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Les mouvements pédagogiques entre pratique, formation et recherche
Colloque du 1er juin 2005-IUFM de Nantes

Autour de ces questions et de quelques autres, la mission formation de l’INRP organisait à Nantes, le 1er juin dernier, en partenariat avec le Climope (Comité de liaison des mouvements pédagogiques et d’éducation) et l’IUFM des Pays de la Loire, une journée d’étude avec le soutien de la Revue Française de Pédagogie et de la Conférence des directeurs d’IUFM.
La journée a donc exploré les relations qui peuvent se nouer dans ce triangle : mouvements-recherche- institution. Le matin, une table ronde a permis de préciser en quoi le point de vue de la recherche et celui de l’engagement pédagogique peuvent être complémentaires et par quels scénarios on passe de l’innovation pédagogique à l’institutionnalisation. À chaque fois, on mesure le risque de confondre les points de vue, les logiques différentes, qui doivent être distingués, sans hiérarchies. Il y a dans une pratique pédagogique innovante quelque chose d’indicible qui reste probablement inaccessible à la recherche… Il y a dans les problématiques institutionnelles une logique qui ne sera jamais celle des mouvements pédagogiques… La recherche doit nécessairement « réduire » une situation pédagogique pour en faire un objet d’étude alors que l’action le saisit dans sa complexité… Points de vue complémentaires, mais irréductibles.
L’après-midi, les ateliers approfondissaient chacun un des thèmes apparus le matin. En voici deux échos.

Action ou recherche ?
C’est surtout Jean-Yves Rochex[[Jean-Yves Rochex, professeur de sciences de l’éducation, Université Paris VIII et Revue Française de Pédagogie (RFP).
Les erreurs commises dans le rapport de ses propos ne seraient bien sûr à imputer qu’aux auteurs de cet article.]] qui, sans ménagement pour les âmes sensibles, a insisté avec son acuité habituelle sur la nécessité de distinguer l’action et la recherche, dont les logiques et pratiques sont différentes. L’action vise l’efficacité et la pertinence, elle traite des situations particulières, uniques. Elle se donne des cadres de référence souvent hétéroclites, voire opportunistes (dans les limites éthiques qu’elle s’est fixées), parce qu’elle a tout à gérer.
La recherche vise la compréhension et la modélisation, elle se donne des cadres méthodologiques et un appareillage conceptuel explicite, systématiques et contrôlables. Son objet d’étude est construit en sélectionnant des phénomènes qui sont seuls pris en considération.
S’il faut donc renoncer, c’est plus sain, à ce « légitimisme inversé » qui ferait de tout militant pédagogique un chercheur, comment la logique de l’action peut-elle se nourrir de la recherche ? Sans doute par un travail de traduction et de recontextualisation d’autant plus nécessaire que se développent des recherches très fines, peu généralisables : impossible de vouloir les « appliquer ». Attention aussi au risque de voir des recherches convoquées non dans un but de compréhension, mais pour le contraire : légitimer des certitudes. Tentation jamais écartée… Les mouvements pédagogiques, par exemple, acceptent-ils de laisser la recherche interroger leurs logiques, ou lui demandent-ils parfois de les cautionner ?
De son côté, la recherche accepte-t-elle que la richesse des situations « ordinaires » lui montre ses limites, la relance vers d’autres interrogations ?
Ainsi, aux militants qui caressent le rêve d’être appelés chercheurs parce qu’ils se sentent en recherche, le chercheur montre les dangers de la confusion, sans en faire une question de personne mais de posture. Un discours plutôt rassurant : n’être que ce que l’on est à un moment donné, cela suffit largement à nous occuper.

Institutionnaliser les innovations ?
L’innovation est la façon dont les praticiens répondent aux multiples questions inhérentes à la situation d’apprentissage en faisant vivre de manière inventive le rapport que leurs élèves entretiennent avec le savoir. Mais, si les innovations, qui existent en tant que « théorie pratique » pour reprendre la formule de Durkeim, n’appartiennent à personne d’autre qu’aux praticiens, elles sont porteuses des valeurs et des principes d’action que les mouvements pédagogiques défendent et dont ils forment la mémoire. Aussi, la responsabilité des mouvements pédagogiques est de créer les espaces de réflexion, d’échanges et de mutualisation qui permettent aux praticiens de mettre en perspective les actions qui visent à rendre l’école et les savoirs accessibles à tous.
Il s’est trouvé que l’institution a repris à son compte un certain nombre de modes d’action préconisés par les innovateurs et relayés par les mouvements pédagogiques. Plus que les techniques, même, c’est l’esprit de ces dispositifs innovants qui a été repris dans les IDD, TPE, PPCP, ECJS, mais aussi dans les instances de concertation et de participation que sont l’heure de vie de classe, le Conseil de vie lycéenne etc.
Tout le monde voit bien le danger que comporte la généralisation d’une innovation à partir du moment où elle est imposée par la hiérarchie. De pragmatique et militante, elle devient une doxa puis une nouvelle norme. Elle perd alors la dynamique qui avait présidé à son élaboration. Pourtant, la plupart des mouvements pédagogiques présents à ce colloque sont d’accord pour se réjouir du fait que des idées et des dispositifs qu’ils ont toujours défendus soient étendus à tout le système éducatif. S’il arrive qu’ils soient alors incompris, abandonnés ou détournés, ce n’est pourtant pas une fatalité. Plus même, c’est parce qu’ils ont été institutionnalisés qu’après avoir été combattus par les professeurs, les TPE ont finalement été adoptés dans leur esprit et dans la forme par une très grande majorité d’entre eux.
C’est la raison pour laquelle le ministre Fillon, conscient du puissant levier de changement du système que constituaient les TPE, a tenté de les supprimer.
L’innovation n’est pas un luxe réservé à un cercle d’initiés qui veulent changer l’école pour changer la société ; elle reste un combat à long terme et ne peut se contenter de préserver jalousement les quelques espaces de liberté qu’elle a su se ménager.

Florence Castincaud, Pierre Madiot