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Mettre en musique

Plusieurs dispositifs de l’enseignement secondaire font appel à l’engagement personnel de l’élève, en sollicitant ses capacités de recherche et d’imagination : carnet de bord en histoire des arts, expositions, TPE, et, bien entendu, les démarches de création dans les cours d’enseignement artistique.

La création reste un aspect sensible, avec de nombreuses difficultés de mise en œuvre. D’un côté, les élèves se sentent peu compétents, ont peur de se lancer ; de l’autre, l’enseignant doit gérer un groupe souvent bruyant, parfois chaotique. Tout cela peut entrainer des stratégies de repli ou de détournement de part et d’autre, et, au regard du temps et de l’énergie consacrés, une certaine insatisfaction, voire une déception quant aux résultats, une impression d’inachèvement, de déjà vu, et peut-être la pire remarque de toutes aux yeux d’un pédagogue : les élèves en difficulté seraient en plus grand échec dans les situations ouvertes.

Les conditions de l’enseignement de l’éducation musicale au collège ne facilitent pas la tâche. L’activité est bien entendu sonore, le groupe nombreux, et l’âge de 12-13 ans semble coïncider avec une phase de baisse de créativité, pour plusieurs raisons : la recherche d’un accord en conformité avec le groupe, une certaine expérimentation du système scolaire qui amène à éviter certains risques, et une vulnérabilité liée aux transformations physiques et psychologiques.

Cependant, à l’âge du développement d’une pensée complexe, foisonnante et d’une évidente vitalité, il est important de proposer des situations qui donnent aux jeunes la possibilité de transformer un environnement qui tend à les rendre captifs.

À travers quelques exemples expérimentés en collège (les signatures sonores, les paysages sonores, et la relation entre image et son), voici quelques pistes de réflexion pour la mise en œuvre de ces activités.

Dans une démarche faisant appel à l’invention, nous nous plaçons bien dans une situation complexe : il n’existe ni procédure applicable directement, ni solution modèle, l’imprévu fait partie de la démarche, et la compréhension des consignes évolue avec les tâtonnements de l’élève. Les modes d’invention peuvent êtres variables, sans nécessairement de degré de valorisation entre eux : réplication, répétition, amplification itération, reconstruction. Enfin, le résultat final n’est pas le seul objet de l’appréciation du travail. De nombreux facteurs interviennent : l’engagement, l’adaptation aux contraintes, la richesse et l’originalité des propositions, les compétences techniques, les références culturelles, la prise en compte du groupe, de l’environnement.

Il est impossible de tout gérer simultanément. Il sera donc nécessaire de faire des choix, d’opérer des dosages, afin de fixer ce qui est repérant pour l’élève, de donner du sens au processus mis en œuvre.

À quelles conditions la mise en place de ces activités peut-elle être profitable ? Tout d’abord, privilégier la fréquence et la mobilité de la pratique à l’ambition des projets. Les jeux vocaux proposés par Guy Reibel peuvent être une occasion rapide de proposer à un élève de prendre la main, de diriger la classe ou un groupe. La pratique de brainstorming, de photolangages, d’inventions et d’enregistrement de sons, de jeux rythmiques sur le corps ou sur quelques lames de xylophone, mais aussi la création des signatures sonores dans les premières séquences signifient que cette pratique est aisée et fait partie de la discipline. Il s’agit de construire l’idée que c’est accessible à tous.

La variabilité des supports et des types de sollicitations est importante. Chacun a un mode de fonctionnement différent, qu’il est difficile de solliciter simultanément, mais l’appel à des supports variés (texte, graphisme, image, son) permet un accès à un plus grand nombre. Lors du travail sur les signatures sonores, nous débutons par des jeux sonores collectifs, puis chacun fait des propositions individuelles. Le passage par une représentation graphique permet d’affiner le motif, et d’obtenir ensuite, lors du transfert, une plus grande exigence sonore qu’il aurait été difficile d’obtenir en réitérant l’exercice uniquement de manière sonore.

Tous ces éléments ne peuvent se mettre en place si l’élève ne se sent pas en confiance. Il est important d’établir des rituels de communication rassurants tels que la valorisation des moments de recherche, l’acceptation d’une certaine divergence et la possibilité de différer le moment de présentation au groupe, soit par l’enregistrement, soit en permettant à chaque individu de s’insérer dans un groupe.

La force du groupe peut être valorisée avec les jeunes. Une petite production peut trouver plus de sens au sein d’un ensemble. Les signatures sonores individuelles peuvent être transformées, associées à d’autres, placées dans une construction plus élaborée proposée par l’enseignant, puis par d’autres élèves. Donner l’idée que l’on est complémentaire, plus inventif à plusieurs conforte les élèves.

Les auteurs divergent sur la nature des opérations mentales en jeu dans la création, entre phases successives de préparation, de tâtonnement, de construction de synthèse, de réorganisation de décision, ou de courtes interactions entre divers modes de pensée et actions. Mais pour les projets plus longs qui sont le cœur de notre propos, il me semble préférable que l’élève visualise différentes étapes plutôt courtes, au moins pour qu’il ne se sente pas abandonné et que le groupe lui permette d’accepter de différer, de modifier son travail en se plaçant dans une temporalité plus longue. Plus les élèves ont des difficultés, moins ils arrivent à apprécier leurs propositions, moins ils acceptent de refaire. Il est donc nécessaire de relancer la dynamique en variant toujours les modes de fonctionnement.

La phase de déclenchement est importante dans la mobilisation sur la tâche. Tous les éléments cités précédemment participent à sa réussite, mais il est important de poser un problème, un défi, une interrogation. Tout dépend du sens que l’on veut donner à la séquence. La question transversale peut y participer. Dans le cas des signatures sonores, l’engagement personnel et les jeux avec le son suffisent. Le travail sur les photolangages peut être un bon déclencheur. L’image n’a pas les mêmes limites et modalités d’approche que le texte ou le son. Elle se modifie différemment. La place de l’exemple sonore est à réfléchir, car celui-ci peut être limitant si les élèves cherchent une imitation, ou s’ils le trouvent inabordable ou sans intérêt.

Dans la phase de tâtonnement, l’enseignant aura intérêt à la fois à bien délimiter le champ pour ne pas se retrouver à trop réajuster les consignes, mais aussi à valoriser les initiatives, pour permettre le foisonnement. Il est important d’avoir des outils qui permettent de recueillir rapidement les idées, enregistreur dans la salle ou dans un endroit isolé si possible, étiquettes et éléments permettant un accrochage rapide au tableau, logiciels de présentation, etc. On peut varier les dispositifs, groupes ou classes. Le bruit ambiant n’est pas un problème s’il est limité dans le temps.

La phase d’organisation doit par contre être l’objet d’une plus grande restriction. Pour le travail sur les paysages sonores, on reprécisera les consignes après un échange en classe. Je limite à quelques dizaines de secondes la durée de l’extrait, et le nombre de sons travaillés à huit (en raison de la vision sur l’écran). Elle se conduit parallèlement à une verbalisation des choix.

L’évaluation reste sans doute l’aspect le plus délicat. Les facteurs mis en jeu sont multiples. Avoir défini la tâche au préalable est une condition indispensable, mais elle n’est pas suffisante. En effet, l’élève peut avoir répondu aux consignes et avoir validé certaines compétences, sans pour autant avoir d’indications sur certains éléments difficilement appréciables. Faut-il évaluer l’engagement, la richesse des réponses, la prise en compte de l’environnement, ou se concentrer sur la tâche ? À quel stade le faire pour ne pas briser la dynamique et générer des frustrations ? Quelle place prend le groupe à ce moment-là ? Comment valoriser les propositions divergentes ?

Voici quelques pistes de réflexion à ce sujet : dans la phase de tâtonnement, j’évite de prendre des exemples individuels tirés de la classe face au groupe. On peut préparer des exemples fictifs ou anonymes. Pour l’évaluation des aspects personnels, engagement, richesse des propositions, on peut préparer des fiches d’autoévaluation et laisser de la place pour un critère choisi par l’élève, l’évaluation de l’enseignant restant limitée par les consignes de départ. Le travail du groupe peut être bien entendu évalué. On aura soin alors de mettre en évidence la complémentarité des individus.

L’aspect qui me semble le plus important dans la régulation est la verbalisation. Elle peut prendre différentes formes : présentation du projet à un camarade ou à l’ensemble de la classe, argumentation des choix opérés, choix d’un texte pour accompagner une œuvre, présentation des modifications apportées, etc.

La publication des travaux est fondamentale. Valoriser le travail individuel et collectif tout en visualisant le processus permet de donner de la forme, du sens à l’ensemble du chemin, et nous renvoie, par la constitution de traces, d’empreintes, voire d’une culture de la classe, à ce qui était évoqué au début, c’est-à-dire à une ritualisation, une institutionnalisation. Les élèves prennent conscience que l’on s’intéresse à leur activité de réflexion, de création.

Tout ce processus demande à l’enseignant un équilibre entre une organisation importante, et une adaptation en fonction des situations. Les résultats ne sont pas nécessairement spectaculaires, mais ils sont significatifs. Cela permet aux jeunes de reconquérir des espaces en jachère. La verbalisation, associée à la situation ouverte, peut amener la rencontre de deux connaissances ou deux systèmes de pensée jusque-là isolés.

« L’imagination est mobilisatrice de comportements organisés en relation avec ce qui s’y représente. Elle est une construction active pour laquelle le sujet mobilise à la fois ses perceptions présentes, sa connaissance du monde et ses possibilités de mémoire. »[[Serge Tisseron, Rêver, fantasmer, virtualiser, éditions Dunod, 2012.]]

Versatile, saturé, volatile, immédiat, fragmenté, disséminé, l’univers dans lequel sont immergés les jeunes aujourd’hui semble défavorable à une réflexion complexe, mais on pourrait répondre terme à terme qu’il est transformable, riche, réactif, et qu’il favorise la construction de réseaux. Proposer des situations qui permettent aux élèves de créer des liens de sens entre des éléments épars me semble un aspect important de notre métier. Les activités de création permettent aux élèves de se construire un chemin personnel, dans une dynamique qui valorise également l’enseignant. Car cette prise de risque le place dans une mise en éveil, une écoute différente.


Les signatures sonores

Les élèves, dès la 6e, à la suite de jeux vocaux, sont invités à créer une signature sonore à partir des sons de leur prénom. Ces motifs sont tous enregistrés, et pourront évoluer au cours des années au collège. Ils seront la base de transformations et montages sonores, mais aussi l’occasion de rapprochement avec des œuvres du répertoire travaillé en classe.

Les paysages sonores

Suite au montage réalisé autour des prénoms, en 5e ou 4e, les élèves construisent, à partir d’un réservoir de sons choisis, un moment musical, en utilisant un logiciel de montage multipiste. Les consignes de travail dépendent des compétences abordées dans la séquence. Elles peuvent être centrées sur la forme, le contraste, les plans sonores, etc.