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Les tribulations d’une professeure des écoles au pays de l’Éducation nationale

Travailler avec les enfants, était son souhait depuis toujours. Son père était instituteur, elle connaissait par cœur l’ambiance de l’école. Elle se perd un peu dans des études dans le domaine culturel et artistique où les rapports humains lui semblent peu authentiques. Alors, pour revenir aux enfants, elle passe le concours de professeur des écoles. Reçue sur liste complémentaire, elle patiente en travaillant comme vacataire dans une école française au Maroc. Au bout de quelque mois, elle est appelée par le rectorat pour entrer dans le vif du sujet et remplacer au pied levé une professeure de maternelle.

Elle entre ensuite à l’IUFM pour « la plus mauvaise année de ma vie », où tout semble converger vers la tentation de l’abandon : l’excès de procédures, le conformisme à outrance et l’ambiance de groupe tendue. « J’étais mal tombée, je pense. » Son entourage l’encourage à s’armer de patience, un conseil judicieux puisque le Luberon accueille ses premiers pas dans le métier. « J’ai eu de la chance. J’avais l’impression d’être chez Marcel Pagnol. » Elle sait que ce n’est qu’une parenthèse, qu’ensuite il lui faudra partir ailleurs. Comme elle souhaite rester là, ou du moins dans un endroit qui lui ressemble, elle postule pour une direction, l’obtient mais découvre son peu d’aisance avec les tâches administratives et en récolte des relations houleuses avec sa hiérarchie.

Sa famille s’agrandit, son souhait de ne pas quitter la région devient une nécessité. Elle demande un poste dans une école réputée plus difficile, dans une petite ville déclassée, dans laquelle la prospérité agricole a laissé place à la paupérisation. « Je ne connaissais pas ce milieu-là, avec beaucoup de familles en difficultés, des vagues de travailleurs saisonniers qui arrivent de l’étranger et repartent, dorment parfois dans leur voiture. Je suis tombée des nues face à cet aspect de la France.  »

De l’engagement et de la méthode

C’est dans ce contexte âpre et inconnu qu’elle forge son engagement et ses méthodes. Elle rejoint une équipe soudée, présente et compétente. Auprès d’elle, elle apprend son métier, s’ouvre à d’autres pratiques pédagogiques. L’école n’est pas classée en zone prioritaire, elle en cumule les désavantages sans en avoir les avantages en moyens. C’est l’énergie collective et individuelle qui crée les solutions, les parades pour tenir bon et faire de la classe un lieu d’apprentissage, coûte que coûte malgré l’adversité.

En cours de route, elle se décourage. Les conditions de vie dans la ville se dégradent encore, semant de la violence jusqu’à l’intérieur de l’école. Les efforts menés lui semblent vains, les beaux principes inadaptés. L’équipe reçoit peu de soutien tandis que les exigences institutionnelles s’accroissent et se traduisent par des dossiers de plus en plus nombreux à remplir. Les cas d’enfants sans solution après le CM2, en l’absence de places suffisantes en ULIS (Unités locales pour l’inclusion scolaire) ou autres structures d’accueil, se multiplient. « Je rentrais le soir à la maison avec tous les problèmes des élèves. »

Parenthèse estivale

Elle songe à arrêter le métier, faire tout autre chose. Son père l’encourage à participer aux Rencontres estivales du CRAP-Cahiers pédagogiques pour échanger, se ressourcer. Elle suit son conseil, participe à un atelier sur la coopération animé par Sylvain Connac, pioche des idées dans les discussions, s’oxygène professionnellement. Pendant le même été, elle rencontre une enseignante écossaise qui lui parle de son métier là-bas, d’une école qui la fait rêver.

De cette parenthèse estivale naît une nouvelle conviction. « Je me suis rendu compte que je pouvais mettre en place la pédagogie dont je rêve dans ma classe, que je n’étais pas la seule en France à agir dans cette direction. Cela m’a donné beaucoup d’énergie. »

Elle revient à la rentrée dans son école avec l’idée de passer par la coopération pour rendre ses élèves plus acteurs. Elle met en place des ateliers de philosophie, des conseils coopératifs. Elle partage ses initiatives avec ses collègues, qui regardent avec intérêt ce qu’il se passe dans sa classe. Ils s’y mettent à leur tour, à leur façon. Les élèves sont responsabilisés dans la vie de groupe, en cours tout comme à la récréation, dans les couloirs. Les parents sont associés plus fortement à l’école. « Nous avions l’impression que le climat était plus agréable.  »

Changer les habitudes

Pourtant, au bout de dix ans, où elle s’est « donnée corps et âme pour les élèves et leurs familles », elle sent que sa vitalité pédagogique s’émousse et qu’il est temps de commencer une nouvelle expérience, dans un contexte plus calme. La ville où elle arrive n’est pas loin géographiquement mais aux antipodes socialement. L’école est belle et tranquille avec des élèves dont le quotidien semble apaisé, « normal  ». Leurs parents appartiennent pour la plupart aux catégories socio-professionnelles supérieures. Ils sont informés sur la pédagogie, accompagnement leurs enfants dans leur scolarité, questionnent, veulent comprendre les tenants et les aboutissants de ce qui est entrepris dans la classe.

Femme-fakir qui médite sur une chenille (dessin et montage d’Emilie Pradel)

Femme-fakir qui médite sur une chenille (dessin et montage d’Emilie Pradel)


L’équipe pédagogique est installée depuis longtemps avec des méthodes qui semblent immuables. « J’ai un peu déstabilisé mes collègues et les parents avec mon approche. » Par chance, une autre enseignante arrive en même temps qu’elle avec les mêmes idées. « On essaie petit à petit de changer les habitudes de l’école, de donner plus de responsabilités aux élèves pour qu’ils s’emparent de l’école plus qu’ils ne la consomment.  » Les initiatives portent leurs fruits. Progressivement, l’intérêt s’éveille chez les autres professeurs.

Dans son ancien établissement, l’organisation de la direction était collective. Même si une enseignante avait le titre et la décharge, et surtout la charge de travail et les comptes à rendre, les décisions concernant le budget et la politique de l’école étaient collégiales, les compétences de toutes étaient mises à contribution. « Ça a été une grande preuve de confiance en nous, de nous confier des responsabilités, parce qu’elle était quand même la seule responsable aux yeux de l’IEN. » L’annonce du départ à la retraite du précédent directeur qui fédérait en interne, portait les projets en externe, connaissait tout le monde, avait fait naître l’idée : « Pourquoi ne pas présenter la candidature d’une d’entre nous au poste de direction et nous organiser pour que la direction soit en fait collective plutôt que de risquer d’avoir quelqu’un qui aurait d’autres méthodes ? »

Alors, dès son arrivée dans sa nouvelle école, elle a proposé au directeur de l’épauler sur ce qu’elle savait faire s’il en avait besoin. L’idée a fait son chemin. « Petit à petit, il s’est mis à nous confier des missions. » Elle décrit la gestion incessante et difficile de deux tutelles, celle de l’Éducation nationale et celle de la mairie, les personnels qui ressortent de l’une ou de l’autre, les financements à trouver des deux côtés. « Essayer de travailler ensemble pour faire face, ça a l’air de pas mal fonctionner. »

Monique Royer