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Ni cet excès d’honneur, ni cette indignité

Préoccupation gestionnaire, thématique du minimum, plafond qui limite, bric-à-brac conceptuel, enseignement devenu évaluationite, effet de leurre, etc. Aïe ! Aïe ! Le socle commun encaisse un coup par minute dans cette intervention de Jean-Yves Rochex qui ouvre l’après-midi. Des coups qui visent la façon dont l’État choisit d’être désormais évaluateur-régulateur de politiques qu’il laisse les acteurs de terrain mettre en œuvre, comme ils le peuvent. Et tant pis s’ils sont empêtrés dans des tensions insolubles entre socle et programmes, entre des compétences trop largement définies et leur traduction en objectifs parcellisés. L’État, reprenant la devise naguère célèbre de Jean Nohain, leur dit : « Vous êtes formidables, débrouillez-vous ». On l’a compris, Jean-Yves Rochex ne voit guère comment sauver la notion de socle de compétences, en tout cas pas par sa traduction dans le livret personnel de compétences (LPC) actuel. Dommage cependant qu’il semble, ce faisant, ignorer tout ce que cette innovation, si peu et si mal pilotée, a fait surgir sur le terrain comme travail d’équipes, renouvèlement des pratiques d’évaluation, réflexions sur les structures fondamentales des disciplines et leurs points de rencontre possibles.

Tâches fermées et ouvertes

Jean-Louis Dufays explique que la notion de socle de compétences a été développée en Belgique de deux façons différentes : le réseau d’État en a fait, comme dans le LPC, une succession de savoirs atomisés, alors que les réseaux francophone et catholique ont mis l’accent sur un nombre limité de compétences liées à des tâches complexes longuement et rigoureusement définies. Il plaide donc pour cette approche : alterner des tâches fermées, rassurantes, et des tâches ouvertes, complexes, pour lesquelles il faut définir des seuils de progression précis. Sans négliger pour autant, en littérature comme ailleurs, des formes d’acculturation valables pour elles-mêmes, peu réductibles à des compétences et peu évaluables, telles que les connaissances culturelles, l’apprentissage de l’interprétation d’un texte ou d’une œuvre d’art, la réflexion sur les gouts et les valeurs.

Jean-Louis Dufays met aussi l’accent sur la nécessaire vigilance à l’égard des élèves en échec ou en fragilité : comment les faire se confronter à des tâches complexes sans les mettre plus encore en difficulté ? Question qui hantait naguère les tenants des méthodes actives et revient, bien sur, dès qu’il y a innovation. Question incontournable, mais qui devrait préoccuper tout autant, pour leur part, les détracteurs des compétences ; celui qui innove est toujours plus suspect, en tout cas plus exposé, que les autres.

Qu’enseigne-t-on ?

Yves Reuter propose, pour terminer, une relecture d’un de ses textes d’il y a trente ans, à la lumière des compétences. Il y voit, rétrospectivement, une insuffisante réflexion sur les rapports complexes entre l’écriture scolaire, la culture scolaire de l’écrit et la compétence scripturale scolaire. Dans tout cela, qu’est-ce qui est à enseigner ? L’écriture comme pratique(s), comme outil intellectuel ? « Si c’est apprenable, souligne-t-il avec l’humour qu’on lui connait, ça doit être enseignable ». Mais peut-être pas par des modes d’enseignement classiques ? Et que peut-on espérer raisonnablement de modèles qu’on impose sans discussion avec les acteurs et sans formation ? Voilà qui méritait d’être redit.

Merci à l’AFEF pour ce moment de vigoureuse réflexion qui s’aventure loin sur le terrain de la didactique, et il le faut, pour ne pas en rester aux généralités, mais ancrer la réflexion dans la matrice des disciplines.