Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !

«On laisse croire aux plus investis que leurs efforts sont vains»

Le rapport du CNIRE faisait de nombreuses recommandations et propositions pour «innover pour une école à la fois plus juste et plus efficace». Quel destin lui envisagez-vous dans le nouveau contexte politique?

Je vais demander un rendez-vous avec le nouveau ministre pour lui présenter le rapport. Je m’étais engagé auprès des membres du Cniré à assurer le plus possible le «service après-vente» des travaux de ce conseil qui s’est dissous début avril après quatre ans de fonctionnement.

Lorsque j’ai été nommé à sa présidence en septembre 2016, c’était sans illusion sur la postérité et l’impact de nos travaux dans un contexte de fin de mandat. Mais j’ai accepté car j’ai beaucoup d’attachement pour ce conseil qui rassemble des personnes aux statuts et aux parcours très divers. Et aussi parce que je pensais pouvoir malgré tout faire passer quelques idées dans le débat public et auprès de nos décideurs.

Comme nous le formulons dès le début du rapport, «Innovation» est un mot piégé. J’espère que ce rapport ainsi que les interviews qui l’ont accompagné pourront contribuer à faire évoluer les représentations. De même, la liste des soixante-dix-sept propositions portées par le Cniré depuis sa création peut servir de réservoir d’idées pour qui veut s’en emparer!

S’il n’y avait qu’une seule de vos propositions à défendre, laquelle retiendriez-vous?

Nous avons choisi de ne formuler que dix propositions dans un souci de communication. Il m’est difficile d’en choisir une. De plus, elles se veulent systémiques et se complètent les unes et les autres.

Mais comme le rapport insiste sur la justice sociale, je voudrais mettre l’accent sur la proposition 9 : «Lutter contre les inégalités par la mixité professionnelle». Le constat que l’on peut faire c’est que, malgré l’éducation prioritaire, si on prend en compte la masse indiciaire (c’est-à-dire les rémunérations des enseignants), il y a toujours de profondes inégalités entre les établissements. Ce sont ceux de centre-ville qui rassemblent les enseignants les mieux payés et les plus âgés. Nous proposons donc qu’on revoie le système de mutation «pour favoriser les professeurs expérimentés qui décident d’enseigner en éducation prioritaire afin de stabiliser les équipes enseignantes» et la mixité générationnelle des enseignants. L’enjeu est de parvenir à ce que le coût de la scolarité soit vraiment égalitaire. Bien sûr, c’est une préconisation un peu technique mais elle se situe dans le prolongement de ce qu’on trouvait déjà dans le rapport de Jean-Paul Delahaye sur l’école et la grande pauvreté.

Si j’ai droit à une deuxième proposition, je retiendrais aussi la proposition 5 : «Deux heures pour améliorer l’école». Cette proposition est très concrète, il s’agit d’«inscrire dans l’emploi du temps des enseignants deux heures hebdomadaires pour favoriser les pratiques collaboratives et réflexives des équipes : co-observation, co-formation, analyse croisée de situations éducatives, auto-évaluation, inclusion… et tous les sujets dont les équipes choisiront de se saisir». Mais elle est aussi systémique, parce qu’elle érige en priorité la formation continue et qu’elle renvoie aussi à la nécessité de se doter dans chaque établissement d’un plan de développement professionnel. Et elle suppose aussi qu’on construise des outils de mutualisation et des «tiers-lieux» pour rendre la politique éducative locale plus cohérente.

Avez-vous identifié dans les annonces de campagne d’Emmanuel Macron sur l’éducation des idées qui iraient dans le même sens que votre rapport?

Avant son élection, le candidat à la présidentielle s’était prononcé pour davantage d’autonomie des établissements scolaires, «en particulier les collèges et les lycées». Il proposait ainsi que les chefs d’établissement aient davantage de «latitude», «y compris en matière d’affectation des professeurs». Jean-Michel Blanquer a fait aussi de la notion d’autonomie un des axes forts de son action.

Nous nous prononçons aussi pour plus d’autonomie, mais il n’est pas sûr que ce soit la même. Comme le rappelle aussi la lettre au ministre publiée récemment par le CRAP-Cahiers pédagogiques, l’horizon ne peut se réduire à l’autonomie des chefs d’établissements managers. Ce peut être celle des équipes qui apportent des solutions propres au contexte dans lequel elles se trouvent, mais dans le respect d’un cadre national définissant clairement les objectifs et les finalités du système éducatif. Une école plus efficace, c’est peut-être une école qui est plus claire sur les finalités et plus souple localement sur les procédures et les dispositifs à mettre en œuvre pour y parvenir. C’est ainsi qu’on pourrait plus responsabiliser les établissements et les équipes en liant une partie des dotations à des objectifs sociaux de réduction des inégalités.

Autre promesse de campagne : «Chaque enseignant, du premier comme du second degré bénéficiera de trois jours de formation continue chaque année.» Cela rejoint une des préoccupations du rapport. Mais nous allons plus loin et évoquons, quant à nous, comme je l’ai dit, une obligation de formation et l’instauration d’un plan de développement professionnel au niveau de chaque établissement.

D’une manière générale, le programme sur l’éducation était resté bien flou sur un bon nombre de points hormis quelques mesures emblématiques sur lesquelles s’est faite la communication. On peut saluer la volonté de faire confiance et le souci de l’innovation, mais on peut s’inquiéter de la volonté de détricoter un certain nombre de réformes du précédent quinquennat sans en faire une réelle évaluation. Le temps de l’école n’est pas celui du politique et on a besoin d’une certaine continuité de l’action et de laisser s’installer les réformes. Cette façon de conduire la politique éducative discrédite toute idée de réforme et empêche le débat et l’adhésion chez nombre d’enseignants.

Jean-Michel Blanquer, le ministre de l’Éducation nationale, a déjà lancé ses premières mesures, quels commentaires vous inspirent-elles?

«Il n’y aura pas de Loi Blanquer, j’en serai fier», a revendiqué le ministre à Avignon. Et il a ajouté : «Il y aura des évolutions du système, qui ne seront pas verticales». Et il ne cesse d’affirmer également qu’il croit aux vertus de l’expérimentation et de l’évaluation. Faisons-lui crédit de ce discours.

Mais «en même temps» (!), on annonce que des décrets sont déjà en préparation pour permettre la baisse des effectifs en CP dans les Rep+ avec un risque de détricoter le dispositif «Plus de maîtres que de classes» avant même de l’avoir évalué.
On est confronté aussi à un retour en arrière avec la remise en cause de plusieurs aspects de la réforme du collège. Pour les EPI, par exemple, un nouveau texte laisserait la possibilité aux établissements scolaires de les proposer ou non. C’est un mauvais signal adressé à tous ceux qui se sont investis dans ces dispositifs et qui ont ainsi pu innover et co-élaborer des projets. Il en est de même aussi pour la remise en cause de la réforme des rythmes scolaires, alors que les PEDT ont pu permettre les «alliances éducatives» que nous appelons à généraliser.

D’une manière générale, avec de telles mesures contradictoires, on laisse croire aux plus conservateurs que toute réforme est impossible et aux plus investis que leurs efforts sont vains…

Enfin, on est un peu circonspect face à certaines déclarations où de manière réitérée il s’en prend au «pédagogisme». L’innovation et l’expérimentation qu’il appelle de ses vœux n’ont pas besoin de ces termes disqualifiants et démotivants pour les enseignants engagés dans la transformation de l’École. Ils ont besoin de confiance, d’encouragement et de plus de pouvoir d’agir, collectivement dans leurs établissements.

Propos recueillis par Cécile Blanchard