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Organisation et enseignement, vers un impossible pacte ?

Ce système éducatif que l’on veut à tout prix réformer fait mieux que de la résistance, il prouve sa robustesse. Cela veut-il dire qu’il n’y faut rien changer ? Crise du modèle hiérarchique dans notre société, structure très pyramidale de l’Éducation nationale, impossible organisation du travail en équipes des enseignants et très récente régression des résultats scolaires (taux d’accès au baccalauréat d’une classe d’âge), telles sont les principales lézardes d’un édifice qui risque de s’écrouler sous les coups de boutoir de la vague libérale. Comment amorcer une rénovation qui ne soit ni une trahison ni un renoncement à ses valeurs fondatrices ? Comment reconnaître le local et garder la référence nationale ? Quel rôle pour les responsables d’établissement ? Peut-on enfin concilier démarche démocratique et nécessaire changement de mentalités qui ont intériorisé règles et valeurs imposées depuis la fin du dix-neuvième siècle ?

Rapprocher organisation et enseignement, c’est poser des questions très concrètes et évaluer les réponses qui leur sont apportées pour prendre parti et agir : l’architecture scolaire ne contraint pas la pédagogie mais elle l’inscrit dans un cadre d’autant plus rigide que l’organisation temporelle n’est pas exempte non plus d’absurdités et de déséquilibres. Reconstruire, à partir des élèves, un ensemble prévu pour l’élite républicaine impose de remettre en question les deux unités de lieu (la classe) et de temps (l’heure de cours) qui engendrent  » la reproduction « . Pourtant, il n’est pas question de croire aux grands chamboulements, l’école ne peut devenir un lieu ouvert à tous vents comme le lycée de Saint-Fons, sous peine de connaître son funeste sort. Il est grand temps de proposer comme nouvelles fondations de l’établissement scolaire nos certitudes didactiques et pédagogiques.

Dès lors, apprentissage et socialisation se retrouvent au cur du défi lancé à notre école sommée d’allier démocratie et responsabilité. Cette position induit-elle un retour au projet fondé sur les leçons d’une expérience vieille de dix ans ? Ne risque-t-elle pas de négliger l’importance du  » directeur d’école « , de son style et de son aptitude à la communication ? Car c’est bien à la tête que le mal se manifeste même si tout le corps est atteint. Reconstruire le recrutement, la formation et la gestion des responsables d’établissement souligne leur responsabilité de pédagogues. Le paradoxe veut que leur rôle de chef d’orchestre soit encore mal défini, qu’ils hésitent encore entre les deux dérives de l’homme-orchestre et de l’homme providentiel. Dans la réalité, les choses sont plus variées et complexes car l’inventivité reste le propre d’acteurs-auteurs qui jamais ne se laissent imposer, malgré qu’ils en aient, un type d’organisation, fût-elle à projet !

Nous avons volontairement clos ce dossier sur des témoignages d’équipes et de personnes. Plaintes et élans d’enthousiasme y alternent avec états d’âme et jubilation sereine : des  » brèves de salle des profs  » aux réussites d’une équipe impliquée en passant par le lycée pilote innovant de Poitiers où s’observe le perpétuel conflit entre immobilisme et mouvement, l’inéluctable choix entre  » surveiller-punir  » et développer l’autonomie. L’équipe du lycée Saint-Paul pousse très loin la réflexion en remettant en cause le flou qui entoure la notion de classe.

Dans notre propre camp, deux points de vue s’affrontent sur l’exercice du pouvoir : faut-il confier l’organisation aux seuls pédagogues ou pouvons-nous en remettre une parcelle aux élèves qui s’éduqueront, au moins pour partie, en pilotant leur parcours personnalisé ? Après le passage encore problématique d’une administration hiérarchique à une organisation scolaire fondée sur la pédagogie, ne voit-on pas là les prémices d’une nouvelle  » architecture  » scolaire qui pose, enfin, la question des responsabilités confiées aux élèves dans le cadre d’une volonté démocratique, d’une organisation qui s’autorise aussi à apprendre plus qu’elle ne se cabre sur son savoir ?

Richard Etienne, Directeur de site IUFM de Montpellier