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« Plus de maîtres que de classes » : qu’en retenir ?

D’abord quelques précisions. Ce rapport ne prétend pas alimenter les recherches sur les dispositifs d’adultes supplémentaires dans les établissements scolaires. Il propose une présentation très intéressante des travaux sur cette question, mais n’apporte pas de nouvelles données. Il correspond plutôt à l’avis partagé d’une équipe d’inspecteurs, répartis sur onze académies, qui ont conduit une série d’entretiens avec les acteurs locaux et ont observé des situations de mise en œuvre de ces dispositifs.
Ensuite, la faible référence aux travaux de Thomas Piketty et Mathieu Valdenaire (2006)[[http://cache.media.education.gouv.fr/file/48/4/2484.pdf]] sur ce sujet étonne. Rappelons que ceux-ci avaient mis en évidence qu’une réduction de 5 élèves par classe en Education Prioritaire (par rapport à la moyenne actuelle) contribuerait à 46 % d’atténuation des phénomènes d’inégalités scolaires. Peut-être que le dispositif PDM est ici étudié sous un autre angle, celui de la coprésence d’adultes au sein d’une même classe…

Des recherches nombreuses

Sinon, le rapport présente des idées précises sur ce qui serait vecteur de progrès pour les élèves avec ce dispositif. Il apparaît tout d’abord du côté des recherches internationales (STAR, 1985 ; DISS, 1997) que la plus-value éventuelle d’un adulte supplémentaire favorise surtout les élèves les plus défavorisés ou issus des minorités, avec la condition que celui-ci soit formé au renforcement des apprentissages. Sinon, les résultats positifs ne concernent que l’établissement d’une discipline au sein des classes, sans effet sur les acquisitions. Donc, oui à des enseignants supplémentaires travaillant en priorité avec les élèves les plus en difficulté, non à seulement des assistants qui assureraient une forme d’externalisation de l’accompagnement des élèves.

En France (HCéé, 2001), l’expérimentation sur le dédoublement des CP a mis en évidence qu’il n’y avait pas de différences significatives entres classes dédoublées et classes entières, surtout lorsque l’on étudiait les effets à l’entrée en CE1. Une reprise de cette étude en 2003 a souligné la prépondérance de l’effet maître (la personnalité de l’enseignant, son expérience, sa pédagogie) au détriment, une nouvelle fois, des pratiques de dédoublement. Autrement dit, travailler en demi-classe ne semble pas suffisant pour que ces enseignants adoptent des postures autres que seulement frontales avec les élèves. « L’objectif de différenciation visé n’est pas atteint. » (p. 22)

En 2005, la démarche PARE (Projet d’aide à la réussite des élèves) a, quant à elle, apporté quelques avancées. Cela semble même être l’origine du grand dispositif PDM. Un enseignant expérimenté appartenant à l’équipe était remplacé dans son poste pour intervenir au sein de toutes les classes, avec l’interdiction de procéder à de l’externalisation (sortir des élèves des classes ou scinder la classe en deux dans des lieux différents). En fin de cycle 2, les résultats des élèves ont été meilleurs, les enseignants ont développé des aptitudes dans l’accompagnement de la difficulté, la satisfaction des parents s’est accrue.

Les limites identifiées

Concernant les usages des moyens PDM, les auteurs du rapport ont mis en évidence plusieurs disfonctionnements, ce qui leur fait écrire qu’il s’agit actuellement d’un dispositif « très largement perfectible » (p. 44) :

  • Une tentation forte de constituer des groupes externalisés ou de saupoudrer les interventions de l’enseignant supplémentaire.
  • Un fort recours au préceptorat, voyant des enseignants s’engager dans de l’étayage individuel. Ces fonctionnements apparaissent comme inopérants (p. 42) parce qu’ils laissent dans l’attente un grand nombre d’élèves et incitent à l’assistanat (la réussite ne serait possible qu’en étant aidé).
  • Des difficultés dans la maîtrise des gestes professionnels attendus : langage approximatif, effet « Topaze » (Astolfi, 1992), absence d’exploitation des erreurs des élèves, priorité à des aspects matériels (lignes sautées, couleurs,…), carence dans l’énoncé des consignes, implicites dans les demandes formulées aux élèves, limitation des tâches à ce qui est le plus procédural,…
  • Une déprofessionnalisation de certaines équipes qui n’ont pas été associées à la construction du dispositif dans leur école en raison d’absence de réflexions (les préconisations sont devenues des injonctions). Il n’y a eu que de trop rares fois des appels à projets véritables. Parfois, PDM a été perçu comme contraignant.
  • Une carence en matière d’outils d’évaluation des effets sur les acquis des élèves.
  • Une utilisation autre des moyens supplémentaires (par exemple pour compenser des suppressions de classes), souvent par manque de connaissance des visées du dispositif.
  • Un lien diffus avec les interventions des enseignants spécialisés, notamment les maîtres E.

De pistes pédagogiques précises

Dans son analyse du réalisé, le rapport fait état d’une incroyable diversité des appropriations du dispositif PDM. Nous n’entrerons pas ici dans cette revue de terrain. En revanche, ce qui semble à transmettre avec cet article sont les propositions émises pour une optimisation de ces moyens humains. Nous formulons ici ces propositions sous la forme d’une organisation holiste et cohérente.

Un dispositif PDM performant se traduirait par du co-enseignement dans les classes : soit avec la prise en charge de deux groupes de besoins par ces enseignants (à partir d’évaluations diagnostiques, ce qui favorise une différenciation du rythme de travail), soit avec l’organisation de la classe en ateliers (à condition que les activités proposées favorisent les interactions entre élèves).

Les enseignants se sont préalablement rencontrés pour préparer leur collaboration, notamment en pensant des groupes bâtis autour d’activités différenciées, et donc complémentaires. Ce travail se traduit également par la construction d’outils qui incitent les élèves à développer de l’activité et pas seulement des tâches (ce qu’on leur dit de faire), bien évidemment avec une part d’autonomie et de responsabilité. On retrouve ici le principe de secondarisation (Bautier, Goigoux, 2004).

Du côté des enseignants, des effets positifs du dispositif PDM ont été observés au sein des équipes. Il permet des regards croisés sur les élèves, induit de la valorisation. Les portes des classes s’ouvrent plus facilement. La gestion de leur temps semble plus rigoureuse. L’intervention de l’enseignant supplémentaire ne concerne pas seulement la prise en compte de la difficulté scolaire. Les réunions de concertations entre les enseignants se tiennent à partir d’un ordre du jour. C’est le directeur d’école qui fédère et anime cette collaboration. Les enseignants participent à de l’action partagée, notamment autour de progressions communes. Les évaluations servent à repenser l’efficience des dispositifs sur les apprentissages des élèves.

Rien de bien nouveau ni de très innovant diront les plus avancés… Et pourtant, ce n’est pas tant de changements dont il est question ici, mais un retour aux fondamentaux du métier, malheureusement englués dans une masse d’injonctions d’inégales importances et parfois contradictoires.

En somme, ce rapport ne fait que rappeler un thème fort en pédagogie : ce que l’on fait, ce que l’on dit et ce que l’on pense a un véritable impact sur les progrès des élèves. Outre des moyens supplémentaires qui accroissent le champ des possibles au niveau des organisations, c’est d’abord la mobilisation des enseignants vers une démocratisation des apprentissages, par un dépassement des simples discours et la convocation d’outils pédagogiques maîtrisés que les inégalités scolaires, fléau de notre école, pourront considérablement s’atténuer.

Sylvain Connac