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On achève bien les écoliers

On achève bien les écoliersPeter Gumbel - Grasset, 2010, 170 pages

On achève bien les écoliersPeter Gumbel – Grasset, 2010, 170 pages

On entend déjà certains : « Voilà un ouvrage qui participe sans doute d’un grand complot libéral contre notre chère et noble École Républicaine, qui exalte le pédagogisme le plus plat, condamnant tout effort de rigueur en matière de notation des élèves et mettant l’enfant plus que jamais au centre, enfant qui serait, dans notre école, martyrisé par ses maitres. Oui, ce livre est une véritable attaque contre le corps enseignant quasiment qualifié de tortionnaire (références au sergent de Full Metal Jacket) et dont il est dit qu’il devrait suivre l’exemple du paradis finlandais, voire du système américain. Et en plus, c’est écrit par un journaliste au service d’un organe du grand capital, qui plus est anglais. » N’en jetez plus !
Le procès de Peter Gumbel pourrait être vite mené dans un pays, où comme il le dit lui-même, le débat est bien difficile. Mais sans doute l’auteur met-il le doigt là où ça fait mal : le système éducatif français ne va pas bien, il accentue les écarts entre les « bons » et les « faibles » et ne cherche pas pour autant les solutions qui devraient s’imposer : développer la créativité, la confiance en soi, travailler sur des compétences à acquérir et non partir de lacunes qu’on n’arrive jamais à combler. Et en plus, on ne peut pas non plus dire qu’il fonctionne bien pour les meilleurs. Injuste et inefficace, cela fait beaucoup…
En cette rentrée, Peter Gumbel a un important écho médiatique, ce qui nous change des pleurnicheries réactionnaires ou pire des procès en sorcellerie de la pédagogie : une hirondelle ? Certes un pédagogue bien au fait des travaux sur la motivation, sur les effets-maitre, sur les dégâts de la notation traditionnelle ou les dangers d’une école refermée sur elle-même, n’apprendra-t-il pas grand-chose en lisant ce bref essai ; mais justement, son intérêt est de s’adresser à un large public et de faire passer de manière vivante et non dénuée d’humour des idées qui sont essentielles. Et ceci sans adopter le ton du censeur, en reconnaissant par exemple les mérites de la recherche de la qualité intellectuelle de notre école, ou les problèmes que rencontrent des innovateurs trop volontaristes.
Mais il ose poser la question taboue du « bonheur à l’école ». Ce qui nous a donné envie d’aller plus loin avec lui. Le bonheur n’est-il pas une idée neuve dans l’école française ?

Jean-Michel Zakhartchouk


Mon livre veut soulever le tabou du « bonheur » à l’école !

Entretien avec Peter Gumbel

Entre l’enregistrement d’un débat avec Brighelli (!), une interview à la Radio de Suisse Romande et des échanges sur internet avec des enseignants, Peter Gumbel répond à nos questions sur son livre qui connait un grand succès en cette rentrée.

Pourquoi avez-vous écrit ce livre ?

Je suis parti d’observations que j’ai pu faire depuis que je suis en France (2002) notamment en tant que père de deux filles scolarisées dans votre pays et du constat qu’il y a un blocage du débat. On tourne en rond avec les invectives entre « pédagogues » et « républicains » en n’allant pas suffisamment regarder dans la salle de classe, là où se passe l’essentiel. Et moi je suis frappé par la « dureté » en France de cette salle de classe où se développe le manque de confiance en soi et la peur de ne pas réussir. Vous parlez bien plus souvent de lutte « contre l’échec » plutôt que de la recherche de la réussite et surtout, le mot « bonheur » est tabou à l’école, alors que pour apprendre, il est si important d’avoir du plaisir.

Mais je ne me suis pas contenté d’anecdotes et d’impressions. Je me suis beaucoup servi des enquêtes internationales, et je me suis entretenu avec nombre d’enseignants pour vérifier mon impression initiale : il s’agit bien d’un « système » qui n’est pas dû à la mauvaise volonté des enseignants que je ne mets absolument pas en accusation. Les symboles de ce système sont la notation négative et les redoublements qui continuent d’exister alors qu’on cherche trop peu les solutions alternatives.

Justement, quelles réactions avez-vous eues de la part des enseignants ? Certains vous accusent-ils de dénigrer notre école ou de vous en prendre à eux « une fois de plus » ?

Je dois dire que je reçois au contraire des témoignages d’enseignants qui me remercient d’avoir soulevé des questions de fond et de décrire la réalité. En particulier l’absence désastreuse de formation pédagogique et professionnelle, qu’elle soit initiale ou continue. Tout le contraire de ce qui se passe dans le pays où l’école se place en tête des comparaisons internationales : la Finlande. J’ai pu m’y rendre et voir combien, là-bas, les enseignants sont préparés à affronter les situations diverses de la classe : on leur fait jouer ces situations à l’avance et on ne pense pas que le savoir académique suffit. De plus, le métier d’enseignant est particulièrement bien considéré. Alors qu’en France, les enseignants sont parfois les boucs émissaires de ce qui va mal. Et ceci, malgré les grands discours sur l’école de la République et les importants moyens qui sont donnés au système éducatif. D’ailleurs, le poste de ministre de l’Éducation n’est guère prestigieux !
Et pourtant, il existe de nombreux enseignants dynamiques, innovants, des recherches remarquables, mais on ne transmet guère les bonnes pratiques, on les ignore au contraire.

Qu’est-ce qui vous frappe dans les réactions à ce livre si vous en avez écho, en dehors des médias qui semblent l’accueillir favorablement, ce qui contraste d’ailleurs avec d’autres rentrées qui ont vu la profusion de livres élitistes et insistant sur le « retour à l’ordre ?

Le livre a un succès impressionnant et je crois qu’il répond à une attente. J’ai de nombreux échanges avec des enseignants et j’ai mis en place un site web pour dialoguer avec ceux qui le souhaitent. À vrai dire, je reçois des messages très divers, dont certains de parents qui apportent leur témoignage sur les aspects « noirs » de l’école que je décris dans le livre : quand elle décourage, démotive, brutalise.

Votre position de journaliste étranger vous permet sans doute d’avoir un regard distancié, mieux accepté peut-être du coup ?

C’est vrai que j’ai connu d’autres systèmes scolaires, puis j’ai pu voyager, aller voir ailleurs. Je dois dire sur le plan personnel que, à une certaine période de mon adolescence, j’ai été loin d’être un « bon élève ». Dans l’école française, n’aurai-je pas été enfermé dans l’échec ? Je m’en suis sorti en développant à un certain moment des compétences dans le domaine du sport ou de la créativité. Des domaines qui, en France, restent trop marginalisés, alors qu’ils sont essentiels.
Pour autant, je n’idéalise pas les systèmes anglo-saxons par exemple qui n’ont pas toujours de bons résultats. Ainsi, on peut estimer excessives les « félicitations » continuelles et pas toujours justifiées qui accompagnent les élèves dans des écoles américaines. Mais en France, c’est tellement l’excès inverse, et cela explique pourquoi beaucoup d’élèves préfèrent « laisser blanc » qu’oser commettre une erreur. Et cela est dramatique y compris pour la formation d’une élite qui ne soit pas trop restreinte. Je fais passer des oraux à Sciences Po et je vois parfois des étudiants qui s’effondrent en pleurs à l’oral. On n’ose pas prendre la parole, on vit trop dans la peur d’échouer. L’école française pourrait cultiver davantage plaisir d’apprendre et bonheur, cela ne nuirait pas du tout à son efficacité, au contraire. Peut-être en prend-on conscience ? Les choses bougent au niveau des Grandes Écoles par exemple. On peut espérer qu’il y aura alors une réaction en chaine. Et puis l’audience de mon livre, les débats éventuels qui suivront, tout cela pourrait être un signe que les choses vont bouger. Ajoutons que les enseignants ont aussi entre leurs mains, pour une part non négligeable, la responsabilité de ce changement de regard et de posture vis-à-vis des élèves… même si les effets de système ne leur simplifient pas la tâche.

Propos recueillis par Nicole Priou et Jean-Michel Zakhartchouk