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Où en sont les établissements innovants en France ?

Comment se portent la Fespi et les établissements publics innovants ?

La Fespi est une jeune fédération née il y a deux ans afin de regrouper les collèges et les lycées publics qui se réclament d’une approche alternative de l’école. Notre approche de l’innovation est globale et ne se limite pas à ce qui se fait dans la classe. Nous fédérons actuellement onze structures que l’on peut qualifier d’innovantes, d’expérimentales ou d’alternatives. Pour une jeune fédération, c’est déjà un beau résultat d’être parvenu à fédérer toutes ces structures qui ne sont pas identiques : elles ont des préoccupations semblables, des approches similaires mais des réponses différentes. Nous avons signé avec le ministère de l’Éducation nationale, le ministère de tutelle de toutes ces structures, une convention qui demande à la Fespi d’animer le réseau des établissements expérimentaux et lui demande de réfléchir à leur évaluation. Ces établissements bénéficient également, depuis l’an passé, d’une meilleure reconnaissance politique et juridique grâce à l’action de la Fespi. La fédération se porte bien mais la situation peut être très différente d’une structure à l’autre et certaines connaissent des problèmes assez sérieux. Le collège de la 7e île à Brest a ainsi été fermé en juin 2006 de façon assez brutale. La Fespi a alors perdu un de ses membres. Tout n’est pas facile et le contexte politique actuel n’est pas forcément favorable au développement des structures scolaires alternatives. Chaque structure repose avant tout sur la dynamique de son projet et sur celle de l’équipe éducative qui le porte. Faire de l’innovation à l’échelle de tout un établissement n’est pas toujours simple.

Au-delà des différences entre les structures représentées dans votre association, quelles sont les préoccupations communes que vous avez voulu travailler durant ce séminaire pédagogique ?

Au-delà de la seule innovation relevant d’un enseignant dans sa classe ou d’un groupe d’enseignants isolés dans un établissement, ces structures font vivre des projets qui ne séparent pas l’innovation didactique, pédagogique et structurelle. Nous pensons que tous les niveaux de l’innovation sont liés et notre approche de l’innovation est avant tout systémique. Lorsque nous nous réunissons en séminaire comme nous l’avons fait à l’INJEP au début de février, nous choisissons des angles d’attaque qui amènent à la fois à réfléchir sur ce que nous faisons dans nos structures et à penser l’articulation entre le fonctionnement ordinaire et celui de nos structures qui sont dérogatoires sur bien des points. Il s’agit donc à la fois de se fédérer et de réfléchir ensemble sur nos pratiques en invitant des représentants de la recherche en sciences de l’éducation ou des Cahiers pédagogiques ou de la Ligue de l’enseignement. Il est indispensable de « descendre du vélo pour se regarder pédaler ». Au-delà, il s’agit de se positionner sur des sujets qui traversent et nos structures et des établissements plus conventionnels. Nous avons ainsi eu des ateliers de réflexion sur le tutorat et la place de l’enseignant dans l’accompagnement individualisé, sur l’évaluation ou sur l’articulation entre l’individuel et le collectif. Certains temps sont davantage tournés vers la production écrite par exemple à propos des évolutions programmées du métier d’enseignant. Les propositions de la Fespi (lire les « 9 propositions concrètes pour des alternatives dans l’école » sur le site Internet de la Fespi  à ce sujet sont d’ailleurs assez proches de celles issues de la réflexion collective menée par le Crap.

L’article 34 de la loi Fillon ouvre largement les possibilités d’expérimentation pour les établissements scolaires ordinaires : est-ce que cela représente des perspectives d’ouverture pour la Fespi, ou au contraire une possible banalisation des établissements innovants ?

L’article 34 peut être analysé de différentes façons mais je crois que son objet principal est d’ouvrir le maximum de pistes possibles à l’innovation sous toutes ses formes et sans exclusive. Cependant, tout ce qui touche à l’organisation administrative de l’établissement, à la place des élèves, aux fonctions des enseignants ne semble pas en dépendre. Les structures de la Fespi mettent toutes en place des innovations qui s’élaborent également sur ce terrain, qui est forcément plus politique et donc aussi plus sensible. Nous pensons qu’il est difficile, par exemple, d’éduquer à la démocratie sans faire que l’école soit un lieu démocratique. Il faudrait bien entendu s’entendre sur ce que l’on entend par « démocratie » mais dans le système français le fonctionnement général est très vertical car très hiérarchisé alors que notre conception de la démocratie est beaucoup plus horizontale, plus collégiale. Il s’agit d’ailleurs surtout de favoriser chez les élèves les différentes formes d’émancipation de la personne, les attitudes critiques et réflexives qui construisent la démocratie plus qu’elles ne la décrètent. Nous ne pouvons, c’est un autre exemple, construire les compétences 6 et 7 du socle commun sans faire davantage de place à l’élève acteur du système dans lequel il évolue, lui donner la parole sur l’école et donc lui donner également une forme de pouvoir qu’on lui refuse habituellement. Les établissements de la Fespi sont sur des positions qui ne sont pas adoptées par les établissements qui font de l’innovation ou de l’expérimentation, quelle que soit la qualité de leur travail par ailleurs. Nous sommes en contact régulier avec des établissements qui tentent de multiplier les expérimentations et ce sera sans doute l’un des objets de notre prochain séminaire. Nous sommes encore très loin d’une banalisation de nos pratiques. Nous restons, article 34 ou pas, dans un système où le bac régit l’ensemble du système, il faudrait également procéder à sa réforme et faire que le lycée ne soit plus la machine à sélection qu’il est aujourd’hui. La question fondamentale de l’innovation est sa destination : nous pensons qu’il s’agit de maximiser les possibilités pour tous les élèves de se confronter à des objets de savoirs exigeants et donc d’offrir la possibilité en particulier dans les milieux populaires mais pas seulement, de rester le plus longtemps possible à l’école sans être relégués sur des voies où l’émancipation intellectuelle, sociale et politique est de moins en moins possible.

Propos recueillis par Patrice Bride


Liste des établissements membres de la Fespi – Des alternatives pour l’école :
– Collège Clisthène (Bordeaux)
– Collège Anne Frank (Le Mans)
– Collège Decroly (Saint-Mandé-94)
– Collège pionnier de St-Martin Valmeroux (Cantal)
– Collège lycée élitaire pour tous (Grenoble)
– Collège Lycée Expérimental (proche de Caen)
– Microlycée de Sénart (proche de Melun-77)
– Pôle du lycée Jean Lurçat (Paris 13e)
– Centre expérimental pédagogique maritime d’Oléron
– Lycée pilote innovant international (Futuroscope de Poitiers)
– L’école Vitruve à Paris (20e)