler une opinion déstabilisée.

La réponse ne peut venir de la Loi, ni même du seul fact checking (malgré son utilité), mais bien de l’instruction. Encore faut-il que celle-ci soit adaptée à notre temps, or, les tenants d’un passé mythifié font tout pour s’opposer à une transformation du système scolaire qui intégrerait davantage de pratiques de formation de l’esprit critique. La boucle est bouclée : ceux qui propagent des fake news scolaires sont peu intéressés par la lutte dès le plus jeune âge pour se protéger des fake news en général…
 
Jean-Michel Zakhartchouk

Parution le 20 février