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Petit détournement journalistique entre amis

Par jeu, il m’a semblé amusant de tenter une transposition de ce sujet sérieux sur un autre thème d’actualité, aussi sérieux.

Certains mots seront donc remplacés (ils seront « entre guillemets », en italique). Le reste…, le reste c’est le reportage de France2 tel qu’il a été diffusé.

Attention, profs trop sensibles : ce reportage peut choquer les plus fragiles d’entre vous !

Précisons, pour bien comprendre le sens de ce divertissement que le mot « IUFM » a été remplacé par « Faculté de médecine », que le mot « Professeur » a été remplacé ici par « médecin urgentiste », que les mots « lycée » et « collège » ont été remplacés par le mot « hôpital ». Benoît Duquesne, depuis la cour d’une école, lance le premier sujet.

Benoît Duquesne : On va parler de cet « hôpital » qu’on aime tous, auquel on est tous très attachés, mais ça n’empêche pas de parler de ce qui ne va pas. Commençons par les « facultés de médecine » (c’est là qu’on forme les « urgentistes »), et elles sont très décriées.

Reportage : mon « urgentiste » est mal formé

Journaliste (voix off de femme) : Carole est « urgentiste » dans un « hôpital » dans un « quartier [[« quartier » = zone d’éducation prioritaire, ZEP.]]  », classé zone violence. (Images d’une « salle d’attente [[« salle d’attente » = classe]]  », métissée et surpeuplée). Carole doit lutter à chaque instant pour pouvoir exercer son activité. À force d’obstination, elle obtient quelques résultats. Carole, comme la plupart de ses collègues, est passée par la « faculté de médecine », l’école des médecins : elle s’aperçoit que sa formation est nettement insuffisante.

Carole : Ils nous mangent ! C’est nous ou eux. Il faut qu’on soit toujours très vigilants parce que ça peut déborder en moins de deux !

Journaliste : Et ça, à la « faculté de médecine », on ne vous l’avait pas appris ?

Carole : Non…

Journaliste : Comment sont formés les « urgentistes » ? Sont-ils vraiment préparés aux conditions difficiles de leur métier ?

Étudiante A : on a peur d’arriver avec les plus jeunes à la rentrée et de ne pas savoir faire.

Étudiant B : l’apport théorique, je n’ai rien trouvé d’extraordinaire, la « thérapeutique [[« Thérapeutique » = Pédagogie de projet]]  », je n’ai rien appris…

Journaliste : les formateurs savent-ils réellement ce qui se passe sur le terrain ?

Étudiante C : on se trouve un peu déconnectés de la réalité.

Journaliste : Ces « urgentistes » stagiaires ne sont pas les seuls à critiquer la « faculté de médecine ». En 2003, un rapport, commandé par le ministre, confirme ces dysfonctionnements. Les inspecteurs dénoncent la fragilité des compétences des formateurs, s’interrogent sur la qualité des futurs « urgentistes », et prévoient que le recrutement doit être repensé.

Ceux qui ont la charge de la « santé [[« la santé » = l’éducation]]» de nos enfants sont ils donc mal formés ? La question est officiellement posée aujourd’hui au Ministère.

Reportage : « Faculté de médecine » de Grenoble

9 h 00 du matin. Comme au lycée, on cherche sa classe et son prof. Comme ses copains, Gabriel est un peu largué ; mais dans six mois, lui et ces jeunes gens devront passer de l’autre côté du miroir. Ce sont eux peut-être qui vont « soigner [[« soigner » = éduquer]] » vos enfants. (Gabriel essaie d’ouvrir, sans succès, la porte d’une salle de cours).

Gabriel a 27 ans. Avant de décrocher son premier poste, il doit d’abord suivre un an de formation à la « faculté de médecine ». C’est là qu’il est censé apprendre la « médecine [[« médecine » = pédagogie]] », enfin théoriquement…

Pour encadrer les stagiaires, trois formateurs aujourd’hui : un prof de « psychiatrie [[« psychiatrie » = sport]] » à mi-temps, une prof de sciences humaines devenue permanente à la « faculté », et une prof d’université qui intervient ici épisodiquement. Bref, tous ont eu ou ont encore une expérience de terrain.

Ils emploient des mots compliqués (!) : « pratiquer une cholangiographie transjugulaire [[« cholangiographie transjugulaire » = construire des savoirs]] », « traiter une liposclérose mésentérique [[« traiter une liposclérose mésentérique » = interagir entre les individus]] »

Ici, on ne parle pas de « malades [[« malades » = élèves]]] », mais de « patients [[« patients » = apprenants]] ». Bref, un jargon qu’on n’entend qu’ici : même le prof de « psychiatrie » parle comme cela ! Les stagiaires ont du mal à comprendre ; quand on demande des éclaircissements, ce n’est pas mieux !

Journaliste au prof de « psychiatrie »  : pourquoi vous utilisez ces termes-là et pourquoi ne pas parler simplement de « malades » au lieu de parler de « patients » ? […]

Journaliste : pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ; mais les stagiaires veulent y croire, quand même !

Gabriel : pendant le cours, on peut avoir une attitude hébétée sur le moment, mais ce sera sans doute plus utile par la suite.

Journaliste : est-ce que cela sera plus utile par la suite, c’est ce que nous avons voulu vérifier.

Reportage : Romans, dans la Drôme

Un « hôpital » plutôt facile, bien coté dans la région ; c’est là que Gabriel doit mettre la théorie en pratique. Il y donne six heures de « consultations [[« consultations » = cours]] » par semaine, et il y gagne aussi des conseils auprès de ses futurs collègues. (À table, au self de « l’hôpital ») une femme : en fonction des « malades » que l’on a, on fait son « diagnostic [[« diagnostic » = cours]] ».

Journaliste : (Gabriel dans les couloirs) même si la blouse est un peu grande, Gabriel est maintenant dans la peau d’un « médecin urgentiste ».

Journaliste : (Gabriel face aux « malades ») A quoi vont ressembler ses « consultations » ? A priori, on lui a enseigné une pédagogie compliquée et quasi scientifique. Mais, devant ses jeunes « malades », sa méthode va nous apparaître plus classique.

Gabriel : (Gabriel face aux « malades ») regardez, nous avons là vraiment 100 millilitres !

Journaliste : Gabriel donne des informations aux « malades » ; il les fait participer, voilà au fond sa méthode ; pas besoin de jargon ! Et avec les « malades », le courant a l’air de passer !

Journaliste à Gabriel : vous avez l’impression que vous y arrivez bien ?

Gabriel : oui, ça va, ça va… C’est pas encore parfait, hein ?

Journaliste : s’il reste lucide, c’est parce qu’il sait ce qui l’attend l’année prochaine : sans doute une « région [[ « région » = académie]] » comme celle de Créteil, certainement beaucoup plus difficile (images de jeunes « malades » chahuteurs, d’origines très diverses).

Journaliste : peut-être un « hôpital » en zone prioritaire, en zone sensible ; en tout cas, c’est ce qui attend six « médecins urgentistes » sur dix à la sortie de leur formation.

Reportage : à Créteil

À Créteil, dans cet « hôpital », la plupart des « urgentistes » ont à peine 25 ans, et ils n’ont pas choisi d’être là ; d’ailleurs, ils rêvent tous d’en partir dès que leurs points d’ancienneté le leur permettront.

Journaliste à Clémence, « urgentiste »  : est-ce qu’il y a des « médecins urgentistes » vieux, dans cet établissement ?

Clémence : non ! En général, on s’en va quand on a les points, parce que c’est fatigant, épuisant ; en général, plus tôt on peut fuir, plus tôt on fuit !

Journaliste : ils veulent tous fuir ces « hôpitaux » difficiles ou la médecine qu’on leur a enseignée est totalement inadaptée.

L’année dernière, Clarisse était encore à la « faculté de médecine ». Aujourd’hui, elle essaie de « soigner » des jeunes enfants. Elle va appliquer à la lettre ce qu’on lui a enseigné. Elle va tenter de les faire participer. Le problème, c’est que cette méthode participative, « quand la salle d’attente est bondée [[« quand la salle d’attente est bondée » = quand la classe est dissipée]] », ça ne marche pas !

Clarisse : je ne peux pas laisser les « malades » se débrouiller seuls, autrement, ça part dans tous les sens. C’est ça, la différence entre ce qu’on nous apprend à la « faculté de médecine » et « l’hôpital » ! (images des « malades » qui s’agitent).

Journaliste : Clarisse voit bien que ça ne fonctionne pas, et pourtant elle s’accroche à la seule méthode qu’on lui a enseignée. Et pendant ce temps-là, dans son dos, les « malades » s’agitent. Pas facile de canaliser leur « agitation [[« agitation » = enthousiasme]] » ! Pas facile de forcer les « malades » à accepter de « se faire soigner [[«  se faire soigner » = travailler]] ».

Clarisse tente de reprendre les choses en main « en prenant la tension [[ « en prenant la tension » = en montant sur l’estrade]] ». Elle n’aura pas le temps de terminer : elle doit retourner « dans la salle d’attente [[« dans la salle d’attente » = au fond de la classe]] » pour faire la police.

Clarisse : ils cherchent tout le temps à faire autre chose que la « consultation » ; on fait que ça, de la discipline : essayer de recadrer (c’est ça le plus gros de notre boulot, et ça, on ne nous l’enseigne pas !).

Journaliste : pourtant il existe un cours à la « faculté de médecine » dont l’intitulé est « gestion de la salle d’attente [[« gestion de la salle d’attente » = gestion de la classe]] »… Mais à l’évidence, il ne sert pas à grand-chose, puisque les formateurs eux-mêmes reconnaissent qu’ils refusent de donner des conseils…

Anne-Marie G., formatrice à la « faculté de médecine » : Les stagiaires attendent beaucoup de recettes, c’est-à-dire dites-nous comment ont fait ; on le fera, et ça va marcher ! Nous, les formateurs, on sait bien que ce n’est pas comme cela que ça se passe : on n’est pas dans une application de recettes.

Journaliste : bref, les stagiaires n’ont qu’à se débrouiller… Comme conseil, on fait mieux ! Mais est-ce que la solution ne serait pas simplement de changer de méthode pédagogique ? La question est délicate… Au printemps dernier, le ministre s’est lui-même attaqué à ce dossier : il a proposé de réduire les cours théoriques, d’allonger les stages : il a remis en cause les « facultés de médecine ». Mais son projet est sorti au moment même où les « médecins urgentistes » sont descendus dans la rue, au printemps dernier, pour défendre leur retraite. Résultat, la réforme est une nouvelle fois enterrée…

Reportage : le grenier de Rachel

Journaliste : mais certains profs ont décidé de réagir. Ça fait un an que Rachel, « urgentiste », « soigne [[« soigne » = enseigne]] » ; mais la méthode de la « faculté de médecine », elle refuse de l’appliquer ! Elle n’utilise pas les manuels officiels, mais de vieux manuels trouvés dans les brocantes (! )

Grenier de Rachel.

Journaliste à Rachel : c’est quand même surprenant tous ces vieux livres ; on pourrait penser que vous êtes un tout petit peu rétrograde, non ?

Rachel : bien sûr, mais c’est pas par goût de l’ancien que je fais ça ; les manuels actuels, j’arrive pas à y trouver des choses, pas beaucoup, pas suffisamment… Ça, c’est un exemple de méthode moderne […].

Journaliste : les manuels actuels sont recommandés… par les formateurs !… Rachel préfère « soigner » avec la vieille méthode (« celle préconisée par Claudius Galenus (Claude Galien) aux Romains pour réguler leurs humeurs » [[« méthode de Galien » = méthode Boscher – la journée des tout petits]] ) : cette méthode est toute simple ! D’ailleurs, elle avait aussi la faveur du ministre actuel et de quelques-uns de ses prédécesseurs… Mais, aujourd’hui encore, les formateurs officiels du ministère ne veulent toujours pas en entendre parler !…

Interview

Retour en studio. Le journaliste Benoît Duquesne et son invitée, Élisabeth Altschull.

B.D. : Bonsoir, vous êtes « urgentiste » (vous êtes mi-américaine, mi-française, je crois). Vous venez de publier « l’hôpital des ego ». On va en parler dans quelques instants mais auparavant quelques chiffres concernant les dépenses intérieures de « santé » en France : entre 1990 et 2000, le budget « santé » est en hausse de 22 %, alors que le nombre de « malades » a baissé de 5 %… Mme Altschull, vous avez regardé ce reportage, ils ont l’air un peu paumés, ces « urgentistes »

E.A. : Vous avez tout de suite mis le doigt sur un gouffre financier, les « facultés de médecine ». J’estime qu’elles sont complètement inutiles pour « les adolescents [[« pour les adolescents » = dans le secondaire]] », et complètement à réformer pour « soigner les enfants [[« pour soigner les enfants » = dans le primaire]] ». Les « facultés de médecine » ont incontestablement baissé la qualité de la formation des « médecins urgentistes ».

B.D. : Vous venez des USA (vous avez donc connu les deux systèmes) et vous dites : attention ! On risque de faire la même erreur en France qu’aux États-Unis avec cette passion pour la « recherche médicale [[« la recherche médicale » = les sciences de l’Education]] » !

E.A. : Bernard Shaw a dit que ceux qui ne savaient pas faire, « soignaient »… Votre reportage est extrêmement positif car il fait appel au bon sens : est-ce qu’on pense vraiment qu’il y a une théorie qui permette à « l’urgentiste » d’être un bon praticien ? Certes, il faut qu’il possède ses savoirs de base ; mais c’est aussi un Art, au sens le plus noble du terme, quand on est au contact des « malades ». Cela s’apprend par l’expérience, et par le fait d’être accompagné par des gens qui sont encore sur le terrain. Or, dans les « facultés de médecine » que vous décrivez, ce sont des gens qui ne « soignent » plus (ça peut être encore pire : on y trouve des chercheurs qui n’ont jamais « soigné »…)

B.D. :… une espèce de discours, de théorie qui s’est formalisée, comme ça, sur la science de l’apprentissage… On va citer des noms, puisque vous vous en prenez dans votre bouquin à un ancien ministre et à son conseiller, « le Professeur Schwarzenberg [[« le professeur L. Schwarzenberg » = le Professeur Philippe Meirieu]] ».

E.A. : Je pense que même le Ministre n’avait pas beaucoup d’illusions, comment dire, sur les théories de son conseiller…

B.D. : le « Professeur L. Schwarzenberg », je lui ai parlé longuement au téléphone, c’est vrai qu’il a plutôt l’air sérieux et plein de bon sens en même temps ! C’est aussi vrai que quand on lit ce que vous en rapportez, on est un petit peu sceptique… Par exemple (il lit sans respirer) : « Le syndrome de Plummer-Vinson associe une dysphagie aux solides, une anémie hypochrome, microcytaire, hyposidérémique, et des troubles cutanéo-muqueux (koïnolychie) ; ce syndrome représente un état pré-néoplasique qui s’accompagne d’un haut risque de survenue de tumeurs cancéreuses [(«  (…) » = le projet : dans le registre de la didactique, ce terme désigne d’abord l’attitude du sujet apprenant, attitude par laquelle il se trouve en en situation active de recueil et d’intégration d’informations ; les informations ainsi intégrées et mentalisées peuvent aussi être considérées comme des connaissances ; par extension, ce terme peut désigner la tâche qui finalise les activités de recueil d’informations du sujet.]] »

E.A. : (riant) respirez, maintenant !

B.D. : l’ai-je bien descendu ? (très sérieux) d’où ça vient, tout ça ?…

E.A. : ça vient des USA. Hélas, là-bas, les « chercheurs » ont gagné ! Résultat ? Maintenant c’est le système le plus cher de l’OCDE, mais c’est aussi le système le moins efficace.

B.D. : On va parler, dans le reportage suivant, de l’évaluation des « urgentistes » : comment peut-on dire si « l’urgentiste » est bon, si le « diagnostic » est bien fait ?

E.A. : Si vraiment on me donne le choix, je souhaite une évaluation par le « directeur de l’hôpital [[« le directeur de l’hôpital » = le chef d’établissement]] » : ce dernier a un point de vue réaliste, il voit si « l’urgentiste » assure, si les « malades » sont contents !

B.D. : pourquoi pas ! Notre prochain sujet concerne l’absentéisme des « urgentistes »… Encore un sujet qui fâche !…

(Avril 2004)
Gérard Hernandez, Enseignant documentaliste au collège Val de Charente, 16 Ruffec.