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Limerlé, un endroit reculé du système s(c)olaire

Nous partons un mercredi matin pour Limerlé, petit village proche de la frontière luxembourgeoise. Après une longue route, on aperçoit une grosse ferme sur laquelle figurent en couleur les mots « Périple en la demeure ». Nous sommes enfin arrivés sur le site de l’école Pédagogie Nomade (PN).
D’emblée, une étudiante de notre groupe demande à un homme à l’allure jeune et relax de nous conduire auprès d’un professeur, qui nous fait un rapide briefing avant d’entrer : cette école, nous dit-il, compte douze professeurs, dont six temps plein pour soixante élèves qui proviennent de diverses régions de Belgique et de France. Ils sont souvent en décrochage scolaire ou en froid avec l’école et PN représente une réelle chance pour eux. Comme ils viennent d’assez loin, ils doivent louer un logement et s’organiser pour les déplacements. L’apprentissage de l’autonomie s’apprend aussi en dehors de l’école… Pédagogie Nomade n’organise que le cycle supérieur de l’enseignement secondaire avec des élèves de 16 à 20 ans. Elle dépend administrativement de l’Athénée de Vielsalm (enseignement public) et sa filiation idéologique et pédagogique avec le lycée expérimental de Saint-Nazaire et le lycée autogéré de Paris est clairement affichée : pédagogie institutionnelle, école participative, cogestion. On va bien vite se rendre compte du sens donné à ces mots dans les pratiques quotidiennes.

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Assemblée générale en trois temps

Au téléphone, on nous avait bien dit de venir un mercredi, car c’est le jour de l’assemblée générale qui est une instance représentative de ce qu’est PN. Elle a lieu dans une grange rénovée qui sert de cuisine, réfectoire, salle de spectacle, lieu de réunion.
L’assemblée générale réunit tous les professeurs et les étudiants une fois toutes les deux semaines et elle règle les questions liées à l’organisation de l’école. Notre demande de visite avait d’ailleurs été discutée et acceptée au sein de cette assemblée. Elle est présidée par deux élèves et deux professeurs, qui ont en outre la responsabilité de la cogestion de l’école pendant deux semaines. Mais d’autres charges partagées existent, comme la gestion de l’intendance, du secrétariat, de l’administration. Tous les points à l’ordre du jour sont explicités en séance plénière, puis les élèves et les professeurs se réunissent en collèges séparés pour établir leur position sur chacun des points. Dans un troisième temps, on se retrouve tous ensemble pour décider.
Exemple à l’ordre du jour lors de notre visite : instauration d’un nouveau mode de prise des présences aux cours via une micrographie électronique. Le contrôle « officiel » des présences représente un gros enjeu administratif dans le cadre de l’obligation scolaire. Or, à PN, il y a semble-t-il un problème récurrent d’absence des élèves, ce qui ne signifie pas qu’ils soient occupés à ne rien faire. C’est sans doute une certaine forme de nomadisme que d’être présent dans la démarche ou impliqué dans les projets sans être présent physiquement à des moments précis. Un élève a présenté un nouveau système de contrôle simple et convivial pour remplacer la monographie papier actuelle. Sa proposition était impressionnante de maitrise technique et de clarté. Durant une heure trente environ, dans un tutoiement généralisé, chacun aura l’occasion de prendre la parole, en se sachant écouté et respecté. Le tout dans une ambiance sereine, mature et « cool » comme ce va-et-vient un peu surprenant pour ces pauses cigarettes à répétition.
En collège séparé, les discussions vont bon train, car il faut motiver sans trainer les décisions. Par exemple, après avoir entendu l’intervention de la secrétaire sur les absences (aspects légaux, vérification par l’administration, etc.) cette question semblait beaucoup plus complexe que les aspects techniques évoqués en séance plénière.
De retour en assemblée générale, tous les points sont repris et les décisions se prennent le plus souvent en consensus selon un principe d’égalité entre professeurs et élèves. Un système qui peut sembler lent et lourd. Mais cette concession au temps n’est-elle pas le prix à payer pour apprendre pour de vrai à participer à un mode de fonctionnement démocratique ?

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Discussion avec quelques élèves

Nous avons fait le tour des différents locaux avec quelques élèves qui nous ont décrit le fonctionnement des cours, l’organisation des journées, l’esprit de la PN. La matinée est consacrée aux ateliers, par exemple les ateliers « son », « béton » ou « écriture ». L’après-midi est réservé aux disciplines comme les langues ou les mathématiques, mais tout se fait à géométrie variable suivant les niveaux et les intérêts des élèves. Les méthodes pédagogiques n’ont rien de traditionnel : pas de journal de classe ou cahiers de textes, coévaluation pour passer d’une année à l’autre (sauf la terminale), grilles horaires modulées en fonction des projets à mener, groupes de besoin, nécessité d’écrire une lettre de motivation pour s’inscrire, Conseils de progrès.
En arrivant dans la bibliothèque, trois élèves nous montrent les différentes productions écrites et publications de l’atelier d’écriture. Charlotte nous raconte l’histoire de cet étonnant recueil de 153 pages appelé « Nodules » qui rassemble des textes écrits, imprimés et reliés dans l’urgence en trois jours et deux nuits en septembre 2010. Ces différents témoignages d’élèves, de professeurs et sympathisants de PN constituaient une réponse à un courrier reçu par l’école et qui annonçait une limitation de l’autonomie pédagogique et institutionnelle de PN pour 2010-2011. Une rencontre imminente avec la ministre devait officialiser ce changement d’attitude qui faisait sans doute suite à des problèmes rencontrés par PN, dont une perquisition étrangement médiatisée en 2009 ou une visite d’inspection maussade. Quand les élèves nous parlent de tout cela, nous les sentons investis et conscients qu’ils contribuent à écrire l’histoire de PN.

Durer, résister, percoler

Les autorités publiques ont accepté cette expérience pilote pour quatre ans. Le collectif Périple en la demeure, à l’origine du projet PN, est constitué de parents, d’intellectuels, de chercheurs, de militants associatifs. Les soutiens ne manquent donc pas… tout comme les critiques. Cette école est et devrait rester un lieu de résistance, car il donne tout son sens à la pédagogie. Notre souhait de revenir pour une immersion de quelques semaines a été accueilli avec enthousiasme. Nous trouverions sans doute une réponse à cette question qui nous poursuit : les méthodes de PN pourraient-elles s’exporter de cet ilot et percoler dans un contexte différent (ville ou banlieue, classes très hétérogènes, milieu socioéconomique peu favorisé, etc.) ? C’est peut-être aussi la réponse à cette question que viennent chercher ces centaines de visiteurs dans cet endroit reculé du système s (c) olaire pour reprendre une expression lue dans une publication de PN.

Xavier Dejemeppe
Correspondant belge du Crap-Cahiers pédagogiques, enseignant à la HELHa

L’espace nous manque ici pour évoquer toute la richesse du projet, mais nous renvoyons les personnes intéressées au site Internet Périple en la demeure qui regorge d’informations, d’actualités, de textes fondateurs, de vidéos et de liens.