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Parents-école : sortir de l’incompréhension réciproque

Au-delà de l’épiphénomène médiatique, pour Paul Raoult, président de la FCPE, cet évènement a révélé une défiance, sur fond de malentendus et d’incompréhensions : « Des parents se sont tournés vers nous, sans véhémence, et ne voulant pas qu’on les considère comme des extrémistes. Mais certains propos avaient heurté leurs convictions : la pilule pour eux, par exemple, s’apparente au péché. On ne doit pas l’oublier. » Et ces points de vue ont-ils une place ?
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Justement non, selon Marie-Claire Michaud, fondatrice d’École et Famille, Réseaux famille-école-cité, qui considère que l’espace de débat n’existe plus dans les rapports sociaux : « On cherche trop rapidement des solutions à des problèmes, on ne prend plus le temps de la confrontation des points de vue. Les politiques sont trop pressés d’obtenir des résultats, des changements de pratiques. C’est une position légitime, certes, mais le meilleur moyen de parvenir à entendre le discours d’un autre, c’est d’avoir été entendu soi-même. »

Alors que l’on s’approche de la sphère intime des convictions, sourdes les unes aux autres, les difficultés apparaissent plus nettement. Et si l’on se tourne vers les représentations qu’ont les acteurs les uns des autres, c’est même l’incohérence qui saute aux yeux : « L’école a l’impression qu’il n’y a plus d’autorité dans les familles. Dans les familles, on pense que l’école est devenue un endroit déserté par l’autorité », avance Didier Lapeyronnie, professeur de sociologie à l’université Paris Sorbonne, interrogé pour sa connaissance des mondes populaires.
Pour lui, ces représentations erronées sont entretenues et même accentuées par le fait que l’école se vive comme un endroit fermé, catégorisé, avec des enseignants qui parfois considèrent que passé le seuil de la classe il n’y a plus d’enfants mais des élèves, et que les enseignants sont des enseignants, les parents sont des parents. « Le mythe de la rationalité est encore très prégnant. Il entretient l’idée que l’école est détentrice de la raison et que la raison est le remède suprême. Pour cette raison, l’enfant devrait être arraché à sa famille. » On peut ajouter que cette impression de lieu fermé est entretenue par des pratiques fortement discriminatoires : beaucoup de règles en vigueur, autour du comportement comme de l’apprentissage, sont et restent de l’ordre de l’implicite, accessibles à ceux qui les connaissent déjà ou qui ont les mêmes à la maison : les familles de milieu favorisé et les familles d’enseignants au premier chef, l’affaire est connue. Paul Raoult le confirme : « Les enseignants peuvent expliquer à leurs enfants ce que veulent leurs professeurs. »

Fractures

Didier Lapeyronnie va plus loin encore. Il parle des décalages, pour ne pas dire des ruptures : entre l’école et les parents, entre différents types de familles et même entre certaines familles et les institutions.

Décalages entre les attentes des familles et leurs modèles éducatifs d’abord : dans les classes moyennes, sont visés l’autonomie, la responsabilité, ou encore la construction de soi. Le dialogue est un outil éducatif. Les attentes vis-à-vis de l’école sont alors de cet ordre-là. Seulement, ces catégories plus favorisées doutent de l’efficacité de l’école pour faire réussir leurs enfants. Et dans les familles dites populaires ? « L’encadrement sera plus strict, avec une dimension punitive plus affirmée, avec une éducation très sexuée, tournée vers l’extérieur pour les garçons, vers l’intérieur pour les filles. Et sur les bulletins, seront toujours vérifiés en premier lieu les commentaires concernant le comportement », précise Didier Lapeyronnie. On voit poindre des différences importantes dans les modèles éducatifs et de fait dans les attentes scolaires. Si l’on ajoute que les enseignants sont de moins en moins issus des milieux populaires et qu’ils ne vivent que rarement là où ils enseignent, le décalage s’amplifie. Seulement il y a encore plus grave, et Paul Raoult le confirme, puisque la faille est sociale et sociétale : « Notre société est une société qui exclut : le RSA, qui est une nécessité, crée tout de même par là un statut de l’exclusion. » L’exclusion se marque encore davantage lorsque les familles concernées sont délégitimées dans leur rôle éducatif par l’école ou les services sociaux (voir l’article de Bruno Masurel à la page suivante). La situation est grave, selon Didier Lapeyronnie : « Les catégories sociales défavorisées sont dans une forme de divorce et d’éloignement d’avec toutes les institutions, pas seulement l’école. »

Remèdes

Mais que faire ? Pour Didier Lapeyronnie, d’abord observer et mener une réflexion large sur la reconstruction de la légitimité de l’école et des institutions politiques. Une réflexion patiente : « Il s’agit d’abord de prendre conscience de la brutalité des changements éducatifs, du fait que nombre de familles se retrouvent avec un modèle éducatif à l’école opposé au leur à bien des points de vue. » Pour Jean-Pierre Fournier, coordonnateur de réseau de réussite scolaire, il est indispensable que les enseignants connaissent mieux les habitus des familles : « Sortir de ce que l’on connait et croit unique. Ne pas tout calquer sur le modèle de fonctionnement des familles des enseignants. »

Viennent aussi l’explication et la sortie de l’opacité si souvent relevée et reprochée à l’école : « On doit pouvoir échanger et expliciter nos choix pédagogiques, seul moyen de faire circuler la confiance entre les adultes autour d’un enfant. Cela suppose que nous soyons clairs sur nos choix, ouverts au regard extérieur et à la critique. Si l’on reconnait la place légitime des parents dans l’éducation, l’inverse sera, je dirais, presque garanti », pense Catherine Hollard, enseignante en CP. Mais attention cependant que l’école puisse être le lieu d’une construction de la liberté de l’élève : « Dans certains cas, l’émancipation des enfants se fera contre, ou en tout cas loin des familles », rappelle Jean-Pierre Fournier.

Il reste enfin à trouver les conditions du dialogue et de la rencontre, en ouvrant le nombre des participants, selon Sophie Dargelos, chargée de mission développement de la relation à l’école aux Francas, puisque « on peut apprendre partout » : l’éducation revient à la famille, à l’école, mais y contribuent les pairs, les associations, les centres de loisirs. Sortie de la relation duelle et ouverture vers un débat citoyen donc. Pour Catherine Hollard, « la réforme des rythmes de l’enfant devrait permettre de créer des lieux de rencontre partagés, et c’est un des bénéfices majeurs que l’on pourra en retirer ». Mais se rencontrer où et comment ? Un arrêté ministériel récent impose de mettre en place des espaces à disposition. Gérard Heinz, principal de collège, recommande de penser « un endroit accueillant qui permette un échange d’égal à égal, où seront abandonnées les postures de celui qui sait et celui qui doit apprendre ». En permettant aux modes de vie de s’approcher les uns des autres et de s’apprivoiser, aux points de vue de se confronter, aux difficultés sociétales d’être observées et combattues avec persévérance, on peut espérer voir la brutalité des fractures entre les parents et l’école s’estomper. À nous tous de faire passer la rencontre du statut d’évènement à celui d’ordinaire.

Christine Vallin