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Les travaux des champs

Lorsque l’enseignement agricole s’est structuré, dans les années 60, la principale difficulté était de faire entrer et de retenir les élèves dans l’école. Accaparés par les travaux des champs, les jeunes ruraux ne fréquentaient qu’avec peu d’assiduité les écoles agricoles. Pour la plupart des paysans, le métier d’agriculteur s’apprenait sur le terrain, au cœur de la filiation, un point c’est tout! Le monde agricole d’aujourd’hui n’est évidemment plus le même. Le rapport à l’école non plus! L’enseignement agricole a assis sa légitimité dans le monde rural et l’école est obligatoire jusqu’à 16 ans…

Du coup, l’essentiel du temps de formation se passe à présent dans l’établissement, sous forme de cours théoriques, de laboratoires, d’ateliers, ou dans la halle de transformation alimentaire. Il nous faut donc remettre les élèves sur le terrain, les pieds dans la boue, le nez au vent!

En section technologique, il y a obligation d’une période de trois semaines collectives en dehors de l’établissement en plus des cinq semaines de stage professionnel. Par exemple cette année, pour notre stage «territoire et développement», nous allons assister à la naissance d’un label de producteurs dans les Monts du Lyonnais. Pour comprendre pourquoi les agriculteurs mettent en place cette démarche, il faut les rencontrer, voir leurs conditions de travail, échanger avec eux. Cela permet aussi d’appréhender le métier de paysan comme beaucoup plus global : il ne suffit pas de faire pousser ou faire fructifier son troupeau en local, encore faut-il réfléchir pour qui et pour quoi. L’agriculteur d’aujourd’hui est un chef d’entreprise et aussi un citoyen!

La mise en place de ces temps collectifs, avec de multiples interlocuteurs, a nécessité une préparation importante. C’est en grande partie grâce au temps d’animation intégré à mon poste d’enseignement que je peux les préparer en collaboration avec mes collègues d’agronomie, de biologie, d’économie. Je prépare ces sorties en tant que professeur d’éducation socioculturelle (corps certifié du Ministère de l’Agriculture): thématique, interlocuteurs, programme, hébergement, mais également en cherchant des financements. C’est une véritable ingénierie de projet pédagogique qui se met en place pour sortir nos élèves. Beaucoup de travail pour tous, mais au final, des élèves qui comprennent par leurs cinq sens et gardent des traces durables de ces moments sur le terrain.

Ces semaines en extérieur étant dans les référentiels, il est hors de question de faire payer les parents lorsqu’ils se déroulent en France. Pour l’étranger, nous demandons une participation, mais toujours modeste. Tous les élèves participent (pas d’exclusion économique), ce qui nous permet aussi de partager une expérience de vie collective. Nous nous découvrons mutuellement dans la trivialité du quotidien. C’est souvent surprenant, toujours très riche pour eux comme pour nous! Ce qui me surprend aujourd’hui, ce sont les réticences de certains élèves à quitter leur confort: l’idée de partager sa chambre, de ne pas manger ce qu’il veut, de téléphoner ou fumer seulement à certains moments et en certains lieux… Bref, renoncer au culte de l’individu en dehors de la classe est pour certains d’entre eux une réelle découverte.

Carla Blanc
Professeure en éducation socio-culturelle au lycée agricole de Saint-Genis-Laval (Rhône)