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Ne pas oublier la dimension éducative

« Recentrer les ZEP sur les apprentissages » : tel est le mot d’ordre depuis le début du plan de relance de 1998. Mais faut-il pour autant oublier la dimension de socialisation, le champ de l’éducation ?
S’il semble acquis qu’un contexte social défavorisé est en relation avec de faibles scores de réussite scolaire, cette relation complexe repose autant sur des facteurs externes au système scolaire (fonctionnements familiaux, politiques urbaines, intégration des groupes sociaux marginaux…) que sur une prise en compte inadéquate de ces facteurs au sein des écoles et des établissements (voir par exemple l’article de F. Platone).
Au fil du temps, de nombreuses limites du dispositif ZEP sont apparues : difficultés du pilotage (cf. F.-R. Guillaume), des partenariats d’action (cf. équipe Politique de la Ville), stigmatisation des établissements (cf. A. Van Zanten), évaluation lacunaire des actions mises en œuvre (cf. D. Meuret), ou encore manque de transparence de ses structures pour ses principaux acteurs, les enseignants (cf. P. Saramon).
Et pourtant, une politique du tout pédagogique sera-t-elle suffisante pour établir une « discrimination positive » plus efficace ? Il est permis d’en douter.
Confrontés à la nécessité de répondre quotidiennement à des problèmes qui, bien qu’ayant fort peu à voir avec les questions pédagogiques pèsent sur la réussite des élèves comme sur le climat scolaire, bon nombre d’enseignants et de cadres travaillant en ZEP se sont investis dans des démarches de co-éducation (voir par exemple l’article de M. Borowiec). Ils répondaient simultanément par là à de fortes sollicitations extérieures, motivées par la position centrale qu’occupe l’école en matière de formation intellectuelle et d’encadrement de la jeunesse.
Malheureusement, une majorité des enseignants continue à déléguer les problèmes de « vie scolaire » à des acteurs intervenant hors de leur classe (CPE, chef d’établissement), voire hors de l’établissement (parents, travailleurs sociaux). « Nous ne sommes pas là pour éduquer mais pour enseigner » est un cliché de la profession. Or, en ZEP particulièrement, cette dichotomie génère plus de désespoirs professionnels que d’efficacité pédagogique, alors que des témoignages attestent de la possibilité de construire un équilibre harmonieux entre ces deux postures (cf. J.-M. Zakhartchouk, H. Cellier, H. Chelzen…).
Ainsi, les limites pédagogiques du système semblent aller de pair avec ses limites éducatives, car elles relèvent d’une même attitude qui consiste à attribuer exclusivement au « monde extérieur » à l’école (comme si l’école elle-même était hors du monde) les causes des difficultés scolaires ou relationnelles rencontrées dans les classes. La question centrale posée aux ZEP aujourd’hui pourrait alors être moins « comment renforcer les apprentissages » que « comment fondre objectivement et volontairement l’un dans l’autre les champs pédagogique et éducatif », afin de pouvoir mieux enseigner ?
C’est sans doute en raison de cette dissociation endémique entre acte pédagogique et acte éducatif que le mot d’ordre de recentrage sur les apprentissages, lancé à l’issue de la dernière « relance » des ZEP semble avoir eu pour principal effet, contre toute attente, un formidable repli de l’école sur elle-même. De plus, la création d’un nouveau concept de « réseau » d’éducation prioritaire, associée au fait que les apprentissages généraux ne caractérisent pas les ZEP mais l’ensemble du système scolaire, a entraîné une certaine dilution des contours du dispositif. Ce double phénomène nous laisse craindre qu’à terme le principe de discrimination positive se limite définitivement à un simple label administratif par lequel les équipes se voient attribuer le bénéfice de quelques moyens de fonctionnement supplémentaires (+ 10 % environ).
Restant fortement attachés à ce principe dans un sens qualitatif, nous nous interrogeons sur la forme renouvelée que pourrait prendre aujourd’hui l’éducation prioritaire, pour compenser des processus de relégation sociale qui resteront sans doute, et pour longtemps encore, une réalité.
À travers les témoignages recueillis dans ce dossier, résultant d’un travail commun entre l’Observatoire des Zones Prioritaires (OZP) et les « Cahiers pédagogiques », nous avons voulu, après un rappel historique, explorer ces liens entre actes pédagogiques et actes éducatifs (1re partie), illustrer par quelques expériences le travail en réseau institutionnel (2e partie), mais aussi évoquer les ambiguïtés structurelles de ce dispositif (3e partie). Il nous semble finalement que les problématiques ZEP mises ici en évidence soulèvent des questionnements sur l’École qui ne se limitent pas au cadre des banlieues difficiles…

François Marec, ex-coordonnateur ZEP-REP, chef d’établissement dans un collège de ZEP.