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Dans cette classe de 5e, Mohamed aimait bien jouer au caïd. Il aimait bien les maths aussi, et voulait toujours répondre à toute question posée. Vif, il ne supportait pas d’attendre que la parole lui soit donnée (et évidemment elle ne pouvait pas lui être toujours donnée). Ce qui fait que ce jour-là, après plusieurs rappels, il avait écopé de la (petite) punition infligée pour interventions intempestives. Et ça ne lui a pas plu. Il a alors dit qu’il ne la ferait pas. À la fin de l’heure, je lui ai dit que s’il ne voulait pas la faire, qu’il trouve autre chose en compensation : je pensais qu’effectivement la punition appliquée, choisie pour avoir un rapport avec l’attitude reprochée, n’était pas un summum de finesse, mais cela me demandait peu de temps de contrôle. Peut-être avait-il meilleure idée ? Il a refusé, d’un air de dire que ce n’était pas son problème. On connait la susceptibilité des gens du Sud, il ne s’agissait pas de lui faire perdre la face. Mais je ne voulais pas non plus laisser passer, bien sûr.

M’est passé par la tête, sans en avoir eu le temps de la réflexion, de lui dire que s’il ne me la rendait pas, je ferais comme s’il n’était pas là, et ce, pendant quinze jours : heureuse limite dans le temps.

On part en vacances de printemps, je me demande ce qui va se passer. Au retour je rends des devoirs, sauf le sien, il me demande brutalement où est le sien, je lui dis en retour : « As-tu quelque chose pour moi ? » Il répond non, alors moi : « Eh bien moi non plus. »

Et en cours il continue à lever la main pour avoir la parole (tiens, un progrès sur justement l’objet de la punition) et je ne le regarde pas, ne lui donne pas la parole. Il me demande pourquoi. Je lui dis : « Moi je sais, et toi tu dois le savoir aussi. » Silence. Il encaisse, et les jours suivants aussi.

Au bout de dix jours, il me dit : « Madame, vous aviez dit que ça durerait quinze jours que vous fassiez comme si je n’étais pas là. » Et je lui réponds : « Oui, mais cela fait seulement dix jours. »

Au bout des quinze jours, j’ai recommencé à le voir en classe, lui ai rendu les copies en retard (il avait continué à rendre son travail), n’y ai plus fait allusion et lui non plus.
Je n’ai plus eu besoin de le rappeler à l’ordre pour intervention intempestive. Et j’ai su par ailleurs qu’il me trouvait sympa.

Je pense qu’il avait pu garder la face, mais moi non plus je n’avais pas calé, puisqu’il avait été puni d’une autre façon.

N. B. : Tout cela, c’était avant que je découvre le système d’interrogation par cartes (cf. Guichenuy, Élèves actifs, élèves acteurs), ce qui a mis fin à cette pratique peu satisfaisante d’interroger ceux qui savent ou veulent donner leur réponse : les doigts levés sont alors devenus réservés à ceux qui avaient une question, ou une objection, ou un complément à ajouter, mais pas pour désigner celui ou celle qui allait répondre à une question à laquelle tous étaient censés avoir réfléchi : là c’était le sort qui désignait celui qui allait commencer par répondre, ainsi que le premier à donner son avis sur l’intervention précédente.

Martine Belmont
Anciennement professeure