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Delenda Pedago est !
A. Finkielkraut
Dans différents médias les attaques contre les pédagogues semblent s’enflammer, y a-t-il encore place pour un débat, lequel ? Ici Françoise Clerc répond au texte d’Alain Finkielkraut publié par Le Monde daté du 19 mai 2000. Pour les Cahiers pédagogiques, il ne s’agit pas de descendre dans les tranchées, mais bien de continuer à penser notre métier d’enseignant et à l’inscrire dans une perspective moderne et citoyenne. Nous en appelons aux lecteurs, instituteurs et professeurs, pédagogues du quotidien. Que pensez-vous de ces échanges acrimonieux ? Comment ces propos qui paraissent recouvrir des enjeux essentiels vous atteignent-ils dans vos choix comme dans votre pratique ? Avec vous nous souhaitons poursuivre la réflexion dans un vrai débat.
le 10 juin 2000Un seuil a été franchi dans le débat pédagogique. Les « usines de la mort » sont convoquées par Alain Finkielkraut comme l’ultime conséquence des théories que défendent les pédagogues contemporains (page 85 de Une voix vient de l’autre rive, Gallimard). Un tel extrémisme dans les propos montre combien la passion, sinon la haine, fait perdre aux « anti-pédagogues » le sens de la raison et de la mesure. La pédagogie, incarnée dans la figure diabolisée de Philippe MEIRIEU, est présentée comme une monstruosité. Il y a quelque chose d’indigne dans ce procès doublé d’un harcèlement médiatique. De tels procédés, sont un véritable paradoxe chez celui qui défend les valeurs de l’humanisme.
Mais cette querelle des « pédagogues » et des « anti-pédagogues » a-t-elle aujourd’hui un sens ? Comment nier si dédaigneusement la pédagogie alors que l’acte même d’enseigner, ou l’acte d’écrire un livre, suppose une pédagogie ? Nous sommes tous des pédagogues. Nous disons seulement qu’il vaut mieux que notre pédagogie soit consciente plutôt que spontanée et irréfléchie, surtout si l’on veut trouver les moyens de faire accéder tous les jeunes, et pas seulement certains d’entre eux, aux valeurs défendues par l’auteur. Qui peut soutenir de bonne foi que la pédagogie actuelle incite les jeunes au refus des valeurs ? Personne ne peut prétendre avoir le monopole des valeurs. Affirmer que la pédagogie aujourd’hui existe sans référence à des valeurs universelles est un mensonge. Ce mensonge conduit aux plus indignes des dérives et des allégations.
Jacky BEILLEROT (Université de Paris X Nanterre), Jacques BOUVERESSE (Collège de France), Bernard CHARLOT (Université de Paris 8), François DUBET (Université de Bordeaux 2), Georges DUPON LAHITTE (FCPE, président), André LEGRAND (Université de Paris X Nanterre, président), Claude LELIEVRE (Université de Paris V), Nicole MOSCONI (Université de Paris X Nanterre), Antoine PROST (Université de Paris I), Georges VIGARELLO (Université de Paris V)
le 10 juin 2000Alors que se développe le discours d’un système éducatif atteint par la sclérose et le refus de toute évolution et au moment où un nouveau ministre prend ses fonctions à l’Éducation nationale, nous réaffirmons la nécessité d’une transformation en profondeur de l’école pour la réussite de tous les jeunes.
Nous réaffirmons en particulier la nécessité de poursuivre la mise en œuvre des principes de la charte « Un lycée pour le xxie siècle » qui nous étaient apparus en mars 1999 comme étant « de nature à faire évoluer le lycée vers plus de justice sociale et à garantir un niveau d’exigence porteur d’une réelle démocratisation » : en poursuivant résolument les démarches engagées ;
en donnant aux travaux personnels encadrés les conditions d’une mise en place qui leur permette de constituer un élément véritablement novateur dans la formation du lycéen, favorisant l’acquisition de l’autonomie intellectuelle ;
en engageant sur le baccalauréat une réflexion qui, sans le dévaloriser, vise à éviter le bachotage et à ne plus faire peser sur la vie des adolescents et des enseignants et sur le fonctionnement des établissements une contrainte de plus en plus lourde ;
en ouvrant rapidement le chantier de la voie technologique des lycées ;
en allant plus avant dans un certain nombre de démarches en particulier pour ce qui est de l’accompagnement des élèves, de la relance des projets d’établissements et des pratiques innovantes susceptibles de contribuer à la construction d’individus libres et responsables.
Engager une véritable démocratisation du lycée suppose également que l’institution ait le souci de l’appropriation par les acteurs des objectifs, du sens de la démarche proposée ; cela suppose aussi que l’on donne à ces acteurs les moyens, en particulier en termes de formation initiale et continue, d’outils d’accompagnement et de suivi, de répondre à des exigences nouvelles, de faire face aux difficultés qui se présentent...
À ce jour, liste des organisations et associations signataires :
FAEN, FEN (SE et SNPDEN), SGEN-CFDT, FCPE, PEEP, UNL, La Ligue de l’Enseignement, CRAP-Cahiers pédagogiques, Éducation et Devenir, FOEVEN, MRERS, OCCE.
Du 12 au 15 avril 2000, à la Sorbonne, se sont déroulés les débats sur les recherches et les innovations organisés par la 5e Biennale de l’éducation et de la formation. Le thème de cette année, Éduquer et former au xxie siècle : « Quels savoirs et quelles incertitudes ? » a été décliné dans de nombreuses conférences, rencontres, colloques et communications qui ont cherché, inventé, expérimenté de nouvelles modalités de transmission et d’échanges. Nombre d’informations, sur les recherches comme sur les pratiques, tout à fait passionnantes. Les participants étaient nombreux, principalement chercheurs et formateurs. Sans être négligeable, la présente des praticiens était plus marginale.
le 10 juin 2000« Globalement satisfaits » ?
le 10 juin 2000Lorsque j’ai été nommé à l’École normale, j’en ignorais tout. J’avais enseigné en collège, en lycée, à Paris et en banlieue, avec plus ou moins de bonheur, et j’arrivais dans une sorte de pensionnat laïc dirigé par une Supérieure à la bienveillance ironique qui m’accueille et me dit : « Soyez le bienvenu, vous êtes notre premier professeur homme. Vous enseignerez en formation professionnelle et vous dirigerez une équipe de recherche sur l’enseignement du français à l’école élémentaire. » J’allai me coucher en compagnie d’une vingtaine de bouquins de linguistique et de pédagogie.
Dans cet univers exclusivement féminin, collègues et élèves semblaient faire grand cas de ma présence. Moi, ayant verrouillé mon armure, j’entrai dans la carrière en évitant de porter sur mes élèves des regards trop intéressés. Elles, elles me regardaient. Je ne dis pas que j’étais agréable à regarder, mais enfin, j’étais seul au milieu de l’essaim et j’incarnais la nouveauté. L’une surtout, jolie et rieuse, curieuse, que je reçus chez moi au printemps suivant, pour des tête-à-tête un peu guindés. En fait, ce fut elle qui passa ma porte avec désinvolture. Je ne dis pas qu’elle la força. Nous parlions de la vie. Je n’y connaissais pas grand-chose, elle non plus, c’était compliqué. J’essayais d’avoir l’air professoral en comptant les taches de rousseur de son décolleté. Je lui offrais du whisky - le whisky me semblait correspondre à mon nouveau statut après tant d’années de dèche et d’auxiliariat. Elle l’avalait bravement. Sans doute eût-elle préféré du thé. Elle voulut savoir quel sens je donnais à la vie. Je venais d’y entrer. Je balayai d’un geste vague mon décor tout neuf, la bouteille entamée, mes manuels de phonologie, le journal du matin ou celui du soir. Elle répondit que non, cela ne pouvait se résumer ainsi. Elle vint moins souvent, puis plus du tout. J’en fus soulagé et déçu. J’avais pris cette habitude de me sentir important aux yeux d’une jeune fille à peine sortie de son rôle d’enfant sage. Même pas une bonne élève. L’été passa. À la rentrée, j’appris qu’elle s’était tuée dans un accident de moto. Généralement, la fille, à l’arrière, est serrée contre le dos de son conducteur qu’elle étreint de ses bras, dans un geste d’abandon confiant.
L’autre souvenir. À Venise, au pied du Rialto, sur le Grand Canal, quinze ans après. Il fait une chaleur insupportable. J’ai soif. Je mange une pêche, salement, dégoulinant de sueur et du jus de cette pêche. La foule, partout. Soudain, surgie de la cohue oppressante, une jeune femme, lisse et fraîche, flanquée d’un homme et de deux jeunes filles. Elle se plante devant moi, me nomme, se nomme, dit que je n’ai pas changé. « Vous me reconnaissez ? » Ce n’est pas une question. Oui, mais où l’ai-je connue ? Puis ça revient. Une classe de troisième, au lycée annexe de ***. Cette gamine qui, l’année suivante, revenait avec deux ou trois autres suivre mes cours, et cela m’avait valu quelques remarques acerbes de la part de leur professeur. J’avais fini par leur interdire l’entrée de ma classe. Je me demande ce qui pouvait motiver une telle fidélité. Et elle, vingt ans plus tard, elle dit : « Vous avez décidé de ma vocation, à cause de vous je suis devenue professeur. » Elle ne dit pas : « grâce à vous » mais à cause de vous... Elle est agrégée de philosophie. Elle me sourit. Ce gentil mari est son mari ; ces deux jeunes filles sont ses filles et ont l’âge de leur mère du temps qu’elle était mon élève, et moi, je suis celui qui n’a pas changé et qui a changé sa vie. J’en pleurerais, pas à cause du professorat ni de la philosophie, mais parce que cette miraculeuse enfant - environ trente-cinq ans - vient de me dire qu’elle m’aima (j’emploie ce verbe faute de mieux, comme tout le monde), dans cette autre vie qui est pourtant la mienne. Mais je ne pleure pas ; je balbutie des mots sans intérêt et elle s’en va, discrètement. On me demande qui elle est. Personne. Une grâce passagère. J’ai oublié de l’embrasser.
Jean-Pierre H. Tétart, Professeur à l’IUFM des Pays de Loire.
le 10 juin 2000
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