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Plus de notes : l’affaire de tous

En deux années scolaires, notre collège a connu une profonde métamorphose, du point de vue de la relation entre professeurs et élèves comme du point de vue des pratiques pédagogiques. En 2010, dans le cadre de la construction de notre projet d’établissement, nous faisions un double constat : nos élèves de 6e décrochaient très vite et un tiers des élèves du collège parvenu au lycée général redoublaient leur classe de 2de. Comment faire acquérir à tous le minimum nécessaire tout en développant l’excellence ? Pour relever ce défi, et avec le soutien de l’équipe de direction, nous avons décidé d’expérimenter une classe « compétences sans notes » en 6e. Aujourd’hui, cette démarche a été généralisée à l’ensemble des classes de ce niveau, puis à celles de 5e. Nous vous proposons de partager les moments forts de cette aventure en témoignant de l’impact qu’elle a eu sur notre travail et sur les relations professionnelles entre tous les partenaires de l’école.

C’est grâce à de nombreuses concertations et de la formation que nous avons vu nos pratiques changer. Un créneau hebdomadaire d’une heure trente, en dehors du temps de classe, a permis de partager nos expériences d’enseignement sans notes. Nous avons établi des bilans successifs que nous avons communiqués à l’ensemble des personnels. Tout cela a été déterminant pour convaincre nos collègues d’élargir l’expérimentation. Nous avons procédé à un vote à bulletin secret pour la généralisation en 5e : 19 professeurs sur 28 étaient pour.

Tout cela n’est pas allé sans débat entre nous. Les échanges ont été parfois vifs, et, pour pouvoir avancer, nous avons choisi en particulier de ne pas nous référer au livret personnel de compétences. Aujourd’hui cependant le climat est plus apaisé.

Nous avons suivi des formations d’établissement, et mis en place des « professeurs ressources » ainsi que des groupes de réflexion. Il nous faut par exemple réfléchir à la transition vers l’évaluation notée en 4e. Une première réponse a été de proposer une note évolutive. Une autre question est celle du respect des rythmes d’apprentissages. Le découpage trimestriel n’est pas satisfaisant, car trop rapide, pour établir un vrai bilan des compétences. Nous proposons donc de passer à un bilan semestriel.

Ce projet ne pouvait pas se réaliser sans les parents. Ensemble, nous avons construit un bulletin par compétences. Nous avons retenu cinq grands critères pour sa conception : informatif, synthétique, précis, lisible et bienveillant. Le dernier étant celui sur lequel ils ont le plus insisté. Le bulletin ne classe pas les élèves, aucune récompense ni avertissement n’y est attribué, seuls des conseils pour progresser apparaissent.

Que pense Florence Lavau, principale adjointe, du bulletin sans notes ?

« Son élaboration a demandé beaucoup de concertation entre collègues et parents. Il est riche d’informations : il rend vraiment compte des capacités de l’élève, de ses compétences, tout en restant simple et synthétique. Par contre il y a une chose qu’il ne peut pas faire : c’est de comparer les élèves entre eux et à fortiori d’établir une hiérarchie du plus mauvais au meilleur. Pour préparer un conseil, impossible de jeter un œil à la synthèse des notes et de se faire une idée rapide du niveau de la classe… J’ai d’abord été un peu désarçonnée : l’habitude, une certaine paresse intellectuelle ! Passé ce premier constat, j’ai réalisé que c’était exactement ce que nous cherchions à travers ce type d’évaluation : prendre chaque élève comme un individu, dans toute sa complexité ! »

Mais donnons la parole aux élèves, nos principaux destinataires de l’expérimentation :

« Les compétences m’ont permis d’avoir plus confiance en moi, car je pouvais recommencer une évaluation quand je n’étais pas satisfaite de mes résultats. Je suis devenue plus persévérante même lorsque je n’y arrive pas. » Maëlys Cigna, 3e.

« En 6e et en 5e, j’ai eu le système des couleurs. Au début j’étais sceptique, mais je me suis vite aperçu des aspects positifs. En effet, on ne se focalise plus sur la note, mais sur la réussite, car on peut savoir d’où vient le problème directement. » Alexia Pilot, 3e.

« On se sent plus rassuré. Moi, je conseille les compétences pour les autres collèges pour qu’il y ait plus de réussite et moins de redoublants » Yassine Lakhlaifi, 3e.

« Je n’ai jamais connu de système de notes, même en primaire. Je pense qu’avec les couleurs on voit mieux ce qu’il faut recommencer à travailler. Dans la classe, il n’y pas de comparaison avec les autres, pas de forts et de moins forts, et ceux qui sont en difficulté ont plus confiance. Cela donne envie d’apprendre, on a des repères sur les points à retravailler ». Lelia Teyssier, 5e.

Redonnons la parole aux professeurs. Les mathématiques, par exemple :

« Après m’être arrêtée presque deux ans suite à la naissance de mon troisième enfant, j’ai repris mon activité professionnelle. Mais voilà que, pendant mon absence, les notes ont été supprimées ! Ma première réaction est de pester intérieurement parce que cela change tous mes repères. J’ai l’impression de ne pas savoir faire autrement que ce que j’ai toujours connu. En effet, la première année a été un long tâtonnement. Il a fallu que je mette au clair les compétences que j’attendais de mes élèves. Qu’ils sachent poser une multiplication décimale ? Qu’ils soient capables de mener un raisonnement cohérent ? Qu’ils aient un comportement citoyen responsable ? Cette réflexion, je ne pouvais la mener seule. Le travail d’équipe était un passage obligé, riche en échange et avancées. En fait l’évaluation devient “un témoin” pour l’élève et l’enseignant de “où j’en suis dans mes acquis”. C’est un changement radical. » Magali Soubrié-Prothon.

«Une évolution en profondeur des pratiques de classe. Je privilégie les travaux de groupe où mon action est celle d’un guide et non d’un maitre. Mon objectif est désormais de guider des élèves actifs, réactifs et non de distribuer un savoir. » Jean-Christophe Cubertafon.

Qu’ont à dire les professeurs de lettres ?

« Parmi les nombreuses disciplines enseignées au collège, nombre d’entre elles sont depuis longtemps en lien avec un enseignement par compétences. Il était donc urgent de soumettre et revoir l’enseignement du français afin que celui-ci s’inscrive dans un cadre où des compétences seraient reconnues, cataloguées et évaluées avec lisibilité et efficacité… Les élèves y ont vu un moyen de se positionner face à leur propre savoir. Bon nombre d’entre eux ont ainsi retrouvé confiance et ont pu échapper au décrochage tant redouté ! » Laurence Sigorel.

« L’enseignement par compétences peut se faire avec ou sans la note, mais à mes yeux, il était nécessaire à la fois pour l’élève et (peut-être plus encore) pour le professeur de “ casser” le modèle, l’omniprésence et l’omnipotence de la note. Un exemple : lors de la décision de la supprimer, une de mes collègues s’est exclamée “Mais alors les élèves ne vont plus travailler…”, alors que dans le même temps cette même enseignante s’efforçait de donner et redonner à ses élèves le plaisir de travailler. » Anne Rapeaux

Un professeur d’EPS :

« Pour moi, il y a eu un “avant” et un “après” le travail par compétences. Avant : “Ça y est demain je change de cycle. Je ne sais pas par où commencer. J’ai une idée floue de ce que doivent acquérir les élèves, mais j’hésite sur les savoir-faire, les savoirs et les objectifs que je peux viser, que j’ai visés avec mes classes des cycles précédents. Je me replonge dans les classeurs.” Après : “Ça y est demain je change de cycle. Je vais sur le dropbox pour me familiariser avec les fiches : compétences visées et évaluation, fiche de suivi, les situations de références ou d’aide. Je sais déjà où je vais et donc mes élèves vont me suivre…” » Sandrine Rocher.

Redonnons la parole à Anne Rapeaux, mère de deux garçons ayant été scolarisés aux États-Unis :

« Dans l’Iowa, il existe une évaluation notée, mais qui ne tient compte que du résultat final d’un travail. Il y a un vrai processus de construction de la part de l’élève. Mes enfants ont pu ainsi acquérir une confiance dans leur capacité de raisonner et à mener à bien un projet. De retour en France, la violence de notre système d’évaluation m’a sauté aux yeux, à la fois parce qu’elle s’exerçait sur des élèves souvent en grande difficulté et aussi parce que mes enfants eux-mêmes ont souffert lors de leur réintégration dans l’école française. Mais je me sentais impuissante à changer le système. Lorsque j’ai été sollicitée pour participer au projet de la classe compétence, je n’ai pas hésité ».

Enfin, voici quelques témoignages de parents :

Véronique Bruel, mère de Juliette : « Je remarque en tant que parent, un plaisir et une curiosité d’apprendre indéniable de ma fille. L’accès des parents aux connaissances et aux apprentissages de leurs enfants leur permet de les accompagner plus justement et de les aider dans l’acquisition de leur autonomie. »

Lise Ecochard, mère de Théo : « La classe “sans notes” est une bonne chose : ça dédramatise l’erreur qui n’apparait plus comme une sanction, mais une connaissance à retravailler, et cela rend les évaluations un peu moins stressantes pour les élèves. Sont prises en compte la curiosité, l’envie d’apprendre, la capacité à travailler en groupe et l’estime de soi »

Stéphane Pilot, père d’Alexia : « L’évaluation par compétence pour un enfant plus sensible, comme ma fille, permet de prendre confiance en soi, nous avons remarqué une différence notable de comportement. Moins de stress, une meilleure compréhension des choses à travailler, à revoir, et une solidarité entre tous les élèves de la classe. »

Et pour finir, le mot du principal, Patrick Fuertes : « L’accompagnement et le soutien que nous avons apporté au projet depuis trois ans nous a permis de nous enrichir et d’envisager l’organisation et l’évaluation des enseignements au collège comme notre participation à l’égalité de traitement, signe d’une volonté de faire réussir au mieux tous nos élèves ».

Nous avons voulu construire ensemble une conception de l’enseignement qui répond au mieux aux besoins de nos élèves, et ce n’est qu’un début…

Goulven Allée
Professeur d’EPS, coordonnateur RRS, collège Jules Vallès à Fontaine