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Mettre l’innovation en réseau ?

Montreuil, dimanche 1er octobre : journée d’effervescence pédagogique.

Equipes constituées ou individus isolés porteurs de projets, mouvements pédagogiques, associations : nous étions quelque 200 personnes réunies ce dimanche 1er octobre à la Bourse du Travail à Montreuil, à l’initiative de l’Institut coopératif de l’École moderne (ICEM), de Marie-Danielle Pierrelée – dont le Manifeste a recueilli à ce jour plus de 5500 signatures – de l’association DECLIC [[DECLIC : Développement Expérimental de Collège-Lycées d’Initiative Citoyenne (association en lien étroit avec le mouvement Freinet)]], et de Gabriel Cohn-Bendit (cf. l’Appel à l’union de tous les pédagogues paru dans Libération du 28 septembre). Le CRAP, avec le GFEN [[GFEN : Groupe français d’éducation nouvelle]], les CEMEA [[CEMEA : Centres d’entraînement aux méthodes d’éducation actives]] et l’AFL [[AFL : Association française pour la lecture]] étaient invités.

En toile de fond : la création du Comité national de l’Innovation pour la réussite scolaire présidé par Anne-Marie Vaillé dont un message est lu à l’assemblée : elle assure de son intérêt les initiatives qui se sont fait ou se feront connaître ; rappelle la volonté du ministre de voir se concrétiser à brève échéance les projets innovants ; évoque la tenue de commissions de travail spécifiques autour de tout projet soumis au Comité ; enfin informe de l’organisation de rencontres interacadémiques sur l’innovation courant novembre et décembre.

Fenêtre ouverte donc au ministère sur les projets innovants et, semble-t-il, volonté de s’inscrire dans un calendrier à court terme.

Deux stratégies

Les initiateurs de la journée ont tous souligné cette conjoncture politique favorable, inscrivant la réunion dans un impératif « d’urgence » : pendant quelques mois, « quelque chose » serait possible. Il faut saisir l’occasion : recenser les projets existants ou en gestation (quatorze seront ainsi présentés ce jour-là) ; créer un réseau pour coordonner le tout et maintenir suffisamment fort l’élan créé pour engager un processus durable.

Si l’horizon commun est celui du changement de l’École, deux stratégies se dessinent sans pour autant se figer en camps bien distincts :
– la première met l’accent sur l’existant. Il s’agit de s’appuyer sur les acquis pour aller plus loin. Acquis institutionnels d’une part : l’Éducation nationale, dans ses évolutions récentes permet – tout au moins dans les textes – de s’engager sur la voie de l’innovation (enseignement par cycles dans l’élémentaire ; travaux croisés en collège ; TPE, Aide individualisée en lycée). Acquis des mouvements pédagogiques d’autre part : le travail sur les pratiques, qu’elles soient coopératives, fondées sur la pédagogie institutionnelle, les méthodes actives, le « tâtonnement expérimental », ou tout autre apport né de plus d’un siècle de réflexion et d’expérimentation pédagogiques – dans lequel le CRAP et les Cahiers ont joué leur rôle – a permis des réussites qu’il faut mettre en valeur. L’ouverture apparente du ministère à ces idées devrait permettre de consolider et d’élargir les expériences menées dans les établissements.
– la seconde met l’accent sur les résistances au changement qui annihilent tous les efforts cités ci-dessus. Ainsi Déclic 93 se heurte depuis trois ans au refus « démocratique » de l’établissement censé accueillir une petite structure innovante dans ses murs. Marie-Danielle Pierrelée dresse quant à elle un bilan totalement négatif du collège dont la situation est jugée « gravissime ». La crise de l’École est telle qu’un point de non retour aurait été atteint, nécessitant des mesures urgentes et radicales. Dans ce contexte, il s’agit de créer les conditions d’un véritable débat public sur les missions et le sens de l’École. Débat concernant tous les citoyens, et pas seulement les professionnels de l’éducation. Créer ce débat, c’est créer un rapport de forces permettant l’ouverture d’établissements « pionniers » ouvrant la voie à un réel changement. « Pionnier » est préféré à « expérimental » car il ne s’agit pas de se satisfaire de la création d’établissements parallèles au système, mais bien d’inscrire le changement dans une reconquête de l’École par l’ensemble de la société.

S’inscrire dans la durée tout en tenant compte de l’urgence : deux tendances contradictoires qui ont rythmé la journée en oscillations régulières.

Tantôt le pragmatisme orientait le débat vers des décisions matérielles immédiates : comment s’organiser ? Si mise en réseau il y a, qui assurera la coordination ? Objectif fixé : trouver une adresse nationale, permettant à chacun de se relier au mouvement, de continuer l’action localement tout en construisant les éléments d’un débat national.

Tantôt la question des valeurs venait interrompre le processus de décision. Plusieurs interventions ont jeté le soupçon sur les mots censés réunir les participants : en premier lieu le mot « innovation » jugé insuffisant à définir une base d’accord commune. Quelle est la finalité éducative cachée derrière le mot ? De l’émergence d’un sujet autonome, créatif, capable d’initiatives et solidaire, à celle d’un sujet capable de créer des entreprises, dynamique, inventif et ancré dans un projet de réussite personnelle, le sème discriminant ne réside pas dans le mot innovation qui favorise aussi bien l’une que l’autre. De même, la « réussite scolaire », peut être déclinée en termes contradictoires : dans un modèle compétitif et élitiste – fût-il républicain – ou dans un modèle plus humaniste visant le développement de la personne. Un deuxième questionnement, lié au précédent, posait le problème des limites de l’action commune engagée : certains principes comme la laïcité, la gratuité, bref le caractère public du mouvement ont été posés comme intangibles, excluant toute initiative à caractère privé. Cette position, affirmée fortement par l’ICEM, a révélé quelques failles dans l’assemblée. Le principal débat a porté cependant sur la confiance à accorder au ministère : la création d’établissements innovants en marge du système, qu’ils soient pionniers ou expérimentaux, ne risque-t-elle pas de servir d’alibi à un immobilisme de fait ? La figure de Meirieu, grand absent de la journée, apparaît en filigrane : peut-on applaudir sans réserve la création d’un comité de l’innovation qui marque en même temps la fin d’un processus de réforme visant à transformer l’ensemble du système éducatif ?

Bilan provisoire de la journée :

Au bout du compte, dans l’impossibilité de s’accorder sur une unique « tête de réseau », deux adresses ont été données : celle de l’ICEM, mettant à disposition son propre réseau : freinet. org/icem/, et celle du Manifeste de MD Pierrelée : www.multimania.com/mdpierrelee.

Un temps fort est proposé pour un forum national sur l’éducation : les 10 et 11 mars 2001 (dates à confirmer).

Cela dit, les questions de fond sont restées en suspens, et nous le voyons, beaucoup d’ambiguïtés devront être levées. Elles devront être levées en premier lieu dans notre propre mouvement : ces questions, nous nous les sommes posées, nous nous les posons encore. Quel bilan critique portons-nous sur l’état de l’École ? Le cri d’alarme de M.-D. Pierrelée rejoint les imprécations des pires détracteurs de la pédagogie : cela n’est certes pas une raison suffisante pour refuser de l’entendre. Cependant, devons-nous oublier la loi d’orientation de 1989 qui, tant sur les missions que sur le sens de l’École, est porteuse de bien des innovations ? Où sont les résistances ? Bien sûr dans l’institution, mais aussi dans les corps sociaux attachés à leurs propres représentations de l’École. Si un nouveau débat, plus large, plus citoyen ne peut être que profitable, la nouvelle loi qui en résultera sera-t-elle mieux appliquée que la précédente ? Dans l’immédiat, une question doit être débattue : quel rôle voulons-nous jouer dans la dynamique enclenchée ? Et, corollairement, quelle réponse apportons-nous à la question posée par Meirieu ?

Marie-Christine Chicky, professeur de français.