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Paul Langevin et la réforme de l’enseignement

Cet ouvrage collectif, dirigé par Laurent Gutierrez et Catherine Kounelis, rassemble les Actes du séminaire tenu du 15 janvier au 14 mai 2009 à l’École supérieure de physique et de chimie industrielles de la ville de Paris. Dans leur contribution, les auteurs rappellent ou précisent le rôle de Paul Langevin dans les réformes et tentatives de réforme de l’enseignement des années 1920 jusqu’à sa mort en 1946. Ce faisant, sont mis en perspective les différents essais de démocratisation de l’enseignement secondaire dans la première partie du vingtième siècle puisque, comme le souligne Catherine Kounelis dans l’introduction du livre, « l’intérêt de Paul Langevin pour les questions d’éducation remonte à la réforme de l’enseignement de 1902 ». Grâce à des synthèses d’un très haut niveau et très complémentaires, plusieurs universitaires remettent ainsi en lumière, et avec un éclat parfaitement justifié, l’importance de Paul Langevin dans l’histoire de l’éducation.
On lit notamment avec intérêt l’article de Bernadette Bensaude-Vincent (chapitre 1) qui montre que, dès cette période, les réflexions de Paul Langevin, grand scientifique, mais aussi pédagogue convaincu, « sur l’école et le système scolaire procèdent essentiellement d’une certaine idée de la science et du rôle du savant dans la société ». Alain Gutierrez rappelle que Paul Langevin prête son nom et donne son temps à des associations pédagogiques, notamment en présidant la Société française de Pédagogie et le GFEN. Paul Langevin soutient avec vigueur les promoteurs de l’éducation nouvelle, se fait l’ardent propagandiste des méthodes actives et prend en compte les expériences pédagogiques menées à l’étranger (chapitre 2). Il dénonce sans relâche, en particulier avec les Compagnons de l’Université nouvelle, les inégalités que l’école entretient à travers le jeu de la sélection des études primaires et secondaires. La belle synthèse de Bruno Garnier sur Paul Langevin et les Compagnons est à cet égard très éclairante (chapitre 3). Antoine Savoye (chapitre 7), explique pourquoi l’expérience des classes nouvelles à la Libération « est indissociable de la Commission Langevin », classes nouvelles précise l’universitaire, abandonnées en raison de l’erreur qui a consisté à négliger « les relais politiques » et du trop grand espoir placé « dans une évolution spontanée du monde scolaire ».
On l’aura compris, ce livre permet aussi de mieux comprendre le contexte historique et politique de l’élaboration du plan Langevin-Wallon (voir la très utile chronologie du plan Langevin-Wallon livrée par Pierre Boutan dans le chapitre 9), et de mieux connaitre ses différents acteurs. Laurent Gutierrez et Annick Olayon évoquent Henri Wallon dans le chapitre 5, « le deuxième homme », Catherine Dorison et Pierre Khan mettent en valeur le rôle déterminant de Roger Gal et de ses travaux sur l’orientation scolaire (chapitre 6). Bruno Poucet, en traitant de la réception du plan Langevin-Wallon dans l’enseignement catholique (chapitre 8), montre l’attitude ambivalente de l’enseignement catholique : un rejet du plan par « crainte du communisme mais, en même temps, une véritable curiosité pour la rénovation pédagogique ». Dans sa contribution (chapitre 4), Antoine Prost rappelle avec sa clarté et son expertise habituelles les conditions dans lesquelles la commission (présidée par Paul Langevin de novembre 1944 jusque l’été 1946 puis par Henri Wallon) a travaillé et formulé ses propositions. Surtout, l’historien explique en quelques formules et paragraphes particulièrement percutants pourquoi « la commission a perdu la bataille qu’elle menait. Le plan Langevin-Wallon n’est pas un programme : c’est un testament », et passe en revue les raisons de l’échec d’un plan qui restera malgré tout une référence : le contexte économique, l’indifférence de socialistes, les réticences communistes.
Mais, en livrant de nombreuses citations de Paul Langevin, les auteurs de cet ouvrage qu’il faut absolument lire et méditer nous donnent également à réfléchir pour les temps actuels. Veut-on quelques exemples ? Quand Paul Langevin nous dit que « l’enfant prématurément spécialisé a trop de tendances à se renfermer dans le cadre étroit des préoccupations professionnelles où se développe l’esprit de caste ou de classe » (Rapport de la Commission de l’école unique, 1924), il nous invite encore aujourd’hui à bien peser le sens de toutes les tentatives effectuées depuis les essais de mise en œuvre du collège unique pour soi-disant offrir à certains élèves, avant même la fin de la scolarité obligatoire, des dispositifs en alternance qui ont toujours été, au bout du compte, des filières de relégation. Et on peut remarquer que cela concerne rarement les enfants de cadres et d’enseignants, mais toujours ou presque les enfants des milieux populaires. Ou encore quand, en 1930, alors que l’enseignement secondaire est encore réservé à une minorité augmentée de quelques boursiers, Langevin déclare au Congrès de la Ligue des Droits de l’Homme, « il ne s’agit pas de puiser en quelque sorte dans la masse un petit nombre de privilégiés pour leur donner ce que jusqu’ici on a appelé la culture, pour en faire des dirigeants qui auront l’orgueil d’exercer une activité supérieure aux autres », il nous conduit à redoubler d’efforts pour que les politiques scolaires d’aujourd’hui soient bien au service de la réussite de tous et ne se préoccupent pas seulement, comme pouvait l’exprimer au même moment le philosophe Alain, de sortir du lot quelques « rois nés du peuple », afin de donner « un air de justice à l’inégalité ».
Enfin, s’agissant plus particulièrement de l’absence d’issue politique au plan Langevin-Wallon, il est sans doute une leçon que ce livre, et particulièrement la contribution d’Antoine Prost, nous invite à méditer : un plan progressiste pour l’éducation est condamné à l’échec sans une volonté politique capable de résister aux corporatismes et aux conservatismes de tous bords. Dans l’attente de cette volonté politique capable de faire faire de nouveaux progrès à la démocratisation de la réussite scolaire, les résultats de PISA 2009 montrent avec éloquence que notre « élitisme républicain » sert toujours l’élite, de moins en moins bien d’ailleurs, mais sert assez peu, et de plus en plus mal, notre République.

Jean-Paul Delahaye