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Les pleins et les déliés des initiales CPE

Son entrée dans le métier s’est faite dans un lycée professionnel, général et technologique à l’effectif pléthorique. « Une chance », nous dit-elle, car là, en ayant en charge les entrants, élèves de seconde et de prépa pro, elle se rend compte « qu’il est compliqué pour les élèves de construire leur orientation, qu’ils ont une difficulté à se projeter dans l’avenir ». Elle perçoit alors que le travail sur l’orientation, la construction d’une suite, est un objectif premier dans son travail, qu’il passe, pour des collégiens ou des lycéens en difficulté, par une confiance en eux retrouvée, par le fait de devenir pleinement acteurs de leur devenir scolaire.

Dans le collège où elle exerce ensuite, elle travaille au sein d’une équipe pédagogique dynamique, dans un établissement où chaque classe développe un projet, un moyen de prévenir le décrochage en investissant de façon collective des actions autour des médias, de la littérature, des arts. « Au départ, je me suis nourrie des équipes pédagogiques qui m’ont beaucoup apporté sur mon métier de CPE, au-delà de la gestion des absences et de la fonction de surveillant général. »

Elle n’imagine pas exercer sa fonction sans entrer en pédagogie avec les enseignants pour mieux accompagner les élèves dans la réussite scolaire. Elle passe beaucoup de temps dans la salle des profs, ou à l’entrée de l’établissement à la rencontre des familles. Elle privilégie ces échanges informels qui « favorisent une connaissance la plus globale possible ».

L’autonomie et la citoyenneté

La citoyenneté est un sujet qu’elle investit en privilégiant la co-construction avec les élèves. Elle l’expérimente, il y a trois ans, dans un collège rural de Haute-Saône éloigné de tout, à quarante kilomètres d’une ville moyenne, où les parents et les collégiens ne maîtrisent pas tous les codes de l’école. La réflexion s’engage sur l’accompagnement des élèves vers l’autonomie et vers une responsabilité facilitée par la transparence sur le fonctionnement du collège et de l’orientation. Elle part du constat qu’il existe de multiples projets mais que ceux-ci n’empêchent pas l’échec au collège. L’équipe se penche sur les façons d’amener les collégiens à utiliser ce qu’ils découvrent, ce qu’ils expérimentent. Elle imagine des moyens d’évaluation, des indicateurs pour faciliter le suivi. Un parcours citoyen est créé de la 6e à la 3e, il lie les projets, leur donne une lisibilité pédagogique.

Elle vit son rôle de conseillère pleinement, auprès de tous les acteurs, direction, équipe pédagogique, infirmière, parents, collégiens. Elle ne compte pas son temps, effectue une veille sur les thèmes de réflexion partagée, collectant les informations la semaine, les synthétisant le dimanche. « Je ne me sens pas au centre de façon hégémonique. J’essaie d’accompagner chacun en ayant un regard pluriel. » Remplaçante, elle initie les projets, installe les choses sans en voir les résultats sur la durée. « J’essaie d’être très présente car le fait de ne pas rester longtemps est ma difficulté principale. Avoir confiance demande du temps, ce n’est pas facile pour mes collègues. »

Elle voit aussi son itinérance comme un atout, un moyen de développer son sens de l’analyse, dans son souci d’être force de proposition. Elle apprend, en lisant, en assistant à des conférences ou aux Rencontres d’été du CRAP-Cahiers pédagogiques.

Coopération

Elle a découvert l’an passé les travaux de Sylvain Connac sur la coopération, y a puisé des outils pour concrétiser encore mieux son idée que « l’enfant soit au cœur de ce qu’il fait ». Elle communique alors ses notes aux enseignants, propose au chef d’établissement d’intervenir sur le sujet en conseil pédagogique. Convaincue, elle organise trois jours de formation sur la coopération pendant que se déroulent les épreuves du brevet. « Les collègues ont été enthousiasmés. On a parlé de la connaissance de soi, des autres, tout ce que Sylvain Connac préconise pour que l’élève soit au centre de ses apprentissages, pour développer autonomie et cohésion de classe. » Il en découle un travail autour des heures de vie de classe avec pour axe l’orientation année après année.

À la rentrée, dans son nouvel établissement, elle parle de ce thème mais reçoit peu d’écho de la part de ses collègues. Elle décide de proposer des temps d’échanges à la pause de midi avec à l’appui des ouvrages et des exemples d’initiatives. Elle intervient à la demande en heure de vie de classe. L’accompagnement des enseignants s’installe progressivement puis, au cours d’un mois de janvier particulièrement tendu, se transforme en actions afin de créer des outils pour le mieux vivre ensemble.

Des ateliers philo et média

La découverte des travaux de Michel Tozzi sur les ateliers philosophiques a été également déterminante. Elle met en place un premier atelier il y a trois ans pour répondre au constat partagé que les élèves apprennent par cœur mais ne retiennent pas. Elle commence modestement, avec un groupe d’une vingtaine de collégiens volontaires le midi. « Je me suis rendu compte que cela fonctionnait bien avec des élèves investis et assidus. » Elle a envie d’aller plus loin, de créer un journal scolaire. Elle se forme l’été avec Canopé pour, la deuxième année, constituer un atelier philo avec des sixièmes et des cinquièmes ainsi qu’un atelier média pour les quatrièmes et les troisièmes. Pour ce dernier, elle contacte le CLEMI pour être accompagnée, se forme encore sur « comment travailler l’esprit critique avec les élèves ».

Le projet est aidé financièrement par la DRAC (Direction régionale des affaires culturelles). Des journalistes de presse écrite et de radio viennent en résidence, témoignent sur le travail journalistique et sur leur métier, une ouverture pour des collégiens qui n’osent envisager leur avenir en dehors des professions d’agriculteurs ou d’auxiliaires de vie que l’on pense assignées au monde rural.

Aux lendemains des attentats de Charlie Hebdo et du Bataclan, ces ateliers s’avèrent précieux pour analyser, comprendre, prendre du recul. Des enseignants et des élèves volontaires s’associent au projet de créer un journal trimestriel. « Peut-on tout écrire ? », le sujet est exploré en étudiant notamment des dessins de presse. Le premier numéro est consacré à la laïcité, le deuxième à la liberté d’expression et le troisième au développement durable. Le journal reçoit le premier prix académique de média écrit, une belle récompense, avec un prix remis par le recteur à des élèves qui se sentaient, au départ, éloignés de tout.

Favoriser l’expression des élèves

Les ateliers philo et média sont aussi un moyen de s’emparer de la parole et de l’expression. « Les adolescents ont besoin de cet espace, de remettre en question, de se confronter à l’adulte, de dire des choses, d’exprimer leur colère. » La réponse au constat souvent émis en conseil de classe, celui des difficultés d’apprendre, de comprendre, du manque d’appropriation des savoirs, se trouve sans doute là, dans un espace où l’expression favorise le développement de l’esprit critique.

Marielle Pichetti propose aux délégués de classe en formation de réfléchir sur la notion de règles justes, de voir en quoi elles nourrissent le collectif ou pas, d’en élaborer d’autres si besoin. « Au quotidien, le métier, c’est beaucoup l’accueil des élèves, mais je me suis éloignée de la routine des absences et des retards en faisant attention au pourquoi de ces absences et de ces retards. C’est important de comprendre ce qui se joue et de permettre à l’élève de revenir, de réinvestir le scolaire, de redonner l’élan. »

Elle s’est formée sur le thème des intelligences multiples pour aller au-delà du diagnostic général du manque de méthodes, approfondir les moyens de dépasser les difficultés d’apprentissage en s’intéressant à « comment l’élève apprend ». « Les intelligences multiples sont une entrée intéressante pour que les élèves cessent de penser qu’ils sont nuls et trouvent leur façon d’apprendre. Je leur donne des pistes car je ne suis pas une experte. » Elle partage ses découvertes avec les enseignants et les assistants d’éducation, les utilise pour dialoguer avec les parents, les rassurer. La salle d’études a été réaménagée pour favoriser le travail collectif en autonomie, des tablettes sont mises à disposition.

Animer l’équipe de vie scolaire

La vie scolaire est également investie pour favoriser l’expression collective et l’autonomie individuelle. Le conseil de la vie collégienne fonctionne de façon démocratique avec des élus investis pour résoudre des problèmes. Il a réalisé un court métrage sur le harcèlement scolaire en insistant sur le rôle du témoin. Un foyer autogéré a été créé pour les quatrièmes et les troisièmes avec une écriture des règles de vie et de surveillance. L’équipe de vie scolaire a un rôle prépondérant.

Le métier de CPE c’est aussi d’animer cette équipe, de « les amener à avoir du plaisir à travailler ensemble, de créer un collectif », avec des personnels au statut précaire, dont la durée hebdomadaire de travail empêche bien souvent la construction d’un avenir professionnel solide. « Il faut en même temps les accompagner à être performants dans leur mission et à construire un projet de vie. » Elle les amène à réfléchir à leur fonction, aux attentes de l’institution, à valoriser ce qu’ils font aujourd’hui pour leur avenir.

Une évaluation leur est proposée mi-janvier, avec comme support une grille d’auto-évaluation qui reprend la circulaire officielle déclinée dans plusieurs items explicites sur les attentes de la fonction. Elle leur est présentée en septembre. « Ils la remplissent et moi aussi et après on confronte nos évaluations. C’est un temps qui leur permet de dire les choses, à moi de les questionner sur où ils en sont, ce qu’ils vont faire. On travaille ensemble sur la construction de leur parcours. » L’idée est de formaliser les savoir-faire et savoir-être développés dans leur quotidien professionnel et qu’ils pourront réutiliser dans le monde de l’entreprise. Elle souligne la responsabilité du chef d’établissement et du CPE pour que les assistants d’éducation se sentent bien, soient respectés dans leur fonction, qu’ils soient valorisés.

Marielle Pichetti raconte son métier en tissant des espaces de dialogue et d’expression. Des ateliers philo où elle se régale de la spontanéité et de la richesse des réflexions de collégiens de 6e et 5e, aux dialogues informels avec les enseignants et les parents, elle vit sa profession comme une façon d’instiller des initiatives, d’accompagner le collectif éducatif et les individus qui le composent dans la construction d’un système favorisant la réussite scolaire. « Maintenant, avec ce que j’ai appris, il me serait difficile de revenir en arrière », confie-t-elle en balayant de ses propos l’idée reçue du CPE assigné exclusivement aux tâches disciplinaires et à la gestion des absences.

Monique Royer