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Mais alors, que faut-il pour que ça marche ?

Au collège Courteline, dans le XIIe arrondissement de Paris, établissement cocon, fonctionnant avec l’ENT Paris classe numérique (espace numérique de travail) et équipé de six salles informatiques, d’une dizaine de mallettes de seize tablettes, et de 450 tablettes distribuées aux élèves en début d’année, plusieurs usages spécifiques à l’équipe de lettres (six collègues) ont été expérimentés.

  • Accompagnement personnalisé en orthographe avec Projet Voltaire
    Quatre-vingt-dix licences du Projet Voltaire ont été achetées pour travailler l’orthographe à tous niveaux. Un professeur référent centralise à la fois les signalements d’élèves ayant besoin du programme, via l’ENT, l’attribution à chacun d’entre eux d’une licence, leur inscription dans une heure banalisée pour ceux dont le travail autonome est insuffisant, et le compte rendu de leur travail à chacun des professeurs concernés via une fiche de résultats générés par le site Projet Voltaire et une ligne dans le bulletin trimestriel.
  • Accompagnement personnalisé en lecture en 6e-5e avec le ROLL, Réseau des observatoires de la lecture
    L’établissement fait passer les tests initiaux en début d’année sur neuf compétences de base en lecture, chaque professeur est informé des résultats de ses élèves (qui sont communiqués également aux enseignants de primaire via le conseil de cycle 3) et a accès à une base d’exercices et de protocoles de travail en classe ou en groupe correspondant à chaque compétence à retravailler pour chaque élève concerné. À la fin du deuxième trimestre, les élèves refont un test qui indique leurs progrès, ou non.
  • Accompagnement personnalisé en maths, anglais et français grâce au logiciel en ligne D’col, proposé par le CNED
    D’col adresse à chaque élève des identifiants pour qu’il puisse travailler en autonomie à partir de tests initiaux, qui lui indiquent de façon personnalisée quels exercices il doit faire pour progresser dans les points du programme qu’il ne maitrise pas. Des comptes peuvent être créés pour les professeurs de chaque classe, afin qu’ils suivent leurs élèves, leurs résultats, leur implication, leurs progrès.

Ces trois programmes sont extrêmement porteurs : ils permettent à chacun des professeurs de lettres de travailler sur des bases identiques et cohérentes : évaluations diagnostiques, exercices d’entrainement disponibles, conformité avec les programmes, différenciation et individualisation des tâches et des parcours, prise en charge des difficultés des élèves, transfert d’une partie de la charge de travail des enseignants vers les logiciels (évaluation, mise à disposition d’exercices, prise en charge de l’hétérogénéité, corrections, bilans, etc.), facilitation et précision des échanges sur les compétences des élèves.

Pourtant, un seul d’entre eux a été exploité au mieux de ses possibilités : l’accompagnement personnalisé avec Projet Voltaire ; les deux autres expériences ont été sous-exploitées sur les deux années d’expérience. Sur les six membres de l’équipe de lettres, seuls deux au maximum ont utilisé réellement les outils ROLL et D’col.

Quelles conclusions en tirons-nous ?

La mise à disposition dans l’espace professionnel, virtuel ou non, d’outils numériques de qualité (ENT, tablettes, logiciels performants) est essentielle, mais ne suffit pas à enclencher un changement de pratique, surtout quand la communauté d’élèves ne pose pas de problème particulier.

Les membres de la communauté connectée seront d’autant plus ouverts à ces nouveaux usages professionnels qu’ils seront eux-mêmes des usagers dans la sphère privée des outils numériques, mais ça ne suffit pas non plus, surtout s’ils sont connectés par défaut au sein d’un ENT et pas par choix.

Toute communauté d’enseignants connectés au sein de leur établissement lancée dans un projet est portée par un ou deux de ses membres qui seront des éléments moteurs, mais ça ne suffit pas non plus. Ces derniers peuvent se retrouver rapidement à travailler seuls, ce qui fait perdre un peu de la cohérence recherchée pour ce qui est de l’harmonisation des pratiques.

Le projet qui a le mieux fonctionné, avec le logiciel Projet Voltaire, est celui qui bénéficiait du soutien institutionnel le plus fort : inscrit à l’emploi du temps, donc rémunéré, visible dans le bulletin trimestriel, et pas seulement impulsé par une direction et des volontaires convaincus de son intérêt.

La transformation des pratiques professionnelles et le développement des compétences professionnelles des enseignants connectés, en l’occurrence, de lettres, restent soumis au moins à quatre conditions, qui ne sont pas présentes dans tous les établissements : la mise à disposition d’outils matériels et logiciels de qualité et accessibles ; la présence ou l’acquisition d’une culture numérique ; l’impulsion d’un ou plusieurs éléments moteurs dans l’équipe, et, enfin, un soutien institutionnel fort qui va au-delà de la seule formulation de vœux.

Jean-Marie Bourguignon
Enseignant, collège Georges-Courteline, Paris