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Les marqueurs politiques en éducation

A l’entame d’une période électorale majeure, on va regarder d’un œil attentif les clivages politiques dans les domaines pédagogique et éducatif. Il ne va pourtant pas de soi que l’on retrouve en éducation les mêmes principes de différenciation qui séparent les courants et partis parlementaires.

Y a-t-il des réformes éducatives de gauche et des réformes éducatives de droite ?[[Sur cette question, voir la troisième édition du Que sais-je ? « Les politiques d’éducation » d’Agnès van Zanten, PUF, 2014.]] Peut-être, quand on aborde des questions telles que la carte scolaire, l’autonomie des établissements, le statut des personnels et leur formation, la différenciation des filières, etc. En est-il de même sur toutes les questions pédagogiques ? À l’aune de certains débats récents sur le socle commun, la réforme du collège, les rythmes scolaires ou même l’évaluation des élèves, il est permis de se poser la question.

L’argument des gouvernements qui ne respectent pas les valeurs au nom desquelles ils ont été élus est ou a été employé aussi bien contre des ministères de gauche que de droite : aux premiers on a reproché de céder devant la doxa libérale[[La doxa, terme à la mode dans les travaux de sociologie critique, renvoie à l’idée d’une opinion dominante mais généralement confuse et peu structurée, par opposition à l’argumentation étayée de façon plus rationnelle au politique ou scientifique.]], aux seconds de céder devant les corporatismes pédagogiques et syndicaux. On peut pourtant se demander si l’hypothèse d’approches éducatives formant des blocs cohérents, qu’ils soient de gauche ou de droite, résiste à un examen attentif.

Dans un ouvrage récent traitant des relations entre politique et éducation[[Hélène Buisson-Fenet et Olivier Rey (dir.), Le politique doit-il se mêler d’éducation ?, ENS Éditions, 2016.]], Clémence Cardon-Quint revient ainsi sur les tentatives de réforme de l’enseignement du français à la fin des années 60 et au début des années 70. À première vue, les propositions de réforme moderniste du français, aux alentours de mai 68 qui plus est, avaient naturellement leur place dans une doctrine éducative portée par les partis de gauche. Pourtant, on constate que le camp des réformistes était mené certes par des universitaires et des pédagogues de gauche (communistes par exemple), mais qu’on trouvait aussi des personnalités dites « de droite » qui soutenaient cette réforme. Dans le même temps, des opposants se recrutaient dans des milieux académiques marqués à droite, mais aussi parmi des personnalités politiquement situées à gauche. Difficile de s’y retrouver.

Dissonance entre préférences pédagogiques et positionnements politiques

On peut sans doute, dans une approche militante, parvenir à construire malgré tout des édifices théoriques qui ressemblent à une doctrine présentant une certaine cohérence politique. Il s’agit alors de partir de pratiques ou d’approches pédagogiques et de les rattacher à certains principes ou valeurs à caractère plus général. On dira alors par exemple que telle réforme est un facteur de démocratisation ou que telle autre renforce une conception inégalitaire de la société. On vantera ou on critiquera aussi les moyens engagés (crédits, postes, salaires, etc.) pour prouver l’engagement ou le désengagement pour l’éducation.

Cet édifice restera néanmoins fragile, tant le paysage politique et éducatif apparait incertain et contradictoire. Quel principe aujourd’hui est suffisamment limpide, d’un bord ou d’un autre, pour fonder une conception éducative intégrée ? Quel consensus existe sur ce qu’on met sous un terme aussi ambigu que celui d’égalité des chances ?

L’hypothèse la plus probable pour expliquer les positionnements en matière d’éducation est celle de représentations politiques et pédagogiques liées à la diversité des situations professionnelles, des intérêts de métiers et des trajectoires personnelles. C’est ce qui permet de comprendre que des enseignants qui peuvent régulièrement voter pour la même famille politique développent en revanche des visions profondément divergentes quant à leurs pratiques d’évaluation des élèves, la fonction des disciplines scolaires, leur vision du travail enseignant ou encore les relations avec l’environnement local.

Entre la proximité partisane globale et les préférences pédagogiques particulières, c’est donc la dissonance plus que la cohérence qui caractérise de nombreux individus.

La campagne électorale fournira sans doute l’occasion d’utiliser des sujets éducatifs comme autant de marqueurs politiques. Ces questions nourriront d’autant plus les controverses qu’elles seront éloignées des pratiques éducatives ordinaires, à l’image des polémiques sur les méthodes de lecture il y a quelques années, sur la théorie du genre ou l’enseignement du récit national plus récemment.

Il n’en reste pas moins que sur la plupart des enjeux immédiats de l’éducation, la parole politique est aphone ou hésitante. Réaffirmer de façon très générale le caractère prioritaire de l’éducation peut aller de pair avec une absence d’incarnation concrète qui laisse les acteurs éducatifs relativement désemparés.

Quelles sont aujourd’hui les doctrines politiques qui structurent ou éclairent le débat sur les difficultés d’apprentissage, la remédiation scolaire, l’intégration du numérique, la formation continue des enseignants, les évolutions des disciplines, la continuité éducative entre l’école et la famille et tant d’autres questions vives ?

Olivier Rey
Chargé d’étude et de recherche, service Veille et analyses de l’IFÉ (ENS de Lyon).