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Nouveaux programmes, nouvelles pratiques

Après l’entrée en vigueur des nouveaux programmes de 2002 pour l’école élémentaire, après la réforme de 2000 pour les lycées, et la transformation progressive depuis 1995 des instructions du collège, c’est l’ensemble des programmes de l’enseignement du français qui a été réformé.

Dans ce mouvement de réformes, on constate une réévaluation (une réhabilitation ?) du rôle formateur de la littérature : il s’agit de construire, à travers son enseignement, une culture commune, avec notamment pour le collège la rubrique des « textes porteurs de références culturelles », la réhabilitation de la notion d’« héritage culturel », de « patrimoine de l’humanité » au lycée. Par le biais de la lecture cursive (nouvelle version de la lecture suivie ?) il s’agit de faire lire plus, et la littérature pour la jeunesse voit, dans cette nouvelle configuration, sa place renforcée. Un déplacement des priorités est sensible comme en témoigne, par exemple, l’insistance, dans les nouveaux programmes du lycée, sur l’appropriation de connaissances dans le domaine littéraire, connaissances d’histoire littéraire, de constitution des genres etc. L’introduction – la réintroduction ? – de la littérature à l’école primaire, avec la nécessité d’y construire « une première culture littéraire », est également significative de cette évolution. « L’ère du soupçon » serait-elle derrière nous ?

Alors que démarre cet enseignement littéraire à l’école élémentaire, que se rôdent les nouveaux programmes du lycée, et que l’on commence à avoir du recul sur l’impact de la réforme des collèges, nous voudrions, dans ce numéro, compléter, enrichir notre questionnement sur ces réformes, sur le renouvellement des formes de travail qu’elles induisent, sur les difficultés qu’elles engendrent, principalement sous l’angle de l’enseignement de la littérature. Notre propos est modeste : si, comme le rappelle D. Manesse dans ce numéro, une évaluation de la réforme des collèges est nécessaire, notre ambition est ici de stimuler la réflexion, de faire dialoguer diverses analyses et de proposer des exemples de pratiques possibles.

Mais il n’y a aucune volonté d’exhaustivité dans les problèmes abordés ou les pistes de travail évoquées. Par ailleurs, plus qu’une réflexion sur les enjeux d’une culture littéraire [[On se reportera pour cela à d’autres numéros des Cahiers, le n° 313 « La culture littéraire à l’école », par exemple, ou le n° 402 « De grandes œuvres pour tous », etc.]], l’objet de ce numéro concerne les modalités de mise en œuvre des réformes. Notre conviction est constante : l’enseignement littéraire, qui doit permettre l’accès à la littérature pour tous, ne saurait être caractérisé par le formalisme, l’académisme, le technicisme ou l’encyclopédisme, il ne doit pas se réduire à des étiquetages, à du bachotage, à l’apprentissage de formes vides de sens, pas plus qu’il ne doit être un enseignement impressionniste, flou, élitiste. Il faut que les élèves puissent y trouver des ressources pour se construire, et s’inscrire dans cette histoire collective dont porte trace l’écriture. La littérature doit jouer son rôle de médiation dans cette construction. Comme le rappelle ici D. Bucheton : « On oublie trop, dans ces programmes, que la fonction anthropologique et esthétique fondamentale de l’art est de nous accompagner dans la découverte de nous-mêmes et du monde, pour nous aider à le penser, à l’inventer, à le fantasmer voire à nous en détacher. »

Ainsi on trouvera, dans une première partie, des pistes de réflexion sur la lecture littéraire et ses différentes modalités, lecture analytique et lecture cursive, susceptibles de favoriser une véritable appropriation de la culture littéraire dans ce qu’elle a de plus signifiant pour l’élève. On y lira des analyses et des mises en œuvre à l’école élémentaire, au collège et au lycée, essentiellement sur la lecture cursive pour ce dernier niveau. La seconde partie du numéro sera constituée par des analyses de certains aspects des réformes, pour le collège et le lycée uniquement cette fois-ci. Pour le collège, on réfléchira sur la notion de séquences, sur son intérêt et ses limites, sur la place de la maîtrise de la langue. L’économie du programme de lycée, dans la continuité des analyses plus ponctuelles que nous avions déjà menées dans les numéros 385, 387, 406 par exemple, sera questionnée et c’est surtout un des aspects problématique de cette réforme, l’écriture d’invention, qui sera étudié ici.

Bien d’autres aspects des programmes de lycée mériteraient réflexions et propositions : je pense particulièrement ici au renouvellement de l’approche historique des textes, là où l’on observe trop souvent le simple rafraîchissement de pratiques anciennes, ayant amplement montré leurs limites, à l’étude plus dynamique des registres, des mouvements littéraires. Quelques travaux existent, mais il y a encore beaucoup à faire. Le recul, de fait, du travail sur l’argumentation, abordé de façon incidente dans ce numéro par Chantal Dulibine, offre également matière à réflexion. On ne saurait tout aborder.

Les programmes, transitoires, sont perfectibles et leurs effets doivent être évalués, tant la logique de leur mise en œuvre comporte de spécificité par rapport aux prévisions les plus instrumentées. Ils doivent être sans cesse réajustés. Les réformes sont en permanence soumises au risque d’être réduites à peu de chose ou d’échouer dans les dérives traditionnelles de l’enseignement littéraire. Et l’action pédagogique, comme le dit Philippe Meirieu, est une « action précaire et difficile, action obstinée et tenace mais qui se méfie plus que tout de la hâte de conclure » [[Philippe Meirieu, Frankenstein pédagogue, Paris, ESF éditeur , p. 123.]].

C’est dans cet esprit que nous proposons ces quelques réflexions.

Isabelle de Peretti, professeur de français en lycée.