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Parent méritant contre parent démissionnaire

Ah, les relations parents-école ! Pas loin de 135 ans de tensions ou d’incompréhension mutuelle malgré lois et décrets. C’est que l’histoire pèse lourd. L’histoire collective, avec la construction de l’école de la république, et l’histoire individuelle, avec des parents qui ont peur de retourner à l’école pour y parler de leurs enfants. Qui sont les « bons parents », qui sont les « mauvais » ? Existent-ils même ?


« Trop de parents démissionnent, ne remplissent pas leur rôle de parents, ce qui est la cause numéro 1 des difficultés des enfants à l’école. Il faut leur rappeler leurs devoirs. »

Il est intéressant de noter que notre société qui a théorisé le parent « démissionnaire », a également découvert le burn out parental. La presse, les spécialistes et même Hollywood surfent sur cette supposée dichotomie entre bon et mauvais parents. D’un côté la « maman calme » de Florence Foresti (spectacle Madame Foresti de 2015), de l’autre les Bad moms du film de Jon Lucas et Scott Moore. Pourquoi alors que nous savons que les « maman instagram » ne sont que des images mises en scène et fantasmées, est-ce si difficile de se détacher de ce concept de parent démissionnaire ?

« Après 1968 et la dénonciation des méfaits des pères sévères, on souligne avec autant de conviction et d’arguments en 1990 les dégâts des pères démissionnaires. Une seule certitude dans cette valse des récriminations : les parents font toujours mal même lorsqu’ils croient bien faire. »

François de Singly, Le Soi, le couple et la famille, Nathan, 1996.

Un peu d’histoire

« Démission parentale », c’est par ces mots que le concept de « parent démissionnaire » est apparu dans les médias français en 1998. Il s’agissait de propos tenus par le ministre de l’Intérieur de l’époque au cours d’une conférence de presse sur la lutte contre les violences urbaines. Jean-Pierre Chevènement avait alors qualifié de « sauvageons qui vivent dans le virtuel » les auteurs de ces violences. Une circulaire ministérielle (quel ministère ?) de la même année posait même la notion de la démission parentale comme fait avéré : « les pouvoirs publics doivent s’efforcer de remobiliser les parents et inciter les parents à exercer toutes leurs responsabilités ».

Par la suite, ce thème de la « démission parentale » a occupé le débat public concernant essentiellement la délinquance des mineurs, particulièrement pendant l’année 2006, suite aux « émeutes » de novembre 2005. Peu à peu, l’expression est passée dans l’imaginaire collectif et a intégré l’école.

Ce concept a d’autant plus facilement intégré l’école que celle-ci a un rapport particulier aux parents. L’École de la République, à sa création, s’est construite « contre les parents », au sens où elle cherchait à sortir les enfants de leur milieu social et culturel, et participer ainsi à la formation de la nation française. Pendant longtemps, l’École n’avait donc pas d’attente vis-à-vis des parents.

L’injonction qui est faite actuellement aux parents de suivre la scolarité de leur enfant n’a pas été véritablement suivie d’un changement de regard et de pratique des professionnels de l’éducation, en particulier avec les parents issus de milieux défavorisés, moins à l’aise avec les codes et la culture scolaires.

Reconnus membres de la communauté éducative, les parents peuvent désormais venir à l’école. Alors pourquoi certains n’en passent-ils pas la porte ? Même quand ils y sont « convoqués » ? L’explication la plus facile est trop souvent celle de la démission parentale. Elle ne remet pas en question le fonctionnement de notre système éducatif. Elle fait de la coéducation, une douce utopie ou du moins un principe qui ne serait valable qu’avec certains parents, ceux qui jouent le jeu et qui n’en discutent pas les règles. Et si les parents n’étaient plus convoqués mais invités à échanger de la scolarité de leur enfant et encouragés à participer à la vie de l’école ?

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Élève en échec, parents démissionnaires ou parents en échec et élève démissionnaire ?

La massification de l’enseignement, marquée notamment par la mise en place du collège unique, ne s’est pas accompagnée de sa démocratisation, engendrant une problématique nouvelle dans l’Education nationale : l’échec scolaire. Face à cette difficulté à faire réussir tous les enfants, la question de la place et du rôle des parents a pris une place croissante.

Parfois utilisés comme alibi pour justifier l’échec du système éducatif, les parents sont alors perçus comme responsables de l’échec de leur enfant, que ce soit de manière active (mythe du parent démissionnaire) ou de manière indirecte, avec une définition par le « manque » des parents qui ne correspondent pas aux attentes de l’institution scolaire (souvent implicites d’ailleurs). Dans la représentation de nombreux décideurs politiques et professionnels de l’éducation, l’école doit alors « compenser » ce que ces parents ne donnent pas à leur enfant : accès à la culture, apprentissage du métier d’élève… sans jamais regarder ce que ceux-ci ont à apporter à l’institution scolaire ou leur investissement dans la réussite de leur enfant. Comment demander à des parents qui se sentent négativement perçus dans l’école d’y entrer et d’y trouver leur place ?

En parallèle, des recherches ont été menées en France et à l’étranger, notamment pour sortir de cette vision biaisée, qui en plus de stigmatiser de nombreuses familles, freine l’implication des parents dans l’Ecole. Et les résultats sont clairs : toutes montrent qu’un dialogue constant entre parents et enseignants, ce qui implique une véritable coopération, les uns s’appuyant sur les autres, permet un meilleur apprentissage des jeunes et amplifie leur réussite. Ainsi, associer les parents est un moyen de lutter contre l’échec scolaire et les inégalités face à la réussite. En partant de ce constat, le législateur a affirmé, dans la loi de refondation de l’Ecole de juillet 2013, qu’améliorer les relations famille/Ecole est un levier de changement du système éducatif pour le rendre plus égalitaire et bienveillant. Mais sur le terrain, le chemin reste long pour reconnaître pleinement tous les parents et rendre effective la coéducation.

Le parent méritant existe-il ?

Pour mieux comprendre le parent démissionnaire, tournons-nous vers son exact opposé, le parent méritant.

Toujours souriant, toujours à l’heure, impliqué dans l’éducation de son enfant et sa scolarité, sans jamais être envahissant. Disponible, mobilisé, impliqué, le parent méritant a un travail pour ne pas étouffer son enfant de sa présence, un travail valorisant et à responsabilités pour que son enfant puisse avoir un modèle sur lequel se projeter. Mais son travail ne lui prend pas non plus trop de temps, afin qu’il puisse consacrer à son enfant un temps suffisant pour son développement et son équilibre affectif. Son enfant est poli, intéressé par l’école, ses devoirs sont toujours faits, ses cahiers bien tenus, il n’oublie jamais ses affaires, dort suffisamment toutes les nuits, ne s’ennuie jamais en classe, ne bouscule pas ses camarades, mange des légumes et ne court pas dans les couloirs. Idéalement, l’enfant pratique également un certain nombre d’activités extrascolaires mais sans que cela empiète sur son temps de classe. Il part également en voyage linguistique pour développer ses compétences en langues.

Bref, l’idéal type du parent militant est cadre, avec des moyens financiers et culturels conséquents mais un emploi du temps suffisamment léger pour ne pas être un parent absent. Statistiquement, cet idéal type est minoritaire dans la population. Le nombre moyen d’enfants par femme cadre en France étant inférieur au reste de la population, la représentativité des enfants de ces « parents idéaux » dans l’ensemble de la population scolaire est nettement minoritaire. Inversement, alors que les ouvriers représentent 28 % de la population active, les enfants issus de cette catégorie sociale représentent 40 % des écoliers.

Par ailleurs, tout parent normalement constitué le sait, on ne peut pas correspondre à l’idéal type du « parent méritant » 100 % du temps.

Chaque parent le sait, il y a toujours, une fois dans l’enfance de notre progéniture un moment où nous avons « démissionné ». Laisser la télévision allumée pour pouvoir petit-déjeuner en paix, acheter des bonbons au supermarché pour en finir avec une crise, oublier le rendez-vous avec la maitresse, acheter un cahier 21×29,7 plutôt que 24×32, compatir à une punition scolaire que nous même nous trouvions injuste.

Et si, finalement, on acceptait que les parents comme les enfants ne puissent jamais être parfaits ? Si nous prenions exemple sur les pays du nord de l’Europe, où il est désormais admis que les parents ont parfois besoin d’être accompagné dans leur parentalité, pas seulement à la naissance de leur enfant, mais jusqu’à sa majorité. Et pas seulement les parents qui ne correspondent pas aux attendus de l’école, à qui il faudrait faire de l’aide à la parentalité car ils ne sauraient pas bien s’y prendre. Tous les parents doivent être reconnus dans leur fonction parentale et peuvent avoir besoin d’être épaulés.

Liliana Moyano
Présidente de la FCPE


Ce qu’en dit Olivier Maulini
« Choisir le partenariat, c’est a priori renoncer à deux solutions de facilité : se soumettre entièrement aux attentes des parents, au nom du service aux usagers ; les ignorer complètement, au nom de l’indépendance et de l’expertise institutionnelles. C’est tenter de résoudre le dilemme de la clôture scolaire en choisissant une sortie « par le haut » qui institue, partout dans l’école, des espaces de discussion et de coopération : conseils, groupes de travail et d’échange, commissions, entretiens, soirées d’informations et de débats, classes ouvertes, projets communs, etc. Dans ce cas, les familles et leurs associations ne sont plus seulement des consommatrices plus ou moins avisées, mais les promotrices d’un projet collectif qui dépasse leurs intérêts particuliers. »

« La place des parents dans l’école : consommateurs ou partenaires ? », Laboratoire Innovation – Formation – Éducation (LIFE) de l’université de Genève, 2001.


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Des élèves plus prioritaires que d’autres Avant-propos de Florence Castincaud et Jean-Pierre Fournier au N° 520 des Cahiers pédagogiques, « École et milieux populaires »

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N° 465 des Cahiers pédagogiques, « École et familles » Dossier coordonné par Peggy Colcanap et Jean-Michel Faivre

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