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Lire Proust avant « Martine, petite maman » !

En juin 2009, l’équipe de professeurs de Terminale L, constatant les lacunes des lycéens dans les domaines culturels, avait proposé un enseignement de culture artistique.

Un besoin d’apprendre à regarder et comprendre le monde

Auparavant elle avait déjà tenté de mettre en place une option d’histoire des arts : pendant de nombreuses années, les professeurs de philosophie, d’histoire et de lettres y avaient conjointement œuvré, sans succès, du fait notamment de l’effectif trop faible des littéraires, réduit comme peau de chagrin dans un établissement majoritairement scientifique et technique. L’option si longtemps promise et espérée n’existant toujours pas, il fallait bien tenter de répondre à une demande des élèves eux-mêmes qui, déplorant leur manque de culture, exprimaient le besoin qu’ils ressentaient d’apprendre à « regarder », « écouter » et ainsi « comprendre » ce monde qui leur était fermé, eux qui n’avaient pas plus mis les pieds dans un musée qu’à l’opéra.
Nous tenions tous à ce que le contenu du projet, qui n’était pas une discipline officielle à part entière (c’est-à-dire non sanctionnée par un examen) soit nommé « Enseignement culturel et artistique » afin de le distinguer de l’option « Histoire des arts » et de garder une liberté dans nos choix pédagogiques. Par roulement, chaque professeur se proposait d’enseigner selon ses compétences la peinture, le cinéma et l’opéra, en privilégiant les repères chronologiques et l’apprentissage de méthodes de travail.

Une option fantôme

À la rentrée de septembre, et à ma grande surprise, je découvre que je suis seule chargée, non plus de l’enseignement culturel et artistique dont nous étions convenus avec l’administration, mais bel et bien de « l’officielle » option histoire des arts à raison d’une heure hebdomadaire (à la place de trois normalement attribuées) et que les élèves pourront, sans avoir eu aucune formation en première et en seconde, passer l’épreuve au baccalauréat en candidat libre. Nous sommes donc maintenant en présence d’une option fantôme.
Qu’allais-je devoir y enseigner ? Me faudrait-il respecter le programme officiel avec trois fois moins d’heures ? Devrais-je envoyer des candidats présenter un travail allégé ? Est-il bien réaliste de se lancer dans l’étude de l’art contemporain et de ses avant-gardes avec une connaissance très approximative des courants artistiques antérieurs ? Mes élèves pourront-ils véritablement passer l’épreuve en candidats libres ?

Une heure gratuite pour se cultiver

J’ai donc décidé de leur mettre le marché suivant en main. Soit nous prenons le train de l’histoire des arts en marche (en faisant fi de deux années de formation qu’ils n’ont pas eues), soit ils viendront « gratuitement » une heure par semaine le vendredi pour se cultiver.
La discussion est animée et au-delà des contingences d’examen ou pas, elle met à jour ce que chacun peut attendre d’un enseignement artistique et culturel. La question du : « À quoi ça sert ? » n’est pas posée. S’ils sont là, c’est qu’ils sont convaincus que les arts peuvent leur apporter ce « quelque chose » d’encore indéfinissable.
Pour Florent, par exemple, il s’agit de commencer par savoir à quoi ressemble l’art moderne ; lui présentant alors quelques toiles de Picasso, Soutine, Dali, je glisse petit à petit vers des créations plus contemporaines : installations de Boltanski, sculptures de Jeff Koons, toiles de Freud, tout cela au hasard, comme on feuillette un catalogue d’exposition. Certains sont tout de suite accrochés – ceux qui reconnaissent les Marilyn de Warhol ou que les créations de Damian Hirst amusent –, mais au final et comme Florent, ils restent sceptiques. Que raconter sur ces œuvres ? Comment les inscrire dans l’histoire des arts ? Est-ce que c’est de l’art ? « Franchement, on pourrait en faire autant, il s’est pas foulé »
Passées ces remarques obligées et incontournables, nous avançons dans la réflexion.
Tous constatent qu’il leur manque les clés nécessaires pour bien voir (« C’est du n’importe quoi peut-être pour nous, mais si ce type – Damien Hirst en l’occurrence – a autant de succès, y a une raison ») et comme le dit Hamama, la raison est qu’« on ne peut pas lire Proust avant Martine, petite maman ! »

Creuser des fondations pour assoir de nouvelles bases

Sans des connaissances minimales, la plupart des artistes contemporains resteront donc des barbouilleurs dont on ne pourra que ricaner. Il nous faut repartir du début, creuser des fondations pour assoir de nouvelles bases et espérer ainsi comprendre par exemple en quoi ce crâne recouvert de mouches est plus qu’une simple fantaisie à la mode, mais qu’en héritier des Vanités du XVIIe siècle il fait référence à la « musca depicta », et somme toute, qu’il peut aider à comprendre le chapitre « Vanité » des Pensées de Pascal au programme de lettres.
Les uns suggèrent d’étudier des thèmes, d’autres proposent de suivre un déroulement strictement chronologique et nous décidons finalement de commencer par l’histoire du portrait dans la peinture et la photographie, occasion de réfléchir à la notion d’image.
À aucun moment n’a été soulevé le problème de la « rentabilité » – argument seriné sans arrêt par notre société et trop souvent par mes élèves de latin qui choisissent cette option parce qu’« elle rapporte des points au bac »

Une présence assidue

Toutes les semaines et durant toute l’année scolaire, ils sont venus tous, chaque vendredi. Ils ont préparé dans l’enthousiasme nos visites au musée, notre voyage en Italie. Nous avons pu aborder quelques courants artistiques modernes et l’expressionnisme allemand les a passionnés.
En décembre, quelques-uns se sont inscrits pour le baccalauréat en histoire des arts « pour voir comment ça se passe ». Ils ont préparé l’épreuve en sachant désormais faire des ponts avec les courants artistiques qui ont précédé.
À la fin de l’année, nous avons fait le point, tous étaient d’accord pour dire que cette heure hebdomadaire avait enrichi leur approche des arts. Enfin, et c’est à Florent que revient la conclusion : « On comprend que l’art moderne, c’est pas du n’importe quoi parce qu’on voit comment les artistes se sont inspirés de leurs prédécesseurs ».

Bénédicte Parmentier
Professeure en lycée à Mirepoix (Ariège), IUFM Midi-Pyrénées