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Les mardis du Village

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Anne-Marie Sanchez et Isabelle Alary-Jean

En septembre 2015, notre chef d’établissement est touchée par une intervention de Jean-Paul Delahaye, inspecteur général, sur le thème de la grande pauvreté. Elle a envie d’échanger avec nous sur ce qu’elle a découvert ; aussi nous propose-t-elle, au cours du premier conseil pédagogique, des réunions d’une demi-heure qui se déroulent de temps en temps, le mardi, au moment de la pause méridienne. Elles sont ouvertes (animateur ou participant) à tous les personnels volontaires, avec à chaque fois entre douze et quinze participants. Ces Mardis du Village dont les dates et le thème sont fixés lors d’un conseil pédagogique permettent à qui le souhaite de dialoguer à partir d’une conférence à laquelle il a assisté, une compétence spécifique qu’il a développée, un sujet qui lui tient à cœur en lien avec la réforme du collège.

Pour la première séance, le chef d’établissement a présenté la conférence de Jean-Paul Delahaye sur la grande pauvreté. Puis, divers personnels se sont portés volontaires pour animer ce temps de partage : la conseillère principale d’éducation nous a exposé le travail qu’elle donne à des élèves de 3e pour leur faire découvrir leurs potentiels, un professeur de mathématiques a expliqué une formation suivie sur le management de projet, et notre professeur documentaliste a traité de la problématique de l’ÉMI (éducation aux médias et à l’information) et de la recherche documentaire.

Au commencement : un diagnostic et une solution

Janvier 2016 : La discussion qui se déroule ce mardi-là montre que trois enseignants (anglais, histoire-géographie-éducation morale et civique et documentation) travaillent chacun de leur côté sur la recherche documentaire en faisant utiliser par les élèves des méthodes proches, mais sans aucune démarche concertée. C’est une évidence pour les participants, il faut construire un outil commun à partir des trois fiches présentées.

Février 2016 : Le chef d’établissement a inscrit à l’ordre du jour du conseil pédagogique la mise en place de l’accompagnement personnalisé (AP). La principale insiste sur la rigueur de la méthodologie et charge les membres du conseil de définir l’objectif que doit viser l’AP dans notre collège. « C’est par les difficultés de nos élèves qu’il faut entrer, insiste l’un des participants, ce doit être notre point de départ. » L’accord se fait rapidement. Les discussions qui suivent font apparaitre une analyse convergente sur cinq axes communs à travailler durant les quatre années du collège dans toutes les disciplines (voir ci-dessous).

 

Extrait du «Compte rendu du conseil pédagogique de février 2016»

 

«En fin de 3e, les élèves doivent être capables de produire un discours construit, argumenté, raisonné, cohérent. L’accompagnement personnalisé doit servir cet objectif dans toutes les disciplines et s’articuler autour d’axes communs : écriture (graphie, qualité, quantité) ; recherche documentaire (lecture, repérage, choix des sources) ; apprentissage des leçons et mémorisation ; lecture, compréhension, en particulier des consignes ; expression orale dans le groupe en interactions, et discursive en prise de parole individuelle. Ainsi l’accompagnement se répartira sur l’ensemble de la scolarité des élèves, dans chaque discipline, et de manière régulière. Les heures d’AP ne seront pas dévolues à des disciplines particulières, l’AP sera conçu comme du temps dédié à consolider les parcours des élèves.»

 

Le travail entrepris sur la recherche documentaire suite au Mardi du Village de janvier 2016 donne lieu à une présentation à ce même conseil pédagogique. Les trois enseignants ont élaboré une fiche méthodologique commune à partir de leurs trois approches. «Peut-on étendre cette méthodologie aux quatre autres axes ?», demande le chef d’établissement. Chaque représentant de discipline s’engage à rendre opérationnel, par des exemples concrets, chaque axe avec son équipe. Le chef d’établissement, avec l’accord du conseil pédagogique, planifie alors des concertations sous la forme de conseils d’enseignement.

Définition de projets réalistes

Avril 2016 : avant les vacances de printemps, en conseils d’enseignement, le chef d’établissement communique à chaque équipe les cinq axes du projet : il s’agira de remplir un tableau de propositions décrivant pour chaque niveau ce qui sera travaillé en classe sur chaque axe. Attention à leur réalisme : chacun doit pouvoir s’en emparer et s’engager à les mettre en œuvre dans ses cours.

Le chef d’établissement demande à chaque équipe de lui transmettre ce tableau rempli. L’objectif est d’en faire deux documents : un simplifié à communiquer aux familles ; un autre qui servira d’outil de repérage pour les personnels ; celui-là fera l’objet d’une fiche action du projet d’établissement pour en garder la mémoire.

Voici par exemple la contribution des mathématiques au premier thème :

Niveau Lecture : repérage et compréhension
Tous Lecture d’énoncés de problèmes
Analyse et compréhension de la construction d’un contrôle
6e Utilisation du livre Cinquante-deux exercices maths-français
5e Sur le principe de la dictée négociée : enchainement d’opérations
4e Relecture de calculs : chercher ses erreurs dans les calculs (priorités, fractions, relatifs, puissances, etc.), en dresser une liste personnelle et l’utiliser dans les contrôles
3e Reprise des pratiques des années précédentes

Juin 2016 : le conseil pédagogique regroupe la quasi-totalité des équipes enseignantes et de vie scolaire et les deux documents sont soumis à tous. Là encore, l’accord se fait sans question : chacun se sent impliqué et concerné par la participation à leur écriture et par l’apport d’une réponse aux difficultés de nos élèves. Cette aspiration commune réunit le groupe. Le conseil pédagogique fait un premier lissage de toutes ces propositions avant le conseil d’administration. Cela permettra d’éviter des redondances ou des obscurités et d’adopter une formulation commune sur l’ensemble du document.

Bilan positif et reconduite du projeté

Fin juin 2016 : le projet est examiné par le dernier conseil d’administration de l’année, dans le cadre de la répartition de la DHG (dotation horaire globale). Celle-ci est votée, avec l’habituelle voix contre, sans que le projet d’accompagnement personnalisé ne soit mis en cause ni par les enseignants, ni par les fédérations de parents d’élèves. Pas besoin de beaucoup de discussions, le travail ayant concerné l’ensemble des collègues, la communication étant bien passée dans les semaines précédentes. Les parents se montrent satisfaits d’une démarche commune cohérente : l’objectif souligne qu’on travaille aux progrès de tous les élèves, en particulier la maitrise des différents langages.

Début septembre 2016 : à la prérentrée, le chef d’établissement organise une dernière relecture des documents aux équipes, afin que les nouveaux personnels s’approprient ce projet lors des conseils d’enseignement.

Fin septembre 2016 : en conseil pédagogique, les dernières modifications sont discutées librement, de manière à ce que les quatre documents (un par niveau) soient lisibles par les familles. Le conseil pédagogique approuve la proposition d’un collègue de les mettre à disposition sur tableur pour les personnels (voir ci-dessous).

 

Extrait du « Compte rendu du conseil pédagogique de fin septembre 2016 »

 

«Le document de synthèse, qui est l’instrument de travail des équipes pour faire apparaitre les temps de travail sur les éléments mis en avant dans le projet, prend la forme d’un tableur disponible sur le réseau pédagogique de l’établissement. Chaque enseignant doit l’alimenter à deux fins : permettre aux professeurs principaux qui reçoivent les familles en entretien de mettre l’accent sur les difficultés persistantes d’un élève ou sur des éléments consolidés ; permettre, en fin d’année, d’avoir une vue globale par classe du temps consacré à l’accompagnement personnalisé en vue d’une évaluation du projet porté cette année.»

 

D’une idée individuelle à un dispositif collectif

Mi-octobre 2016 : les documents sont commentés et distribués aux familles, lors des rencontres avec les professeurs principaux. Les parents vus à cette occasion se montrent intéressés et touchés de constater que les enseignants prennent en charge leurs enfants avec un projet commun, un outil clair, de la bonne volonté, voire de l’expertise.

Voilà comment une idée a voyagé entre les réunions formelles et informelles de présentations et d’échanges, des Mardis du Village jusqu’à sa mise en œuvre pratique. Comment chacun a-t-il pu s’emparer des marges de manœuvre existantes ? Sans doute ont joué, à des échelles différentes pour les différents membres de l’établissement : un pilotage coopté qui laisse la place à chacun d’être force de proposition ; la volonté de poser ensemble un diagnostic puis un questionnement et la recherche de réponses communes assez souples pour être adaptées à chaque discipline ; un ancrage de la réforme sur les problématiques réelles de nos élèves pour les faire tous mieux réussir ; la coconstruction patiente du projet, à l’écoute de chacun ; des habitudes ancrées de travail en équipe ; l’appui des collègues ayant développé des compétences pédagogiques ; une confiance réciproque construite pour répondre aux difficultés diverses de nos élèves de REP (réseau d’éducation prioritaire).

Tous ces ingrédients, tissés depuis quelques années dans l’établissement, ont permis que ce projet se fasse sans heurt, à une période pourtant source de questionnements et d’incertitudes.

Les Mardis du Village se sont transformés cette année en Midis du Village, pour toucher plus de personnel, et poursuivent l’objectif d’échanges et de partage.

Anne-Marie Sanchez
Professeure de mathématiques

Isabelle Alary-Jean
Principale du collège Le Village, Trappes


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