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Ouvrir l’école et les apprentissages pour aujourd’hui et pour demain

Jeanne-Claude Mori, professeure des écoles à Altkirch dans le Haut Rhin, vit depuis plus d’une semaine la nouvelle expérience de l’enseignement par temps de confinement. Elle y voit une chance de renforcer le lien avec les familles, d’œuvrer plus fort encore pour l’accessibilité des savoirs et de la culture. Rencontre avec une enseignante engagée pour la démocratisation de l’école.

Elle est devenue professeure aux dernières heures de l’École normale et a démarré tout de suite sur le terrain, tellement vite qu’elle a remplacé au pied levé une directrice en arrêt de travail. « L’inconscience de la jeunesse. Et puis, les charges administratives moins lourdes qu’aujourd’hui. » La formation était disséminée avec six semaines de stage de ci de là. Sa titularisation obtenue, elle choisit de faire des remplacements pour se former en observant ce que faisaient les autres. Elle reprend ses études trois ans durant tout en travaillant, pour passer une licence et une maîtrise de sciences de l’éducation. Elle y trouve les fondements théoriques qui lui semblaient lui manquer. Remplaçante dix ans par choix, elle exerce ensuite en cycle 3 en zone d’éducation prioritaire puis dans une école non classée à Mulhouse.

Elle mène alors un projet avec la scène nationale « La Filature », né de débats philosophiques. « J’organisais des débats hebdomadaires dans ma classe pour régler les soucis au quotidien. Je notais tout pour favoriser l’autonomie dans les débats et dégager des idées de thèmes de discussion à visée philosophique. » Trois intervenants viennent en classe, une comédienne, une musicienne et un plasticien, pour transformer les idées en création artistique sur le thème de la différence. Au bout des deux ans, un spectacle est donné par les élèves à la Filature dans des conditions et avec des moyens dignes de professionnels : des loges, vingt personnes à disposition, une billetterie. Dans le hall est affichée l’exposition réalisée sur l’histoire du théâtre à travers les âges. Le spectacle est filmé et chaque enfant repart avec un DVD. L’initiative est récompensée par la Fondation de France.

Elle constate la transformation de sa classe qui, à force de partager et d’apprendre ensemble est devenue un groupe uni, différent. « Tout était raccroché au projet dans ce que j’enseignais avec de multiples entrées pour permettre à chacun de s’y retrouver, de trouver une motivation par l’expression orale, la musique ou les arts plastiques et de réussir dans les apprentissages scolaires. » Elle souligne la confiance trouvée par les élèves dans la reconnaissance par le groupe de leurs apports et, par ricochet, pour leurs capacités à apprendre. L’un d’eux, initialement orienté vers une SEGPA, intégrera une classe de 6e ordinaire.

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Ateliers artistiques avec les collégiens de Segpa.

En maternelle

Depuis neuf ans, elle est professeure en maternelle en petite et moyenne section, pour une classe de trente-trois élèves cette année, à Altkirch, petite ville du Haut-Rhin. En arrivant, elle investit les partenariats existants, les étoffe pour mettre en œuvre la pédagogie de projet, clé de voûte de son approche. Elle travaille avec les sections « Service à la personne » du lycée professionnel voisin pour des ateliers intergénérationnels avec les pensionnaires d’une maison de retraite. Les enseignants du lycée proposent et préparent les ateliers avec les lycéens qui les animent ensuite en présence d’encadrants. « Cela peut-être une animation pour la galette des rois ou des ateliers jeux que les élèves et les personnes âgées peuvent faire ensemble comme le memory. Les deux extrêmes de la vie sont capables de faire ensemble. » À chaque fois, il y a des comptines, un goûter, et de joyeux moments partagés qui ouvrent les petits à la différence.

Les lycéens professionnels viennent aussi dans l’école pour des temps d’animation, lors de la semaine du gout par exemple. Des séquences autour des arts plastiques sont communes avec des élèves de SEGPA (section d’enseignement général professionnel adapté), avec l’appui du Centre régional d’art contemporain, pour la rencontre avec un artiste en résidence ou un travail à partir d’une œuvre. Les collégiens animent des ateliers pour les élèves de moyenne section, les préparent au préalable pour rôder leur animation, préparer le matériel et leurs explications. Ils le font sous le regard des enseignants. « Les collégiens en sortent grandis car on les a écoutés, c’est une reconnaissance de ce qu’ils savent faire avec les petits, de leur rôle. »

Dans sa classe, elle accueille aussi des stagiaires en section petite enfance ou service à la personne, ou encore des étudiants en Master 1 ou 2 des métiers de l’enseignement. Les partenariats ont été inscrits par ses soins dans le projet de l’école et partagés avec les nouveaux collègues pour que les initiatives perdurent.

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Animation intergénérationnelle avec les lycéens à l’Ehpad d’Altkirch

L’art et la découverte de la différence se lisent en filigrane de ses pratiques, comme des fenêtres sur un monde plus grand que celui que l’on destine sans le dire aux enfants des quartiers défavorisés qui, très tôt, ont accès à moins de savoirs, de culture.

Renforcer le lien avec les parents

Elle n’en oublie pas les parents, pour les associer à cet élan démocratique que devrait favoriser l’école. Lorsque les consignes de fermeture des écoles ont été annoncées dans le Haut-Rhin, elle y a pensé très fort, voyant là une occasion rêvée de renforcer le lien avec les familles, surtout celles pour qui l’école demeure un monde étranger, inaccessible, une terre où ils ne sentent pas à leur place et encore moins chez eux. « La continuité pédagogique est une nouvelle occasion d’échanger avec les parents, de leur donner des outils pour la réussite. La nécessité permet de rentrer en contact avec eux. » Ils n’ont pas tous des mails, certains sont illettrés, alors les enseignants de l’école ont contacté chacun d’entre eux par téléphone pour leur expliquer comment cela allait se passer, leur dire aussi que des permanences seraient organisées pour venir chercher les documents et le cahier de vie. « Tous n’ont pas un ordinateur et imprimer des documents en couleurs a un coût. »

Jeanne-Claude Mori prend soin d’associer les parents aux activités préconisées, des tâches du quotidien transformées en source d’apprentissage ou, en miroir, des exercices qui trouvent une prolongation dans la vie de tous les jours, passent par le jeu, se partagent en famille : des cartes à découper, des mots à composer à partir de lettres dénichées dans les journaux. Elle a pris garde à rédiger des consignes et conseils exempts de « jargon » professionnel, à proposer des activités accessibles à tous, des conseils aussi, pour gérer le stress. « L’idée est que les activités se prolongent au-delà du coronavirus, que les parents reprennent confiance dans leurs capacités éducatives et continuent ensuite à aider leurs enfants. » Elle a décrit et partagé ses consignes dans un article coécrit avec de nombreux militants du CRAP-Cahiers pédagogiques pour le site des Cahiers pédagogiques.

Elle voit cette drôle de période comme une façon de réfléchir sur ses pratiques pédagogiques, pour favoriser encore plus une école démocratique, accessible. Elle ne sent pas l’ennui poindre. À partir de cette semaine, elle sera dans son école deux jours en continu par semaine pour accueillir les enfants de soignants. L’exercice sera nouveau : les élèves de niveaux différents viendront avec le travail donné par leurs enseignants. Son rôle sera de les aider à s’organiser, d’animer les temps de pause, de faire réchauffer le repas, le tout en gardant les distances de sécurité requises. Se porter volontaire allait de soi pour elle, qui porte un regard positif sur cette drôle de parenthèse qui s’impose à nous : « je suis certaine qu’il va en naître de belles choses, des solidarités nouvelles », conclut-elle avec un optimisme contagieux.

Monique Royer

Téléchargez les conseils et consignes donnés par Jeanne-Claude Mori aux parents dans cet article