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Patron, patronne

Je m’amuse bien à voir la question scolaire traitée dans les téléfilms. Qu’est-ce que ça donne ? Collège ou LP pourri, profs amers, gosses hargneux. Arrive une patronne efficiente : femme d’un certain âge, ferme et diplomate, qui reprend en main ces gamins que sont les enseignants, affronte en tête à tête le leader banlieusard, mauvaise tête mais bon cœur et le retourne comme un gant (« Comptez sur moi, M’dame ») en lui montrant qu’elle écoute du rap et sait juger la valeur d’un beau tag. Après quoi, elle fait repeindre les chiottes, à l’œil, par un parent d’élève entrepreneur local… Et voilà ! Ça remarche !

En trente-sept ans de métier, j’ai connu trois chefs d’établissement épatants, chacun dans son style. Quelques hommes ou femmes compétents et efficaces. Et une sacrée collection de nuisibles ou d’andouilles.

Celui qui cassait toutes les initiatives, même pas par choix politique : par goût de sa tranquillité. Celle qui, ignorant que dans son établissement toutes les portes sont numérotées, prévoyait des cours dans le placard à balais. Ah ! Je pourrais en raconter durant les longues soirées d’hiver…

C’est manifestement un métier à profil. Il demande un sens de l’organisation assez rare. Mais surtout, il me semble qu’il demande d’abord du courage.

Courage de secouer un peu les privilèges acquis. Un principal de collège affectait systématiquement tous ses profs tour à tour aux CPPN. Pas mal, non ? Un autre installait les classes de transition de jadis dans les meilleures salles. Il fallait y penser, n’est-ce pas ?

Courage de composer les emplois du temps dans l’intérêt des élèves, et pas pour remercier Untel ou en faire baver à Machine.

Courage de faire durer les conseils de classe autant qu’il le faut, même si un tas de profs se trouvent des impératifs urgentissimes pour abréger et s’esquiver après une demi-heure.

Courage d’être ferme face aux pressions parentales, qu’elles proviennent de groupes politiques, religieux ou patronaux.

Le juridisme du modèle yankee qui se développe actuellement leur demande encore plus de courage. Tentation de faire vivre l’établissement à l’étouffée, d’escamoter les choix, d’interdire les initiatives par crainte d’un procès, d’un recours auprès des tribunaux : les parapluies s’ouvrent comme champignons après l’ondée. Drôle d’attitude éducative.

Courage et aussi patience indulgente. Cela m’avait déjà frappé en lisant des livres aujourd’hui anciens, Le lycée impossible de Rouède, ou, plus connu, Libres enfants de Summerhill : le fantasme d’un contact direct entre le chef d’établissement charismatique et la masse des élèves. Les enseignants ? Un peu oubliés. Tous des réacs. Cas désespérés.

C’est parfois vrai, peut-être. L’admirable Vincent Ambite (Il s’est passé quelque chose à Cassis) a sans doute laissé sa santé et, en somme, sa vie dans ce combat passionné pour faire bouger tous ses enseignants.

Mais enfin, si on désespère des adultes, et des enseignants en particulier, il vaut mieux choisir un autre métier. Le pouvoir, ça se délègue, ça se démultiplie, ça se relaie, non ? Est-ce qu’il n’y a pas là l’amorce d’une solution ?

Patience, science tactique et… Et compétence technique. Des emplois du temps catastrophiques, plusieurs années consécutives, et voilà un établissement qui s’effondre : rentrée pagailleuse, horaires ingérables (cours le vendredi de 5 à 6, par exemple), de préférence pour les disciplines les plus abstraites, ou pour les enseignants débutants. Et le climat devient désastreux : tensions, conflits et infractions graves se multiplient. Je sais de quoi je parle.

Personne n’est obligé de prendre ces fonctions. J’admire les copains et les copines qui les exercent, et fort bien. Ils ont des qualités que j’envie ; je ne suis pas sûr, pas sûr du tout, que le recrutement des chefs d’établissement se fasse sur ces qualités-là. À vue de nez, c’est trop souvent tout le contraire.

Philippe Lecarme, Professeur honoraire de lettres.