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Les jeunes Français ont-ils raison d’avoir peur ? – Eléments de réponse

Les comparaisons internationales statistiques montrent que les jeunes de France sont parmi les plus pessimistes de leur génération. Ils n’ont pas confiance dans ce qu’on leur dit, en même temps, ils pensent qu’il ne faut pas trop se faire remarquer et qu’il faudrait privilégier l’obéissance à l’indépendance dans l’éducation des enfants… Dans les années 60, la culture adolescente était axée sur la contestation de la société, on avait même parlé de contre-culture. Maintenant, la culture juvénile est liée à des appartenances qui passent principalement par le look et est, à ce titre, consumériste. La politisation des jeunes est négative : ils s’opposent à des changements et l’usage de la drogue n’est plus ni marginal, ni contestataire, mais festif et récréatif. Certes, partout, l’adolescence est un âge qui porte un malaise spécifique. Les sexes ont des réactions différentes ; en gros, les filles sont plutôt dépressives et les garçons plutôt violents. Cependant, des caractéristiques françaises s’ajoutent à cela, et en premier lieu une scolarité vécue comme difficile. Les élèves se sentent méprisés dans un système scolaire qui vise la sélection. Cela amène les parents à surinvestir ; ce qui surcharge encore les effets de cette tendance déjà trop lourde. La culture jeune devient un repli, lié à une forte tentation individualiste. Il faut à cet égard distinguer « individualisation » (l’attention à l’individu, façon « les droits de l’homme ») et l’individualisme (sorte de supériorité de l’individu sur le collectif). Les jeunes, déjà individualisés dans la famille, privilégient « le cercle de l’intimité » où être soi, c’est être comme les autres. Il en naît une culture politique de contestation, limitée à des actions sporadiques. « La radicalité dans les prises de position politiques semble pouvoir se combiner avec une forme de résignation personnelle. » (p. 19)
D’autre part, la jeunesse est discriminée économiquement (fort taux de chômage, entrée dans le travail et l’emploi fixe difficile et retardée) et sous- représentée politiquement (à moins que ce travers ne soit compensée par le nouveau secrétariat d’Etat à la jeunesse ?). Les Conseils de vie lycéenne (CNVL), trop formels, ne remplissent pas du tout de rôle de formation à la citoyenneté.
En fait, le modèle méritocratique à la française produit beaucoup d’échec : il stigmatise certains élèves dès leur début scolaire. L’école n’est pas égalitaire, bien au contraire, elle est élitiste. L’analyse en terme de jeunesse présente le délicat problème de l’unité de cette jeunesse, car elle est traversée par les classes sociales dont le caractère discriminatoire est souvent plus important. « Comment avoir confiance dans une société qui vous déclare incapable d’exercer un métier qualifié ? » (p. 102). De plus, les politiques ont peur des jeunes. Une étude de la DEPP (Direction de l’Evaluation et de la Prospective) montre que l’ambiance éducative d’un établissement est fondamental à la réussite des élèves (sentiment de justice, d’être écouté…) et que les meilleurs élèves ont les meilleurs établissements. « L’inégalité de l’offre éducative semble plutôt renforcer qu’atténuer les inégalités de départ » (p. 107). L’école ne fait pas fructifier le « capital de dynamisme et d’innovation » de la nouvelle génération.
Les pistes d’actions se déduisent du diagnostic. Il faudrait engager une véritable formation à l’orientation prévue pour tous les élèves par une circulaire de 1996 : 1/ connaissance de soi, 2/des filières, 3/du monde économique. Le statu quo prévaut trop souvent, chacun préférant, sans le dire, la stabilité des avantages relatifs (p. 121). Côté économie, il faudrait un meilleur partage générationnel de la flexibilité (p. 121). Les précaires (dont les jeunes) sont sous-représentés dans les syndicats, qui favorisent les « insiders ». Il faudrait accompagner par des mesures spécifiques cette lente entrée des jeunes dans le monde du travail.
Il faudrait enfin et surtout repenser le rôle de l’école. L’état d’esprit des jeunes serait différent si l’on réduisait l’échec dans les filières professionnelles du lycée et à l’université. L’inégalité de traitement est la clé de la réussite de tous. L’orientation doit être moins psychologique et ne doit pas viser le maintien des élèves dans les filières générales (clan des vainqueurs). Il faut faire sauter « les verrous idéologiques » (par exemple, ajuster l’université n’est pas la « vendre au grand capital »), en finir avec les « fictions égalitaristes », déclarations de principes a priori aboutissant à de grandes inégalités a posteriori… Il faut abandonner l’idée que les problèmes des jeunes sont des problèmes sociaux relevant de la pathologie et voir ensemble scolarité, travail, loisirs, voyages, santé…
Un livre qui recense globalement la situation morale faite à la jeunesse française, situation qui peut et doit être améliorée en urgence…

Aurélien Péréol