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Ne pas se tromper de chemin

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On a beaucoup dit, beaucoup écrit, en particulier aux Cahiers pédagogiques. Maintenant, il faut construire ou reconstruire, et trouvant chacun sa part de travail.
L’école ne forme pas des terroristes. Mais l’école participe de la création d’inégalités, terreau fertile pour la rancœur et le sentiment d’exclusion dont se nourrissent pour une part les motivations terroristes.
L’école a une grande responsabilité dans la formation des futurs adultes et futurs citoyens. Elle doit bien sûr prendre sa part de l’énorme chantier qui nous attend collectivement.

L’école, c’est-à-dire l’Éducation nationale, pour commencer. Les mesures annoncées sont loin de répondre au défi. Certaines peuvent faire craindre un paresseux retour en arrière ou la simple reprise de ce qui existe déjà, d’autres s’avèrent insuffisantes ou ambigües. Les problèmes, en tout cas, dépassent largement la question de la perturbation de la minute de silence par des élèves musulmans.

Certains prônent un retour à une école mythifiée, celle des années cinquante, comme si cela permettait de restaurer la société sans crise (ou magnifiée comme telle par les ans) qui allait avec. La réponse ne peut pas être un retour en arrière. Et si cette crise était une chance de mettre en avant vraiment les fameuses valeurs de la République ?
Réfléchissons-y, plutôt que de ressortir l’apprentissage de La Marseillaise (et son doux message de paix), le signalement des comportements non conformes aux valeurs républicaines (alors qu’on veut défendre la liberté d’expression), la signature du règlement intérieur (qui se pratique déjà), l’obligation de se lever à l’entrée du professeur (le problème est surtout de savoir ce qu’on fait ensuite, quand les élèves se rassoient !), la restauration de l’autorité, qui ne se décrète pas (vous l’a-t-on déjà dit ?) mais se construit. La laïcité est déjà dans les programmes, comment fait-on pour que les élèves se l’approprient ? Certainement pas en assénant le message qu’il y a des valeurs non négociables qu’il faut absolument et autoritairement faire passer aux enfants. Ce serait faire table rase de 150 ans de pédagogie. Car la question est bien : comment faire vivre les valeurs de la République, qui ne se séparent pas de celles de la démocratie ?

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L’école démocratique

À trop se concentrer sur des symboles, on finirait par perdre de vue la véritable question : comment faire pour rendre l’école efficace et démocratique, pour lutter vraiment contre les inégalités ?

Ce que l’Éducation nationale doit faire, c’est repenser des programmes qui fassent la part belle à l’éducation à la citoyenneté par l’apprentissage actif de la démocratie, à l’éducation aux médias, à la transversalité et à l’interdisciplinarité. Des éléments vont dans ce sens dans les mesures annoncées, mais ils risquent d’être noyés dans un ensemble hétéroclite et pas toujours cohérent.
Elle doit aussi rétablir une formation initiale et continue des enseignants, en particulier sur la capacité à mener un véritable débat laïque, à faire face aux discussions houleuses en classe, à enseigner le fait religieux, les sujets sensibles. La formation continue doit être un droit et une obligation. Les bonnes intentions ne suffisent pas. La priorité doit être la réforme des contenus des concours de recrutement, pour mettre davantage l’accent sur les capacités à traiter des questions complexes, plutôt qu’à réciter des savoirs académiques ou un catéchisme républicain.

Et puis, l’État doit poser les bases d’une lutte efficace contre l’apartheid scolaire, puisque apartheid il y a. Faire en sorte que la réussite de tous ne soit plus un slogan, mais une réalité. Il faudra pour cela beaucoup de courage pour affronter ceux qui ont tout intérêt à ce que les choses restent en place !

L’école, cela veut dire les enseignants, les chefs d’établissement, et tous les adultes membres de la communauté éducative aussi.
Leur responsabilité est de ne pas en rester à un débat mené une seule fois, avant ou après la minute de silence. Il faut le prolonger, le poursuivre, à froid, avec des pratiques régulières de discussions auxquelles des règles de prise de parole permettront d’être libres mais assurées.

Cette éducation citoyenne appartient à tous, il n’y a pas de prérogatives disciplinaires ni de corps. Il ne saurait être question de laisser ça à certains, tout en se concentrant sur son pré carré disciplinaire ou enseignant. Pas plus que des directeurs, chefs d’établissement ou conseillers principaux d’éducation, ce n’est l’affaire exclusive des professeurs d’histoire-géographie ou de philosophie. Et même, pour quoi ne pas intervenir à plusieurs devant les élèves ? Il est en effet surprenant que, dans le même temps où un très fort besoin de se retrouver, de se serrer les coudes s’exprimait, trop souvent les enseignants sont restés seuls dans leur classe devant les élèves.

Il ne faudrait pas non plus tomber dans la logique de la sous-traitance à des instances qui se spécialiseraient dans ces questions, tels les CESC (comités d’éducation à la santé et la citoyenneté) ou les CVL (conseils de la vie lycéenne), pendant que les cours sérieux continuent. Même s’il est important de faire vivre pleinement ces instances.

Cette éducation citoyenne n’a de sens que dans le cadre d’un projet à l’échelle de l’école ou de l’établissement. Et au-delà, en liant contact avec les associations du territoire, les éducateurs, les dispositifs de réussite éducative des villes, les parents. L’école n’est pas un ilot ou un fortin. La tentation de l’école forteresse doit être dépassée, car elle est vaine et contreproductive.
L’école, c’est aussi les mouvements pédagogiques comme le nôtre. Le CRAP-Cahiers pédagogiques est prêt à prendre sa part du travail. Il a de très nombreuses ressources à proposer. Tous ces sujets sont une préoccupation de longue date, comme en témoigne la liste des Cahiers qui y sont consacrés (voir en annexe).

Le CRAP peut et veut aussi contribuer à la formation des enseignants. En particulier pour les aider à mener un débat laïque. Beaucoup d’entre eux, et pas seulement les plus jeunes, ont témoigné de leur désarroi face à la nécessité de parler et de faire parler les élèves, face aux réactions des uns et des autres, de refus mais aussi très souvent de peur.

Pour nous, au CRAP, mener un débat laïque avec les élèves ne s’improvise pas. Il y a à la fois le contenu, qui doit être pensé, pesé, posé, et le cadre à fixer.
Car comme toujours, la manière de faire compte. Cessons de vouloir imposer des valeurs, surtout quand elles s’appellent liberté, égalité, fraternité, surtout avec des adolescents. Ne refusons pas aux élèves de s’exprimer au motif que les propos seraient antirépublicains. Sinon, on ferme la porte. Or, surtout en ces temps difficiles, l’éducation doit rester première.

On peut dire sa propre émotion, faire s’exprimer les élèves à leur tour, à partir de dessins, de mots clés. On peut mener un débat d’actualité à partir d’articles de presse, d’émissions de télévision. Expliquer ce qu’est une caricature, en montrer. Aborder les problèmes de fond, les religions et surtout la différence entre les religions et les fondamentalismes qui s’en réclament. Religere, relier les gens. Au départ du moins. On doit pouvoir déconstruire patiemment les préjugés, les désinformations complotistes, cela est bien dans les missions de l’école, dès lors qu’on ne se contente pas de faire le programme.
Nous tous, adultes, nous devons mettre en accord nos discours et nos actes.

Ce texte est issu d’un débat ayant réuni le comité de rédaction et le conseil d’administration du CRAP-Cahiers pédagogiques le 24 janvier 2015.
En illustration : L’école de Charb, n° 506, juin 2013.