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Pédagogie institutionnelle au collège et autorité

Pour tenter d’appréhender les implications d’une pratique de pédagogie institutionnelle au collège sur la question de l’autorité, nous avons choisi de proposer une monographie suivie d’une lecture commentaire.

Nous commencerons par présenter le texte qui fera l’objet de notre commentaire.
Dans le courant psychanalytique de la pédagogie institutionnelle dans lequel nous nous inscrivons, nous définissons la monographie comme un récit écrit par un professionnel de l’éducation et qui a fait l’objet d’un travail d’élaboration en groupe. Nous proposons de distinguer différents types de monographies selon deux catégories de critères. D’abord selon l’objet de la monographie : on distingue des monographies d’élèves, de classes, d’écoles et d’institutions[[Ce terme désigne ici des institutions de la pédagogie institutionnelle, c’est-à-dire les dispositifs inspirés des techniques Freinet et mis en place dans des groupes.]]. Ensuite en fonction de la temporalité des événements décrits : on différencie les monographies des micro-monographies, ces dernières décrivant des « micro-événements »[[Imbert F. et le Grpi, L’inconscient dans la classe, ESF, 1996.]].

En fonction de ces critères, le texte ci-dessous est une monographie d’institution rédigée par Anaïs Gour, professeure de français dans un collège de banlieue parisienne, puis soumis au travail du « Groupe de pédagogie institutionnelle Paris-Créteil » (GPIPC), dont les auteurs de cet article sont membres. Ce groupe rassemble des militants de ce courant pédagogique, engagés selon des modalités diverses dans une pratique de la pédagogie institutionnelle en tant qu’enseignants ou formateurs, à différents niveaux du système éducatif. L’analyse de la pratique mise en œuvre dans ce groupe est clinique, dans la mesure où les élaborations portent principalement sur les processus inconscients à l’œuvre dans les institutions et dans les relations dans lesquelles les professionnels sont engagés.
Le commentaire qui suit prend en partie appui sur le travail d’élaboration mené dans le GPIPC au cours de la séance consacrée à cette monographie. Notre ancrage théorique étant celui de la clinique d’orientation psychanalytique en Sciences de l’éducation, les concepts convoqués ressortent principalement du champ de la psychanalyse.


Le Coin calme des élèves de quatrième

Pour la deuxième année, j’essaye de travailler en pédagogie institutionnelle (P.I.) en classe de quatrième. Au début de l’année, j’ai présenté les institutions : le Quoi de neuf ? du lundi matin, les Responsabilités, un Conseil de vingt minutes tous les quinze jours et le Coin calme.
Dans cette classe de vingt-sept élèves de banlieue parisienne, je pensais que les institutions pourraient fonctionner et offrir des espaces de parole et des lieux de régulation, car nombre d’élèves étaient souvent agités et agressifs entre eux. Et puis en même temps, proposer des institutions à des élèves qui n’en avaient jamais connu, sur un temps court – quatre heures de français par semaine – et sans avoir l’heure de vie de classe réservée au professeur principal, me donnait tout de même des appréhensions.

Le Coin calme a rencontré d’emblée un franc succès auprès des élèves. Quand j’en ai expliqué le fonctionnement, les élèves avaient été attentifs. Puis au cours suivant, deux voire trois élèves ont demandé à aller au Coin calme. J’avais énoncé les règles mais elles n’étaient pas affichées. J’avais présenté cette institution comme un espace où il est possible de s’isoler du reste de la classe. Ce n’est pas être au coin, mais c’est un endroit où chaque élève peut se retirer pour ne pas empêcher le groupe de travailler.

J’ai présenté le Coin calme comme un espace en autogestion, à savoir qu’un élève pouvait s’y installer seul et revenir dans le groupe de la classe quand il se sentait prêt. J’ai alors bien vite assisté au défilé Coin calme : Khalid, Abel, Cheyenne, Souha, Kevin puis Nicolas et Julien voulaient aller au Coin calme, trop contents de pouvoir circuler librement dans la classe, hélant au passage leurs camarades et n’écoutant pas grand-chose des activités en cours. J’ai alors limité à un élève par heure, puis voyant que les règles n’étaient pas suffisamment claires, j’ai décidé d’en parler lors d’un Conseil. Les élèves ont demandé si on peut écouter de la musique pour se détendre au Coin calme, si on peut être à deux, si on peut dormir. Ils ont testé, me semble-t-il, les limites de ce que je leur proposais. J’ai eu l’impression qu’ils cherchaient d’éventuelles failles pour s’y engouffrer et pour éprouver leur liberté, pour mieux chercher les lois. J’ai alors annoncé mon intention d’afficher des règles claires, rédigées à partir des dysfonctionnements des semaines précédentes et de leurs remarques.

Le lundi suivant, j’ai présenté un panneau que j’ai affiché au-dessus du Coin calme :

  • Les règles du Coin calme :
  • Un élève peut venir au Coin calme quand il se sent énervé ou fatigué et qu’il veut s’isoler.
  • Il faut prévenir le professeur quand un élève décide de venir au Coin calme.
  • Un seul élève par heure de cours peut aller au Coin calme.
  • Il est interdit de perturber le travail et l’écoute des autres quand on est au Coin calme.
  • Le travail qui n’est pas fait pendant ce temps de cours doit être rattrapé à la maison.

Khalid a posé des questions sur le sens d’« être énervé ou fatigué ». Nicolas a dit qu’il était tout le temps fatigué et donc qu’il irait tout le temps au Coin calme. Un jour, trois élèves, la mine décomposée, sont venus me voir en début d’heure pour aller au Coin calme. Bien embêtée, j’ai proposé alors une classe « calme » avec un temps de calme minuté. Et s’est mise en place la minute de calme, qu’il a fallu différencier de la minute de silence quand Antonin a demandé qui était mort !

Ce Coin calme a été le refuge des maux de ventre, des nuits trop courtes et des pleurs de fin de récréation. Il y a eu peu de cours sans que ce Coin calme ne soit occupé par un élève. J’ai moi-même éprouvé ses limites quand un peu fatiguée par les bruits d’animaux que faisait Abel, je l’ai vivement invité à aller au Coin calme, mais c’est l’élève qui décide lui-même d’y aller m’a-t-il rappelé. Une alternative à l’exclusion de cours le Coin calme ? Est-ce bien sa fonction ?

Au retour des vacances de printemps, Kevin, avant même de me saluer, me demande s’il peut aller au Coin calme. Je suis étonnée de voir à quel point ce Coin calme est présent dans l’esprit des élèves, après deux semaines de vacances. J’ai répondu que c’était possible, mais après le Quoi de neuf ?.
Après le Quoi de neuf ?, Kevin s’est levé et s’est installé au Coin calme tout en tournant la table vers ses copains. Le Coin calme qui bouge, toujours en recherche de limite et de place dans cette classe de quatrième, une place à prendre, un espace en construction avec des règles à préciser de façon toujours plus claire une institution qui m’amène aussi à prendre ma place et qui m’interroge sur la P.I. au collège.

Anaïs Gour


Que ce passe-t-il dans cette classe ?

Nous proposons maintenant une lecture commentaire de cette monographie d’institution, d’abord en essayant d’envisager la mise en place de l’institution du Coin calme, inspiré du Coin-petits tel qu’il peut exister dans le premier degré, comme un exemple d’un processus d’institutionnalisation. En effet, tous les membres du groupe, les élèves et la professeure en participant à la mise en place d’une nouvelle institution dans la classe, sont acteurs de ce processus, lequel nous semble pouvoir contribuer à la construction de l’autorité de l’enseignante.

La mise en place de l’institution s’accompagne d’un questionnement des limites par les élèves. Ils demandent si on peut écouter de la musique au Coin calme, si on peut y dormir. Ils cherchent d’éventuelles failles et éprouvent leur liberté. Il s’agit bien d’un mouvement de va et vient entre une institution, le Coin calme, et un cadre institué par l’enseignante, avec des limites, des lois et des règles. Le questionnement des élèves à propos des règles du Coin calme permet de tester les limites du cadre proposé et pas les limites de la professeure. L’institution joue donc un rôle de médiation entre la professeure et les élèves. En reconnaissant les élèves comme acteurs, eux-aussi, de ce processus d’institutionnalisation, Anaïs semble exercer une autorité qui « n’est pas un assujettissement […] mais tout au contraire, une mise en mouvement » (Imbert, 2004, p. 182) pour permettre aux élèves de grandir. Ce mode d’exercice de l’autorité caractérise ce que F. Imbert nomme « l’auctoritas ».

Ainsi envisagée, la construction de l’autorité relève d’un processus dont les élèves et la professeure sont acteurs. Lorsqu’Amir rappelle à sa professeure que « c’est l’élève qui décide lui-même d’aller » au Coin calme, alors qu’elle lui suggérait fortement d’y aller, il propose à Anaïs de « se mettre en mouvement », comme elle cherchait à le faire à son endroit.
En rappelant la règle, Amir aide sa professeure à se préserver d’une dérive « autoritariste » par laquelle elle est traversée. Il lui permet d’éviter de transformer le Coin calme en lieu d’exclusion au service de l’adulte seule. L’élève, en rappelant les limites, lui évite l’autoritarisme et renforce son autorité.

La mise en place du Coin calme dans cette classe, comme espace différencié qui permet pour un temps à l’élève de s’isoler du groupe, soutient un processus d’autorité envisagé comme un processus d’autorisation, qui permet à chacun de devenir auteur, de devenir sujet (Imbert, 2004).

« Vivre ensemble sans autrui »

Jean-Pierre Lebrun s’attachant à décrire les évolutions de notre société à partir de sa pratique clinique considère que nous vivons aujourd’hui une « mutation du lien social », où les places sont équivalentes et où la prévalence d’une place est plutôt d’emblée suspectée d’abus. Du fait de ce changement, « chacun peut se croire libéré de la dépendance à l’égard de l’autorité qu’impliquait la reconnaissance comme allant de soi de la place d’exception »[[Lebrun J-P, Mutation dans le social, entretien de J. Rouzel avec J-P. Lebrun, Cultures et sociétés, 2007. Article en ligne : http://www.psychasoc.com/Textes/Mutation-dans-le-social.]]. Pour lui, dans un tel contexte, l’enjeu est aujourd’hui de « construire – reconstruire – des normes en fonction de chaque situation, avec les protagonistes, et en tenant compte des éléments qui permettront, sinon de vivre ensemble, en tout cas de vivre à plusieurs » (Lebrun, 2007-a, p. 132).

Nous mettons en lien cette proposition avec le récit d’Anaïs pour tenter de renouveler les enjeux d’un processus d’institutionnalisation dans la classe, ici à partir de ce qui est à l’œuvre au Coin calme : « construire […] des normes en fonction de [la] situation », avec les élèves « et en tenant compte des éléments qui permettront de vivre à plusieurs ». Anaïs témoigne de ses hésitations et de ses doutes, des nécessaires mises au point avec les élèves. On voit ainsi comment progressivement, par les échanges rendus possibles dans le groupe par la mise en place d’institutions diverses, est institué un dispositif permettant provisoirement de « vivre à plusieurs » dans la classe.

Pour Lebrun, on assiste au développement « d’un vivre ensemble sans autrui », c’est-à-dire, à l’avènement d’un lien social dans lequel la distinction et la différenciation des places ne sont plus assurées. En conséquence, il lui semble « urgent de relégitimer la place différente à partir de laquelle chacun là où il intervient, peut entamer l’autre, le rencontrer au risque de l’entamer »[[Lebrun, 2007-b.]]. N’est-ce pas un des enjeux des institutions mises en place dans les classes : permettre la rencontre avec l’autre ?