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Philosophie pour l’éducation

Après Quelle école voulons-nous ?, écrit en collaboration avec M. Develay, L. Legrand et E. Favey, Alain Kerlan aborde ici les questions majeures adressées à l’éducation, dans un livre sobre, dense et exigeant.
On observe, dans le domaine de l’éducation, une nouvelle demande philosophique. Elle est actuelle, concrète, parfois pressante. Alain Kerlan y répond en philosophe, tout en restant dans son temps, sans se réfugier derrière on ne sait quel prophétisme ; sans exhortation, sans se placer non plus dans un arrière-monde philosophique confortable. Pour cela, il a recours à l’histoire de la philosophie, à une posture épistémologique claire, à l’analyse précise du langage, à l’argumentation a contrario et à une forme dialectique structurante et stimulante. Il en appelle enfin, ce qui n’est pas fréquent chez le philosophe, à l’expérience que l’éducateur retrouvera au fil de chacun des six grands chapitres que comporte l’ouvrage. Le livre s’ouvre alors sur deux questions inaugurales : qu’est-ce qu’éduquer, qu’est-ce que former ? On y découvre à la fois la très grande labilité du fait éducatif et, paradoxe, sa très grande stabilité installée dans un espace marqué par les trois pôles suivants : la culture, l’individu et la société.
Le lecteur appréciera l’analyse du langage conduisant l’auteur à mettre au jour le creux, voire la vacuité, de certaines expressions encombrantes en éducation et en formation pour remettre en débat les questions essentielles. De même, Alain Kerlan nous amène à prendre en compte des contextes et des cultures divers pour une analyse du langage de l’éducation. Le livre est court – 126 pages – et l’on regrette alors que cet exercice d’élargissement des références culturelles se limite à Wallis et à la langue Drehu. Ces perspectives élargies invitent en effet à une forme de décentration salutaire, en rien incompatible avec la hauteur nécessaire à l’analyse philosophique. L’éducation, l’instruction, le dressage, l’enseignement, la pédagogie… sont ainsi analysés et chaque fois, l’auteur trace les perspectives de réflexion et imprime les trajectoires de penseurs de l’éducation en dévoilant des pans de philosophie de l’éducation sans jamais sombrer dans l’exposé ennuyeux, au contraire, et l’on sait comme le philosophe peut l’être parfois. L’auteur rappelle que les sociétés ne peuvent cesser d’éduquer comme un être vivant ne peut cesser d’exister. Nécessité éducative : c’est le triomphe de la scolarisation et de la formation qui rendent la lecture de l’ouvrage aussi nécessaire.
Nécessaire, parce qu’il redresse les questionnements sur les valeurs de l’éducation sans faire le lit du relativisme ou pire, de l’indifférence éducative : la tolérance sans contrepoids, la tolérance un point c’est tout, n’est qu’une indifférence. L’ouvrage aborde aussi l’éthique et la citoyenneté, autres exigences contemporaines, leitmotiv renouvelé dans ce qu’il est toujours et encore convenu d’appeler la crise de l’éducation, mais qui, ne dispense d’aucune interrogation quant à la morale. Toute éthique est particulière tandis que la morale est nécessairement universelle. Et c’est aussi au cœur de la culture, des savoirs ou encore des programmes que se niche l’équation savoir = démocratie. Ce raccourci est ausculté, comme bien d’autres, à la lumière de multiples auteurs : Simmel, Kambouchner… Le livre s’achève sur une réflexion chère à l’auteur, l’éducation esthétique. L’école est-elle saisie par les arts ? Spécialisation, parcellisation des tâches dans le travail, fragmentation de l’esprit constituent l’héritage des sociétés de la technologie, alors, l’œuvre, la création apparaissent comme un facteur de réunification de l’humain, vecteur, peut-être, d’espérances éducatives.
En lisant ce livre, on se place dans la posture du visiteur, visite guidée du monde de la philosophie de l’éducation, qui, est en soi une visite philosophique.

Denis Poizat