Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !

Métacognition et transfert des apprentissages à l’école

Le travail présenté ici porte sur des séances de biologie effectuées de trois manières différentes (G1, G2, G3) dans quatre classes de CM2 ayant travaillé avec métacognition, mais de façon distincte deux à deux, et quatre ayant travaillé sans, sur deux thèmes, la respiration et la digestion.

Pédagogie traditionnelle et pédagogie « socio-constructiviste »

Dans les classes G1 : la démarche mise en œuvre sur une à deux séances d’une heure environ est traditionnelle, expositive et explicative avec questionnement oral de compréhension pendant la leçon, lecture de documents et observation de planches par les élèves et demande d’explication, écriture des concepts clés au tableau, production de schémas au tableau à recopier sur le cahier et d’un résumé écrit par le maître au tableau avec une participation des élèves ou produit sous forme de texte polycopié. Un contrôle est effectué la semaine suivante sous forme de questions, récitation du résumé et/ou complètement de schéma.
Dans les cas G2 et G3 : La démarche est active de type socio-constructiviste mais ne met pas en œuvre la métacognition de la même façon.
Une première phase vise à faire émerger, à partir de silhouettes à remplir et textes à écrire, les représentations des élèves dont la confrontation conduit à des hypothèses et des questions (une dizaine) qui seront écrites au tableau, destinées à problématiser le thème (en accord avec les objectifs visés par le maître). Le maître sollicite aussi des élèves, des projets d’investigation et d’expériences.
Une seconde phase vise à répondre aux questions par des expériences (souffler dans un tube à essai renversé dans un bocal), des mesures comparées (du thorax, du pouls en situations différentes), des dissection-observations (d’un ensemble cœur-poumon) observation de radios, puis une formulation des résultats.
À la fin des séances, le maître produit avec les élèves, collectivement, un texte sur les connaissances ainsi construites en les amenant à répondre à toutes les questions de départ. Il fait un contrôle sur les connaissances (répondre à des questions, terminer un schéma).
G3 : Même démarche qu’en G2 à quelques différences essentielles près.
– 1. Le maître avertit de la forme du travail pour favoriser l’anticipation des élèves sur la tâche et la prévision sur la situation finale :
« Nous allons nous demander deux choses en même temps, comment on respire, mais aussi comment on fait pour le savoir. Et on fera deux fiches : l’une pour les « connaissances » et l’autre que l’on appellera « fiche de procédures ». Est-ce que vous comprenez bien procédures ?

— Oui, c’est si on devient enseignant !

— C’est si on travaille en biologie »

– 2. Les fiches sont établies au terme de chaque séance, y compris de la première
« On a dessiné ce qu’on pensait ». « On a comparé nos idées ». « On a vu qu’il y avait des idées communes d’autres non ». « On a posé des questions ». « On a formulé des problèmes ». « On a fait des hypothèses pour savoir comment on allait faire » : il s’agit alors de faire prendre conscience aux élèves qu’ils ont des pré-connaissances sur le thème (mais incertaines et à vérifier), c’est-à-dire de leur permettre de partir de métaconnaissances.
Tout au long des séances, le maître fait opérer des réflexions régulières des élèves sur la démarche et les procédures utilisées, il les fait verbaliser et expliciter au fur et à mesure qu’elles sont utilisées :

  • « Comment s’appelle ce que nous sommes en train de faire ? À quelle question voulons-nous répondre » ;
  • « On mesure notre thorax », « on fait une expérience sur l’air qu’on souffle » « on fait une dissection pour observer », « on observe une radio » etc.
    Le même travail est fait sur les concepts nouveaux qui sont énoncés, expliqués et écrits au tableau – le plus souvent par les élèves- et sur les connaissances construites : « à quelle question répondons-nous ? ».
    Un travail de contrôle métacognitif (ou autorégulation) est ainsi opéré par les élèves pendant toute l’activité, par prises de conscience sur le rapport entre procédures, connaissances construites et but visé, sollicitées et aidées par le maître qui a préparé sa classe dans ce sens.
    À la fin de chaque séance, les élèves dictent ainsi au maître sans difficulté les deux fiches de connaissances et de procédures : « On a récapitulé ce qu’on a écrit ». « On a observé des schémas et on a tiré des conclusions ». « On a observé des radios ». « On a fait une dissection et soufflé dans les alvéoles ». « On a fait un résumé pour se rappeler, pour plus tard » etc. : le maître fait en sorte qu’ils sachent ce qu’ils savent et comment ils ont fait pour le savoir.
    Un contrôle de connaissances est effectué la semaine suivante.

Énumérer, expliquer

Après un à deux mois, un questionnaire est donné aux trois groupes de classes :
– 1. Que savais-tu au départ sur le sujet ?
– 2. Que sais-tu maintenant ?
– 3. Comment as-tu fait pour le savoir ?
1re question :
G1 : Les élèves répondent le plus souvent par l’usage ou la finalité (un nombre non négligeable ne répond pas) : « Je savais que si on s’arrête de respirer on meurt » « il faut bien respirer pour vivre surtout quand on court », de même, « il faut bien manger pour vivre ». Il n’y a pas d’essai d’explication du phénomène, sinon quelques rares descriptions : « on respire par le nez, on souffle pas la bouche »
G2 et G3 : Tous les élèves ont répondu, et proposent des réponses. Elles sont plus descriptives en G2 : « je croyais que les poumons étaient comme des ballons » ; plus explicatives et explicites en G3 : « je croyais qu’il y avait deux tuyaux, un pour inspirer, un pour expirer », « que des tuyaux qui partaient de la bouche et du nez ». Le « je croyais que… » va être suivi (cf. 2e Q) « maintenant je sais que… » : a) les élèves s’étaient donc bien constitués des métaconnaissances de départ dont ils savent que ce ne sont que des croyances et b) qui ont été remplacées par de nouvelles métaconnaissances, celles-ci avérées.
2e question :
G1 : trois tendances : réciter le résumé, énumérer des concepts, faire des réponses confuses : « j’ai appris qu’il y a deux tuyaux, un avec de l’oxygène, un avec du gaz carbonique », « j’ai appris qu’on avait plein de tuyaux, l’œsophage, intestin grêle, la trachée », « il faut surtout pas arrêter de respirer », (les représentations de départ semblent toujours présentes).
G2 et G3 : Les connaissances sont plus nombreuses et plus riches ; elles répondent aux représentations. Mais deux différences nettes : en G2 plus de descriptions, en G3 plus d’explication ; en G3 nettement plus de connaissances en quantité et en qualité-plus claires plus précises, plus fonctionnelles- : « je savais qu’il y avait un tuyau faisant passer l’air, maintenant je sais que l’air descend dans la trachée puis dans les poumons, que le sang prend l’oxygène pour le donner aux différents organes et parties du corps, que la trachée se divise en deux bronches pour aller aux deux poumons, et que le rythme respiratoire a un rapport avec le cœur ».
Nous pouvons parler de transfert puisque ces réponses sont faites environ deux mois après les leçons et les contrôles scolaires et de manière très différentes, et constater qu’il est nettement plus important en G3.
3e question :
G1 : Il y a un regroupement de réponses autour de deux pôles : a) « le maître a fait un schéma au tableau et on l’a recopié », « on a appris nos leçons », « on a fait un contrôle où il fallait mettre les mots manquants » ; « on a écouté », « le maître a lu un texte » « a expliqué » ; b) des réponses du type « morale du bon élève » : « il faut (ou j’ai) t bien apprendre sa leçon » « la réciter » « il faut (ou j’ai) bien écouter le maître ». Les élèves confondent procédures expérimentales et comportement du bon élève.
En G2, mais surtout G3, les élèves font état de procédures propres à une démarche pédagogique constructiviste et à une démarche expérimentale (sans doute eut-il fallu d’ailleurs conduire les élèves à mieux différencier les deux choses). En G3 : « on s’est posé des questions », « on a fait des hypothèses », « on a fait des projets » « on a fait des expériences pour vérifier » « on a mesuré » « observé » « on a disséqué » « on a répondu à nos questions ». En G2, il y a moins de ces réponses et quelques « on a bien écouté le maître », « on a appris nos leçons », « on a fait un contrôle » que l’on ne trouve pas du tout en G3.
On retrouve là, une remarque des sociologues (Bautier, Charlot et Rochex, Ecole et savoir… dans les banlieues et ailleurs, A Colin, 1993) sur le fait que les élèves en difficulté « ont tendance à se focaliser sur les règles et les rituels […] à s’en remettre entièrement à l’enseignant qu’ils désignent comme « celui qui apprend » […] qui dit ce qu’il faut faire, […] qui pensent que pour réussir à l’école il faut écouter la maîtresse, travailler et faire les exercices », tandis que les élèves en réussite pensent « qu’il faut écouter la leçon, comprendre et réfléchir, se positionnant plus facilement sur un registre métacognitif, ils font la distinction entre exercices et objets d’apprentissage, ils peuvent préciser ce qu’ils savent et ce qu’ils ne savent pas » (p. 130-131).
Les compétences constatées sur le G3 correspondent donc à des élèves en réussite scolaire, l’école n’étant pas du tout pas sise en milieu favorisé, on peut penser que les modalités pédagogiques de travail, définies du côté de la métacognition, jouent un rôle dans les comportements scolaires corrélés à la réussite – ce qui confirme les divers travaux, en particulier canadiens, effectués sur ce point, (Doly, 1999) : les élèves savent en effet ce qu’ils savent et comment il faut faire pour le savoir.

Transfert et métacognition

Cette observation de type qualitative, illustre bien l’hypothèse sur le rapport entre métacognition et transfert des apprentissages observé au moyen terme, sur des connaissances et des procédures, les secondes aidant aux premières. En effet, des réponses d’élèves à un autre questionnaire, font apparaître un rapport net entre prise de conscience sur les procédures et mémorisation des connaissances : « On a plus besoin de tout garder dans la tête », « un jour, j’avais oublié ma leçon d’avant, j’ai regardé ma fiche de procédures et je me suis tout rappelé ».
Mais il est apparu, dans notre travail, comme dans les travaux expérimentaux (Melot 1991, Cauzinille-Marmèche 1991)., des conditions de transfert, lié en particulier pour nous, au fait qu’il s’agit d’apprentissages scolaires.
Rappelons d’abord que, selon le sens de la métacognition (Doly 1998, 1999), il s’agit bien dans ce travail de conduire les élèves à construire des connaissances métacognitives (ou métaconnaissances) concernant à la fois des connaissances et des procédures, de telle sorte qu’elles soient réutilisables et pour cela, elles ont été construites de façon métacognitive, c’est-à-dire en mettant en œuvre des processus de contrôle de l’activité – anticipation/prévision, autorégulation, évaluation (qu’a t’on appris) -par prises de conscience régulières. Être métacognitif c’est être à la fois celui qui fait et celui qui surveille ce qu’il fait afin de le faire de façon plus efficace et transférable et pour cela, de savoir ce que l’on fait et ce que l’on sait.
En ce qui concerne les conditions de transfert, nous pouvons reprendre ici ce que nous avons découvert au fur et à mesure du compte-rendu du travail dans les classes.
– 1. Le sujet a besoin de connaissance métacognitives préalables sur le domaine concerné
– 2. Il doit pouvoir les activer au moment voulu : cela dépend de l’âge, de l’entraînement, de l’aide apportée, et surtout de la manière dont elles ont été acquises et mises en mémoire, d’où deux autres conditions :

— Il doit effectuer des prises de conscience sur son activité pendant qu’il l’effectue et après, pour comprendre ce qu’il fait et en évaluer le sens et le bénéfice par relations procédure/but et performance.

— « La clé du transfert résiderait dans la capacité du sujet à élaborer à un niveau abstrait, les solutions particulières, ce qui nécessite d’abstraire les propriétés et relations fondamentales des situations » (Cauzinille-Marmèche, 1991). Le sujet doit donc opérer un travail de décontextualisation des savoirs et procédures, les conceptualiser (Cf. travail des fiches) de telle sorte qu’elles deviennent généralisables.
– 3. Ce travail de réélaboration doit être effectué par le sujet lui-même et non par le tuteur (pas de polycopié du maître résumant le travail des élèves), même si dans une classe le professeur aide nécessairement à le faire.
– 4. Le comportement métacognitif n’est pas spontané chez les élèves (on ne le constate pas dans les classes où l’enseignant ne l’a pas prévu et organisé). D’où le rôle majeur de la médiation de l’enseignant (Doly, 1998, 1999 p. 36-38, 2000), entendue du côte du choix d’une organisation conceptuelle, d’une préparation de classe spécifique, de situations d’apprentissage, et de modes particuliers d’intervention que recouvre bien la notion de tutelle telle que la définit Bruner (1983, p. 261 et sqq) à la suite de la réflexion de Vygotsky sur les lois du développement intellectuel (1985, p. 111) et le rôle de l’intériorisation. L’ensemble de la littérature sur ce point (cf. Day & al. 1985) se réfère à ce cadre Vygotsky-Bruner. La fonction de la tutelle est ici de conduire les élèves à opérer les prises de conscience et les diverses opérations cognitives nécessaires à effectuer le contrôle métacognitif de leur activité et le travail de décontextualisation/conceptualisation sous une forme intériorisable par eux, et pour cela plus questionnante et reformulante que sanctionnante et prescriptive, puisqu’ils doivent pouvoir peu à peu « s’aider tout seuls » (Bruner).
Il faudrait pour finir, souligner à nouveau ce qui n’est pas sans rapport avec le transfert, à savoir la motivation développée chez les élèves par cette manière de travailler (Doly, 1996).

Anne-Marie Doly, Maître de conférence en Sciences de l’Education à l’IUFM d’Auvergne.


Bibliographie
Bruner J., (1983). Le développement de l’enfant. Savoir Faire, Savoir dire (PUF).
Commander cet ouvrage
Cauzinille-Marmèche E., (1991). Apprendre à utiliser sa connaissance pour la résolution de problèmes : analogie et transfert. Bulletin de Psychologie, 399.
Day J.D., French L.A., Hall L.K., (1985). Social influence on cognitive developpment. Métacognition cognition and Human performance, Vol.2 Eds. Forrest-Presley, Aacademic Press.
Doly A-M., (1996). (a) Motivation et métacognition (b) Réussir pour motiver Cahiers Pédagogiques, « La motivation » mars 1996
Doly A-M., (1997). Métacognition et médiation à l’école, In M. Grangeat (coord.) La métacognition, une aide au travail des élèves p. 17-61. (ESF).
Doly A-M., (1998). Métacognition et Pédagogie : enjeux et propositions pour l’introduction de la métacognition à l’école. Thèse de Doctorat (Lyon 2)
Doly A-M., (2000). La métacognition pour apprendre à l’école, Cahiers Pédagogiques, février 2002.
Fayol M., Monteil J-M., (1994). Stratégies d’apprentissage/apprentissage de stratégies. Revue Française de Pédagogie, 106
Mélot A-M., (1991). Contrôle des conduites de mémorisation et métacognition. Bulletin de Psychologie, 399.
Mendelsohn P., (1990). La notion de transfert d’apprentissage en psychologie cognitive. Cahiers Pédagogiques 281.