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« On attend de l’école qu’elle permette la circulation de la parole »

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Quel est le rôle de l’école dans l’éducation affective et sexuelle?

D. S. : L’école a un rôle très important. D’abord, et c’est au cœur de sa mission d’instruction, celui d’apporter des connaissances scientifiques dans un domaine où la culture judéochrétienne et les idéologies peuvent être mortifères. C’est le rôle en particulier des enseignants de SVT (Sciences de la vie et de la Terre). L’école est aussi un lieu d’éducation : éducation à la santé avec la prévention – le rôle des infirmières scolaires est crucial –, éducation à la citoyenneté avec la lutte contre l’homophobie et les discriminations… On peut dire que la lutte contre les féminicides commence avec l’éducation des enfants et des adolescents. Toutes les disciplines sont concernées et, en particulier, celles qui permettent de construire un rapport harmonieux au corps, le sien et celui des autres, celles aussi qui, comme les arts et la littérature, permettent de développer l’empathie.

C. G. : L’école doit avant tout ne pas éviter ou abandonner cette part de l’éducation au nom du fait que c’est compliqué, que cela soulève très vite des questions religieuses, privées…
On n’attend pas de l’école qu’elle donne des réponses ou des lignes de bonne conduite, mais qu’elle permette avant tout la circulation de la parole à ce sujet. Laisser émerger les questionnements, accueillir les différences de point de vue, outiller les élèves pour qu’ils puissent nommer, identifier, expliciter leurs émotions, leurs ressentis, qu’ils puissent analyser d’où ils parlent, quel est leur héritage familial ou culturel, pour pouvoir entendre d’autres avis, d’autres manières de vivre la sexualité, pour pouvoir choisir la sienne parmi un panel plus large que celui qu’ils connaissent et finalement faire pour soi la part des choses.

L’éducation à la sexualité, qui cela concerne-t-il ?

D. S. : L’éducation à la sexualité concerne tous les apprenants, dès le plus âge, mais bien sûr le contenu, les mots, les discours doivent être adaptés selon que l’on s’adresse à des enfants, des adolescents, de jeunes adultes. Les articles de nos contributeurs partagent des expériences depuis la maternelle jusqu’à des publics de jeunes adultes, et traduisent la variété des problématiques que l’on peut rencontrer. Les parents ont bien sûr un rôle essentiel dans cette éducation, mais l’école doit être vigilante à ce qui permet de faire société en démocratie : lorsque les cultures familiales génèrent du sexisme, de l’homo ou de la transphobie, l’école doit rappeler haut et fort les valeurs qui fondent notre société.

L’éducation à la sexualité concerne tous les adultes. D’abord comme formation permanente. La science n’est pas figée et il importe que les enseignants et tout le personnel de l’Éducation nationale actualisent leurs connaissances. Personnellement, moi qui ne suis pas scientifique, j’ai beaucoup appris en découvrant les apports des neurosciences pour éclairer la sexualité. Tous les adultes sont potentiellement formateurs, y compris par leurs comportements et leurs propos.

Par exemple, on peut discuter de l’intérêt de la féminisation de l’orthographe (nous avons dû hélas renoncer à un article sur ce thème faute de place dans le dossier). Mais nous devons être vigilants à ce que nos propos, nos exemples, nos énoncés n’assignent personne à un rôle : les garçons peuvent pleurer et les filles adorer se rouler dans la boue en jouant au rugby. Fumer la pipe nuit à la santé de Papa autant qu’à celle de Maman, et Papa aussi peut coudre des masques en période de pandémie !

D’autre part, chacun se doit d’être vigilant et d’être prêt à accueillir les questions, voire à susciter avec délicatesse les témoignages : on ne peut pas faire comme si les appels au 119 ne s’étaient pas accrus durant le confinement. L’éducation à la sexualité et à la vie affective a à voir avec la protection de l’enfance. Enfin il est souvent moins difficile, pour les jeunes comme pour les adultes, de parler de sexualité en étant dégagé de la charge affective familiale.

C. G. : Dans le dossier, on a bien vu que c’est un travail à mettre en route de la maternelle à l’université. Si déjà, on permet à un jeune élève de maternelle de trouver « naturel » de parler des sentiments, des émotions, de trouver « normal » de pouvoir réfléchir à son intimité avec d’autres (sans en révéler le contenu qui justement reste pour soi), alors cette dimension pourrait trouver tout simplement sa place dans l’éducation à la sexualité qui se poursuivrait dans les grandes classes.

Peut-être que cela nécessiterait aussi une formation des enseignants au sein des établissements pour qu’ils soient convaincus qu’ils peuvent aborder ces problématiques sans que cela ce soit compliqué et devienne ingérable. Le débat, le partage des opinions quand ils sont une pratique habituelle, sur d’autres thématiques dans un établissement scolaire, quand ils sont ritualisés, sont facilement transposables aux débats sur l’éducation à la sexualité, car lors de ce transfert s’exportent en même temps les règles du débat instituées entre les participants.

Qu’est-ce qui change pour les éducateurs, à l’heure des réseaux sociaux, du « revenge porn », de #MeToo ?

C. G. : D’abord soyons conscients que la jeunesse de France n’en est pas du tout au même point face aux réseaux sociaux. L’enseignement à distance fait prendre conscience que des élèves sont souvent « mono tâches » sur le net, et qu’ils y passent un temps très important, certes, mais souvent en y entrant de la même manière qu’ils répètent quotidiennement. Ce qui signifie qu’en effet, quand un élève tombe dans un domaine d’utilisation, il en devient addict et peut donc s’enfermer et l’utiliser pour faire preuve de malveillance à l’égard de certaines personnes. Mais le problème de fond est alors plus le pourquoi de ce besoin de malveillance à l’égard d’autrui, et les réseaux sociaux sont avant tout un moyen d’y parvenir.

S’ajoute bien évidemment le gros travail à faire en matière d’éducation aux médias, pour apprendre à décrypter le vrai du faux, à identifier le public et le privé, les droits et les devoirs… S’ajoute à cela la nécessité d’un travail sur la communication et, comme nous l’apprend la communication non violente, à la nécessité de faire prendre conscience de la violence que peut engendrer des messages relayés vite et en grand nombre.

En l’absence des réseaux sociaux, la violence s’exprimait déjà mais la nouveauté vient du rapport nouveau au temps et à l’espace. Écrire vite et diffuser à tout le monde, comme le veulent les réseaux sociaux, empêche la réflexion, la relecture, la correction, diminue la rage et la colère et émet un message en direction de personnes non identifiées et non impliquées de près dans les événements en cause, non impliquées dans une « relation », un lien qui engage. Décrypter avec des élèves ce que leur acte a de violent et le fait que cette violence est démultipliée à cause de l’amplification qu’apporte le net est plus que jamais nécessaire, et les auteurs de ce dossier nous ont montré comment l’identification à des personnages par le biais du livre jeunesse, des théâtres forum ou de films bien choisis peuvent permettre ce décryptage.

D. S. : Ce qui change est sans doute la démultiplication pour les jeunes des risques d’exposition à la pornographie, à de fausses informations, à une forme aggravée de viol qu’est l’utilisation dégradante de l’image d’autrui… Le rôle protecteur des adultes n’en est que plus important et cette protection ne peut passer par l’interdit des outils – il n’y a pas de plus forte incitation à une utilisation clandestine. Elle passe par des espaces non virtuels où la parole et les questionnements sont posés comme à priori légitimes, accueillis, pris en compte. Et si en tant qu’adultes nous n’avons pas immédiatement toutes les réponses nous nous engageons à les chercher. Nous ne devons pas laisser croire que c’est en dehors des adultes, entre pairs, que s’effectue l’éducation.

Ajoutons que la place de ces problématiques sur les réseaux sociaux légitime tous les éducateurs qui se sont confrontés et se confrontent encore à la succession d’abandons dont l’histoire de l’institution scolaire est pavée en la matière, comme le montre l’un de nos articles. Les éducatrices aussi : c’est à une féministe que l’on doit l’expression et la revendication d’une « éducation à la sexualité ».

Que faire pour éduquer à la sexualité en pleine distanciation sociale et avec un enseignement encore massivement à distance?

C. G. : D’abord ne pas reculer et ne pas remettre à plus tard ! Profiter des moments avec les élèves pour ouvrir des portes lors des enseignements qui permettent d’en parler : bien sûr en cours de SVT, qui d’une manière plus naturelle permet d’aborder ce qui est du domaine de la sexualité. En classe virtuelle il est étonnant de voir s’écrire des questions anonymes sur le tableau blanc et l’humour permet d’accueillir la question et d’y répondre. La référence à des questions posées par des élèves d’années antérieures, bien choisies et projetées, permet d’aborder les sujets « gênants » et évite de mettre les élèves en situation de se faire identifier.

Il est aussi possible d’aborder son cours de SVT en présentant les organes sexuels de l’homme et de la femme comme des équivalents dans leurs rôles et leurs possibilités. En effet, les deux permettent chacun la production d’une cellule sexuelle. De même, leur fonctionnement est quasi similaire dans la sexualité, car dans les deux cas, le plaisir est généré biologiquement de façon identique depuis les récepteurs sensoriels excités par la pratique sexuelle vers les zones cérébrales du plaisir !

D. S. : L’enseignement à distance a aussi été l’occasion d’apporter une attention plus personnelle aux élèves, de leur manifester qu’on s’inquiète pour eux et leur famille, que chacun d’entre eux nous importe. Cela peut fournir un socle aux relations de confiance indispensable pour que l’éducation à la sexualité et à la vie affective ne soit pas une simple information didactico-préventive.

De même de nouvelles relations avec les parents ont émergé. Ceci n’est pas de la distanciation sociale, au contraire. Alors certes, distanciation physique et sexualité ne font pas bon ménage. Mais là encore, soyons optimistes. Avec le SIDA, la génération précédente a appris à abandonner les préservatifs quand la confiance est construite et validée par des tests négatifs, ou à faire avec un test positif. La génération actuelle saura aussi, avec l’aide des éducateurs, utiliser cette période pour mettre en valeur l’importance de la confiance et de la relation affective à l’autre pour vivre une relation épanouie qui permette de passer outre la distanciation physique en toute sécurité. Quel plaisir parfois d’être confinés ensemble !

Propos recueillis par Cécile Blanchard