Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !

« N’oublions pas les bons profs ! »

A qui s’adresse ce livre avec ce titre en forme de slogan, « N’oublions pas les bons profs » ?

Ce livre s’adresse à tous : enseignants, parents d’élèves, anciens élèves, élèves actuels. L’école étant obligatoire, tout le monde a rencontré dans sa « carrière » scolaire beaucoup d’enseignants différents. Parmi ceux-là, certains nous ont particulièrement marqué, parce qu’ils étaient de « bons profs ». Ce livre s’adresse aussi aux auteurs de l’immense majorité des ouvrages grand public qui ne parlent de l’Ecole et de ses enseignants que de façon négative. Rien que les titres sont évocateurs : Madame, vous êtes une prof de merde ; Ces profs qu’on assassine ; L’école de la honte – La bête noire des enfants, l’angoisse des parents, le cauchemar des serviteurs de l’Etat, et bien d’autres. Le fil rouge de mon livre est plutôt, pour une fois, de rendre hommage au travail des enseignants. Hors de question cependant d’occulter les difficultés du métier, ou de tomber dans le côté spectaculaire dont raffolent les médias. Apprendre à lire et à écrire à un élève est bien peu spectaculaire, mais c’est pourtant ce qui se passe tous les jours dans les écoles. Finalement, ce livre s’adresse en grande partie à tous les enseignants anonymes qui, chaque jour, dans leurs classes, font progresser leurs élèves.

Avez-vous voulu dresser un portrait robot du « bon prof »  et du « mauvais prof »?

Surtout pas ! Eviter de dresser le portrait-robot du « prof idéal » était même l’un des principaux points de vigilance que je m’imposais lors de l’écriture de l’ouvrage. En effet, un bon prof pour une personne n’est pas forcément un bon prof pour une autre. Il n’existe pas une liste de qualités indispensables pour être considéré comme un bon enseignant. Il existe des profs fantastiques sans aucun humour, des profs inoubliables qui ne font pas de projets ou de sorties, ou encore des profs géniaux qui ne prennent pas de risques. Chaque bon prof a sa façon à lui d’être un bon prof, chacun peut l’être à sa manière. C’est tout l’avantage de la liberté pédagogique de l’enseignant.

Par contre, s’interroger sur les bons profs amène forcément une discussion autour de ce que vous appelez les « mauvais profs », puisqu’un « mauvais prof » serait le portrait en creux du bon prof. Tout d’abord, je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de « mauvais profs », même si certains ont pu traumatiser des générations d’élèves, il faut le reconnaître. Comme il n’existe pas de caractéristiques fixes et définitives du bon prof, un bon prof pour l’un peut être un « mauvais prof » pour l’autre. Nous sommes peut-être tous le « mauvais prof » de quelqu’un ! Par ailleurs, plutôt que de parler de « mauvais profs », je préfère parler de profs en difficulté, qui s’agirait plutôt d’aider et d’épauler que de stigmatiser. Une réflexion sur la formation continue des enseignants (bien mise à mal depuis de nombreuses années, et un peu mise de côté dans les réflexions actuelles sur la refondation de l’école) et sur le développement de dispositifs spécifiques d’aide aux profs en difficulté semble incontournable.

La question de la formation des enseignants est toujours en chantier en France. Que faudrait-il mettre en place en formation initiale pour former de potentiels « bons » profs ?

C’est toute la réflexion menée autour des ESPE (Ecoles Supérieures du Professorat et de l’Education) dans le cadre des grandes orientations fixées par le Ministère de l’Education Nationale. A mon avis, une formation initiale qui donnerait les meilleures chances de devenir un bon prof s’articulerait autour de trois pôles et d’un fil rouge : un haut niveau disciplinaire, une réflexion sur la mise à portée des savoirs et la mise en pratique. Le fil rouge serait l’appui sur la recherche.

Comment prétendre transmettre un savoir aux élèves sans le posséder soi-même dans toutes ses dimensions et ses subtilités ? Une constante est d’ailleurs rapidement apparue, que je résumerais à travers deux formules souvent employées : « ce(tte) prof m’a fait progresser dans sa matière » et « avec ce(tte) prof, j’ai aimé les mathématiques, l’histoire-géographie, l’EPS,… alors que ce n’était pas le cas les années précédentes ». Le rapport aux bons profs ne se limitait pas à une relation humaine, mais à une relation humaine basée sur les savoirs et l’apprentissage.

Enseigner est un acte de transmission, donc le deuxième élément sur lequel je souhaite insister est la mise à portée des savoirs dont je parlais un peu plus tôt. Les problématiques de l’apprentissage, de didactique, de psychologie du développement, de motivation, de sens et bien d’autres sont ici centrales.

Le troisième élément qui me semble devoir construire la formation initiale des enseignants est la mise en stages d’intervention, accompagnés par un tuteur, un conseiller pédagogique dont la compétence est reconnue par ses pairs et par l’institution. L’importance du conseiller pédagogique est centrale : comment le futur enseignant peut-il se développer sans retour sur sa pratique afin de la réguler ? Comment, sans aide, peut-il permettre à ses élèves d’apprendre alors qu’il est lui-même en train d’apprendre son métier ? L’efficacité de ces stages se conjugue souvent avec leur précocité dans le parcours de formation, dès la deuxième ou troisième année de Licence.

Avec la conjugaison de ces trois éléments (haut-niveau disciplinaire, réflexion sur la mise à portée des savoirs et mise en stage), le fil rouge de la formation initiale me semble être l’exploitation des travaux de recherche. Etant personnellement chercheur dans le domaine de la motivation, je peux vous assurer que des centaines de travaux scientifiques sont pertinents pour par exemple analyser les comportements et réactions d’élèves, les situations d’apprentissage, les modalités d’intervention de l’enseignant, et ainsi les faire évoluer, dans une logique participative.

Vous avez questionné « Monsieur tout le monde » mais aussi des nombreuses personnalités connues comme par exemple Jean-Jacques. Goldman, Axel Kahn, Marcel Rufo ou encore Boris Cyrulnik. Quel fut l’apport de ces personnalités dans la construction de votre livre ?

Les seize personnalités interviewées dans l’ouvrage ont évoqué avec émotion et une précision remarquable leurs souvenirs d’enseignants, et ce qu’ils leur avaient apporté. Ainsi, Jean-Jacques Goldman a été interrogé sur les raisons de l’écriture d’une chanson sortie en 1987, Il changeait la vie, dans laquelle il évoque dans un couplet un professeur qui change la vie de ses élèves. Axel Kahn a discuté de l’importance de l’éthique, de l’humanité et de l’empathie chez les enseignants. Marcel Rufo a donné son avis sur l’impact des enseignants sur la construction psychologique des jeunes, notamment dans la période tourmentée de l’adolescence. Boris Cyrulnik a évoqué d’une part le rôle de l’enseignant en tant que tuteur de résilience chez des élèves vivant des situations très difficiles, et d’autre part le rôle des émotions dans la construction des connaissances. Chacune de ces personnalités a pu ainsi apporter un éclairage original sur la thématique des bons profs. Au-delà de l’intérêt de leurs témoignages, j’ai été lors des entretiens particulièrement surpris par deux éléments. Le premier est qu’elles aient accepté de me consacrer une partie de leur temps pour parler de ce sujet, alors que je n’étais pas un auteur connu et que le livre n’avait aucune certitude d’être édité ! Le deuxième est qu’en évoquant leurs souvenirs de bons profs, j’ai ressenti chez chacune d’entre elles une forte émotion, un sourire mêlé de nostalgie. Cela m’a renforcé dans l’idée de mener ce projet à son terme, ce que les éditions Anne Carrière m’ont permis de réaliser.

Interview réalisé par Xavier Dejemeppe (correspondant belge des Cahiers Pédagogiques)