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Les jardins d’éveil : une belle étiquette, un contenu à dénoncer

Les rapports des parlementaires qui ont nourri l’idée des « jardins d’éveil » masquent mal une manipulation de l’opinion publique et de la classe politique. Aucun de leurs arguments ne justifie la création de structures spécifiques qui seraient réservées aux enfants âgés de deux à trois ans. En effet, ces enfants ne se caractérisent nullement par des besoins et des particularités qui en feraient des êtres fondamentalement différents des enfants âgés de trois à quatre ans, ceux qui sont accueillis en petite section d’école maternelle. En fait, les « jardins d’éveil » ne reposent ni sur des caractéristiques fondamentalement différentes d’une classe d’âge à l’autre ni sur une prise en compte de l’intérêt des enfants et de leur famille. C’est une diversion qui ne répond pas aux besoins et aux demandes croissantes des familles pour que l’accueil de leur enfant se fasse dans des conditions qui préservent son bien-être, son intégrité, son développement et ses équilibres.
En soulignant que les jardins d’éveil visent la préparation à la préscolarisation, les parlementaires ne préparent-ils pas l’opinion publique à la disparition des petites sections de l’école maternelle puis, progressivement, à celle des moyennes et grandes sections ? Structures d’accueil et d’éducation payantes, les jardins d’éveil seront un cheval de Troie au bénéfice des promoteurs très prisés par le pouvoir politique actuel. Les entreprises privées auront un boulevard pour répondre aux appels d’offres : projets standards apparemment moins coûteux, mais non adaptés à l’accueil, aux besoins et aux particularités des enfants. L’accueil dans un jardin d’éveil sera dissuasif et discriminant pour les familles dont les moyens financiers ne seront pas suffisants, même avec un coût indexé sur les revenus. Faut-il rappeler que l’école maternelle est gratuite et ouverte à tous les milieux sociaux et ethniques grâce à la solidarité nationale et communale qui s’est maintenue dans la République au cours du XXe siècle ? Le président de la République et son gouvernement ignorent-ils que de nombreuses familles, en difficulté malgré les aides sociales, ne pourront pas envisager de payer tous les mois à leur enfant une place au jardin d’éveil ? La régression sociale et humaniste est en marche forcée avec les enfants pour principales victimes.
On ne peut donc laisser l’engrenage des jardins d’éveil se mettre en place. Il est urgent que, en dehors des dogmes et des intérêts personnels, claniques ou politiques, il y ait une vraie réflexion communale, départementale, régionale et nationale sur les besoins, les finalités, les missions et les enjeux des différentes structures éducatives, en particulier l’école maternelle, et que leur importance pour les équilibres de l’enfant (et de sa famille) soit mieux expliquée à l’opinion publique.
Il y a sans doute à inventer. Mais certainement pas ces jardins d’éveil. Il faut au contraire améliorer les deux structures que la France a inventées au XIXe siècle : la crèche et l’école maternelle. Et aussi créer de nouvelles entités qui soient intermédiaires et passerelles entre la crèche et l’école comme les « crèches-écoles enfantines ». Ces structures permettraient d’assurer entre deux et quatre ans une continuité sans rupture dans la satisfaction des besoins basiques et universels qui perdurent (protection, sécurité, alimentation, hydratation, propreté et soins corporels, sommeil) et dans le « façonnement » des constructions, acquisitions et apprentissages au rythme de chacun. On parle encore trop souvent de retard ou de déficit dans telle façon d’être, façon de faire, capacité, conduite, pour souligner celles qui ne sont pas encore observées chez certains enfants alors qu’elles sont évidentes chez la plupart des pairs du même âge ou plus jeunes. Le plus souvent, il suffit d’attendre quelques semaines ou quelques mois pour que les enfants « en retard » ou « déficitaires » soient comparables aux autres, en tout cas peu différents, voire « en avance » pour d’autres aspects. Tout devient possible si on crée des structures au fonctionnement flexible et adapté qui reçoivent dans les mêmes lieux les enfants de deux à trois ans et ceux de trois à quatre ans : des lieux conçus pour permettre aux différents enfants de passer à tout moment et à leur rythme d’un petit groupe à un plus grand groupe, et d’une classe d’âge à une autre, tout en restant dans des limites qui évitent de trop grands écarts de compétences liées au développement individuel (par exemple, le passage d’un ou de plusieurs enfants d’un groupe de deux ans et demi à un groupe de trois ans et demi, et inversement), mais aussi de passer sans appréhension, anxiété, stress ou détresse d’une activité à une autre. C’est l’objectif « des crèches-écoles enfantines » présentées dans le numéro de juin-juillet 2009 du Journal des Éducateurs de Jeunes Enfants. Les « crèches-écoles enfantines » seraient gratuites et ouvertes à tous les enfants de tous les milieux sociaux et ethniques dès l’âge de deux ans jusqu’à quatre ans, en interaction avec les moyennes et grandes sections de l’école maternelle et les établissements spécialisés dans l’accueil des enfants « qui ne sont pas comme les autres ». L’équipe de professionnels serait pluridisciplinaire (auxiliaires de puériculture, éducateurs de jeunes enfants, professeurs des écoles, éducateurs spécialisés des Rased…). Ce sont de telles structures dont les familles ont besoin et non des coquilles vides qui relèvent de l’esbroufe.

Hubert Montagner, ancien directeur de l’unité « Enfance inadaptée » de l’Inserm.


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