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Militer pour une école qui rend heureux

Elle relie sa façon d’enseigner, de concevoir l’éducation, à la manière qu’avait son père, professeur de mathématiques de vivre son métier, de placer en exergue le respect des élèves et de répéter à l’envi qu’il ne faut jamais se moquer d’eux. Enseignante, il lui semble avoir toujours voulu l’être depuis le CP. En CM1, elle aime l’école plus fort encore, au contact d’une institutrice qui faisait écrire à sa classe des textes libres. « Je remplissais des cahiers. Elle lisait nos textes le soir et comme évaluation elle les illustrait de dessins en couleurs. J’avais adoré ! »

Bonne élève, elle suit une filière scientifique. Ses gouts balancent entre mathématiques et littérature. Elle lit, lit beaucoup, de la poésie surtout, Éluard et Prévert en tête. Au moment du choix des études, elle hésite puis finalement choisit la fac de lettres de Poitiers. « Je voulais être avec des gens qui aiment la littérature. » Elle opte en troisième cycle pour « cinéma et littérature comparés », rédige un mémoire sur François Truffaut.

À la faveur d’une bourse, elle tente le CAPES et l’obtient en 1996. Son stage au LP2I (Lycée pilote international innovant) du Futuroscope est une entrée directe dans un pédagogie faite de projets, de travail en équipe, d’interdisciplinarité, qui est toujours le fil rouge du métier d’enseignant tel qu’elle le vit, le ressent, s’y engage. Elle est nommée ensuite comme titulaire sur zone de remplacement dans l’académie de Tours, puis de Poitiers, enseigne en collège en milieu rural, découvre d’autres publics, d’autres façons de mener des projets, enrichit ses pratiques avec une touche artisanale d’audiovisuel et nourrit son enthousiasme. Un poste se libère au LP2I, elle l’obtient. Elle ne l’a guère quitté depuis et ne se lasse pas de ce qu’elle y vit.

Un lycée un peu à part

L’établissement, qui fait partie de la FESPI (Fédération des établissements publics innovants) est, depuis sa création, un peu à part. Les enseignants y sont recrutés sur des postes à profil. Le numérique, qui était au départ une orientation majeure, reste une particularité forte mais l’expérimentation pédagogique est la véritable clé de voûte. Les publics viennent de différents horizons mais ont comme point commun d’avoir envie d’apprendre autrement. Certains ont une vie scolaire cabossée par un malêtre dans un système classique. La créativité les rassemble.

L’établissement est à taille humaine avec un internat qui a dû s’agrandir. Les quelques 140 places ouvertes en seconde attirent plus de 300 candidatures. Les candidats sont reçus et leur entrée dépend plus de leur adhésion au projet de l’établissement qu’à la performance scolaire. « Ce n’est pas un lycée qui créée de l’élite mais il y a ensuite pas mal de carrières brillantes. » Les résultats au bac oscillent autour de 92 %.

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La cour intérieure du LP2I

Tout au long de leur scolarité, les élèves enrichissent un webfolio qui recueille les traces de travaux non évalués à l’examen, les compétences acquises et des projets auxquels ils participent. Le travail en collectif est une constante. Il se traduit dès la seconde par des modules interdisciplinaires. Les projets sont variés mais aboutissent chaque fois à une production écrite, vidéo, graphique, en ligne ou radiophonique. « On apporte les contenus disciplinaires, quand ils en ont besoin pour faire leur projet interdisciplinaire. »

Pour toutes les classes, tous les niveaux, un jeudi après-midi sur deux est consacré à des « cours à la carte », le suivant à des Ateliers complémentaires de formation, où des projets sont là aussi créés et développés. Pour les premiers, les élèves s’inscrivent en fonction de leurs besoins d’approfondissement ou de soutien. Pour les seconds, ils font équipe par douzaine, en se mêlant entre niveaux pour mener à bien une idée de leur choix qu’elle concerne, par exemple, la programmation de robot, le sport, l’humanitaire, l’artistique ou l’environnement. Chaque groupe présente son projet devant un jury composé d’enseignants, de parents, de personnels de direction, d’administration et d’élèves, qui effectuera par la suite un évaluation intermédiaire et finale. En tout, chaque lycéen participera à trois projets durant sa scolarité.

Turfu

Hélène Paumier cite en exemple un projet né d’un module interdisciplinaire en seconde et qui s’est poursuivi en atelier complémentaire jusqu’à devenir emblématique et médiatique. Il y a trois ans, elle a souhaité, avec un enseignant en sciences économiques et sociales, faire travailler des élèves de seconde sur l’édition. Avec l’étude de correspondance entre auteurs et éditeurs, des modalités économiques, du rôle social au travers des éditions indépendantes ou de résistance, les élèves ont découvert un monde qu’ils ignoraient. Ils se sont passionnés à un point tel qu’au bout de trois séances, l’idée a germé de créer les « Turfu les éditions ». À la fin de l’année, une junior association est donc née pour poursuivre le projet dans le cadre des ateliers complémentaires.

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L’initiative est saluée à Écritech (colloque autour des problématiques de l’écrit, du numérique et des apprentissages), remarquée par le ministère de l’Éducation nationale. Elle a été sélectionnée l’an passé aux journées de l’innovation, fait l’objet d’un article dans la lettre de l’éducation et dans Libération, est mentionnée dans la revue de presse de France Inter. Les choses vont vite, très vite, avec cinq livres déjà publiés, disponibles gratuitement en ligne, et dix manuscrits à l’étude en ce début d’année.

Une vingtaine de lycéens font vivre la maison d’édition, avec un pôle juridique qui travaille sur les droits d’auteurs, le droit à l’image et les statuts, un pôle communication qui gère les réseaux sociaux, les vidéos et les interviews, et un pôle éditorial où sont choisis en mode collégial les publications. Des contrats ont été passés avec des correctrices. L’organisation, désormais associative, est professionnelle. « Je suis aux anges quand je les vois débattre sur le pourquoi ils gardent un manuscrit ou pas. Je ne m’en mêle pas. Ça marche sans argent, ce sont des militants de l’écriture égalitaire. »

Ateliers d’écriture

Parmi tous les projets du LP2I, une attention particulière est portée aux élèves décrocheurs avec l’atelier d’écriture Palanquée, qu’elle a conçu avec un enseignant de mathématiques. « Le principe est d’aller de l’extime vers l’intime au fil des semaines. » Au départ, les lycéens sont invités à décrire leur trousse ou à faire leur portrait à partir de recherches sur Internet, puis ils sont amenés à décrire des lieux imaginaires ou réels où ils ont dormi, à raconter un ancien souvenir, à répondre à un questionnaire à la Sophie Calle, et enfin à composer un texte dont le premier paragraphe commence par « Je suis » et le deuxième par « je rêve de ». L’atelier se clôture par une lecture d’un texte personnel ou particulièrement aimé, devant un public choisi.

Les séances accueillent une douzaine d’élèves encadrés par trois à quatre adultes : les deux enseignants, l’infirmière et la conseillère d’orientation psychologue. « On reste des référents après. Ces élèves ont besoin d’être épaulés, de s’exprimer par l’écriture et le collectif. »

Le choix de l’atelier d’écriture n’est pas un hasard pour elle, qui en anime dans différents lieux, auprès de publics divers. Proche du groupe de l’OuLipo, elle a gardé de son enfance ce goût d’écrire et de partager. Elle dit « se sentir parfois prof à mi-temps à côté des ateliers d’écriture » mais ne compte pas son temps pour s’impliquer dans l’éducation populaire en tant que présidente des Ceméa de Nouvelle-Aquitaine, ou pour partager et diffuser ses pratiques radiophoniques avec des formations pour le CLEMI.

Éducation et émancipation

Ce qui l’a fait grandir dans son métier, l’a menée sur des projets différents mais qui font écho entre eux, c’est une certaine conception de l’éducation, une éducation émancipatrice. « C’est le LP2I qui m’a rendue militante. » Elle y est arrivée une première fois comme stagiaire, sans connaître la pédagogie de projet ou celle de Freinet. Depuis, elle a participé à des regroupements de l’ICEM, a lu, s’est formée. Cette approche pédagogique lui est apparue comme une évidence, comme une mise en pratique quelques décennies après, des principes éducatifs qui guidaient son père dans son métier. « L’école doit être un endroit où on se sent heureux d’accéder aux savoirs, de créer du commun, de l’estime de soi. Je suis une militante pédagogique pour une école qui émancipe par la créativité. »

Elle se souvient d’échanges insupportables où elle entendait « les élèves sont nuls ». Elle rejette une école érigée en grise gare de triage, où les élèves sont ballottés au gré des sélections. Elle voit l’éducation comme un large chemin où la famille, les éducateurs au sens large du terme, et les pairs agissent, contribuent. « Les élèves m’ont appris l’alphabet de la publication sur Internet, la radio aussi. » Elle apprécie « cette horizontalité de la transmission des savoirs ».

Son militantisme, elle le mesure au temps passé en dehors du temps compté, à partager, accompagner. Elle le définit comme « un engagement personnel pour une école qui rend plus heureux ». Et constate sur les visages ravis le jour de la rentrée scolaire ou les retrouvailles chaleureuses avec des anciens lycéens, que cet engagement n’est ni vain ni ponctuel. Il vit, se transmet et perdure de père en fille.

Monique Royer


Le site du LP2I de Poitiers

Le site de « Turfu les éditions »

À lire également sur notre site :

Un éditeur lycéen qui met les livres à toutes les sauces, entretien avec l’équipe de Turfu les éditions.

Des modules interdisciplinaires en seconde, sources d’inspiration pour les EPI ?, par Antoine Coutelle et Xavier Garnier (LP2I)