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Les murs ont la parole

L’apposition de la « charte de la laïcité » sur les murs des écoles publiques voulue par le ministre de l’Éducation nationale constitue un magnifique objet d’enseignement, au croisement de l’histoire et de l’éducation civique.

On pourrait proposer aux élèves de comparer cet affichage à d’autres formes d’occupation graphique de l’espace public. Les tagueurs savent bien que dessiner sur un mur est un acte politique : une façon pour des citoyens d’ordinaire peu visibles ou peu reconnus de manifester voire d’imposer leur présence aux yeux de tous. Les panneaux publicitaires de quatre mètres sur trois exhibés à l’entrée des villes ou dans les profondeurs du métro font-ils vendre ? En tout cas, ils signalent les évènements commerciaux, imposent leur message, contribuent à façonner l’image, au sens propre, qu’une société donne d’elle-même.

On pourrait leur faire observer sous cet angle les murs de nos écoles. Il y avait, de longue date, la devise républicaine sur le fronton de l’entrée principale, parfois la mention « Interdiction d’afficher » en lettres capitales sur les façades. L’intérieur de l’espace scolaire était plutôt réservé à des affichages à vocation didactique, à commencer par la carte de France, ou, plus récemment, les photographies aériennes de Yann Arthus Bertrand. Aujourd’hui, il parait important d’y apposer la Déclaration des droits de l’homme, ou, dorénavant, cette charte de la laïcité. Les établissements privés regimbent : ce n’est pas qu’une question de décoration !

On pourrait remonter à l’affaire des placards, quand des protestants affichèrent une déclaration imprimée sur la porte de la chambre du roi en 1534, ce qui valut à certains le bucher. On pourrait comparer la représentation classique de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, sous la forme de Tables de la loi, avec de nombreuses références à l’Antiquité, à la charte de la laïcité dont le graphisme s’inspire plutôt de l’univers d’internet, avec des petits bandeaux colorés sur lesquels on a envie de cliquer pour en savoir plus.

On pourrait aussi comparer ce choix d’un affichage avec d’autres formes d’occupation de l’espace et du temps publics par les autorités. Le précédent président de la République avait opté pour une lecture obligatoire, celle de la lettre de Guy Môquet. À deux reprises au début du siècle, c’est la minute de silence qui avait eu la faveur du chef de l’État, à l’occasion des attentats du 11 septembre 2001 à New York, puis de ceux du 11 mars 2004 à Madrid. Une décision politique de cet ordre se situe toujours dans une continuité. Si jamais Vincent Peillon a songé à une lecture publique par exemple de la « Lettre aux instituteurs » de Jules Ferry, le précédent ­Sarkozy a certainement rendu l’idée caduque. A-t-on étudié l’idée d’une minute de silence à la suite des attaques chimiques dont a été victime la population de la banlieue de Damas ? Mais comment maitriser alors les rapprochements incertains avec les attentats d’il y a dix ans ?

Dans tous les cas, ces actes de communication de l’autorité publique signalent un problème, en l’occurence le respect de la laïcité, qui mérite une attention particulière Ils prétendent produire un effet au moins symbolique, contribuer à y apporter une solution. Décidés d’en haut, ils mobilisent les hiérarchies intermédiaires et le petit personnel : à charge pour eux de faire la glose de la geste officielle. Que le problème ne soit pas apparu comme tel dans la vie quotidienne des établissements, ou simplement pas prioritaire, ou que cette approche de la solution embarrasse plus qu’autre chose dans un contexte particulier ne compte pas.

Alors en faire des objets d’étude en soi est une façon de les prendre très au sérieux. En quoi consiste le problème ? En quoi l’affiche, la lecture, la minute de silence ont-elles un effet sur le problème ? Prendre la parole sur ces décisions, sur ce qui les a suscité et ce qu’ils suscitent sont d’excellents remèdes contre l’obscurantisme.