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Les filles de la balle

Sept ans déjà que j’enseigne au collège Robert Doisneau de Gonesse et six que je me suis investi en faveur du développement du football féminin. Si le football est bien ancré dans les quartiers , la pratique féminine, quant à elle, reste marginale. Dans mon établissement, des filles aspiraient ardemment à jouer au football. Mais encore fallait-il, pour assouvir ce désir, qu’elles aient un temps et un lieu à elles, sans mixité, sans jugement ni intrusion du regard des garçons. Le temps de l’association sportive paraissait tout indiqué.

Sur la pointe des pieds

Le coup d’envoi du projet est donné par le biais de mercredis après-midi promotionnels au sein de l’UNSS du Val d’Oise, avec un effectif initial d’une dizaine d’élèves de tous âges. Mais le bouche-à-oreille de copine à copine sera notre meilleur agent, « mercato », suffisamment efficace pour qu’au bout de cinq ans, trois véritables équipes structurées voient le jour et s’engagent dans les compétitions scolaires.

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Le projet s’est structuré autour d’entrainements d’une heure, principalement en futsal, à la suite des cours de la journée, et de rencontres sur le temps du mercredi. Il a touché des jeunes filles de la 6e à la 3e. L’hétérogénéité des niveaux en foot est réelle : il a fallu orienter les entraînements en tiers inégaux : un tiers d’acquisition ou de perfectionnement technique, un tiers de séquence tactique et un tiers de jeu. Le dernier tiers emportant souvent la part belle !

Mais au-delà des apprentissages purement sportifs, c’est aussi un temps important d’échanges : des élèves entre elles, sur leur journée de cours, leurs difficultés ou leurs réussites ; échange avec moi, sur leur débordement  dans telle ou telle matière ou leur bonne note au contrôle d’histoire ou à propos de la transmission des devoirs pour le surlendemain avec l’enseignant de technologie.

Et c’est précisément la combinaison du football et de ce temps informel que les élèves recherchent : là où certaines sèchent  la première heure de cours du matin, elles ne rateraient pas l’entraînement du soir, là où d’autres ont une tendance à l’insolence voire à la violence, l’investissement dans ce projet les fait adopter une attitude plus citoyenne. Engagées dans la voie de la déscolarisation, certaines trouvent dans ce temps une possibilité d’épanouissement qu’elles ne connaissent pas nécessairement ailleurs. Ce qui peut être perçu comme un premier levier de remotivation scolaire.

Les championnats de France en petit Poucet

En milieu difficile, environ un tiers des élèves arrivent à la fin du collège avec une année de retard et de réelles difficultés scolaires (lecture, écriture, voire comportement). Les parcours sont chaotiques : élèves non francophones, arrivés tardivement en France, élèves orientés en SEGPA, élèves qui préfèrent doubler leur année de 3e pour espérer accrocher une 2de générale et technologique. Leur point commun se situe souvent autour d’une motivation en berne et un fort sentiment d’incompétence scolaire.

Cinq filles dans ce cas ont formé la première ossature d’une équipe vite étoffée à dix membres. Elles ont toutes au moins une année de retard, une élève est issue de la Segpa, trois élèves sont passées par le module non francophone et quatre connaissent ou ont connu dans leur scolarité des exclusions externes du collège… Autour de fortes personnalités, le groupe s’est structuré en une équipe de cadettes participant à deux championnats de leur catégorie d’âge : futsal et football extérieur, où s’affrontent uniquement des… lycées ! Safia, avant un match s’inquiète : « Monsieur, mais si on joue contre le lycée, on va perdre ». Safia qui criera après la victoire 7-1 : « Monsieur, je vous l’avais dit, on allait gagner ! »

Une vie de groupe s‘instaure, dès lors, avec ses règles et ses devoirs. Et si parfois la scolarité de certaines vacille, il faut alors arrêter les entraînements pour repréciser les assiduités à tous les cours, sortir les cahiers de maths pour que l’une montre à l’autre l’exercice du lendemain, négocier le rattrapage des cours les jours de compétition.

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Car avec l’hiver, les premiers matchs arrivent. Et les victoires s’enchainent… Au printemps, le petit poucet de la compétition gravit un à un les échelons etgagne son billet pour le championnat de France. Mira, après le titre académique obtenu aux tirs aux buts, s’exclame « Jamais mon cœur il a tapé aussi vite ! »
Un grand moment d’euphorie pour les filles qui va soudain se heurter à d’autres réalités : les familles sont rétives à l’idée de laisser leurs filles partir pendant quatre jours et quatre nuits. Nadia me fait cette demande : « Appelez mon frère, Monsieur, si c’est vous qui expliquez, il voudra peut-être bien que je parte. » Il faut alors échanger, convaincre, concéder, adapter pour que le projet aboutisse, avec intervention du chef d’établissement, relai du directeur de la
Segpa et même mobilisation d’une traductrice et assistante d’éducation, pour communiquer avec certains parents. Finalement, seules neuf joueuses seront de l’aventure.

Perdre mais gagner

Sur place, les filles découvrent les réalités d’une compétition nationale, avec son décorum et ses règles : solennité des protocoles de matchs, longs temps de rencontres, arbitrages impartiaux, niveau technique élevé, présence d’équipes venues de toute la France, nuitées (courtes) à l’hôtel, déjeuners en horaires décalés… Un autre monde. Et un résultat : douzième sur douze, certes décevant mais qui sera vécu sans traumatisme tant l’aventure humaine fut enrichissante.

Quant à la plus-value éducative ou scolaire, elle semble évidente. Être autonome pendant quatre jours pour la première fois, apprendre à vivre en groupe et à ménager les susceptibilités, ou encore encourager et communiquer spontanément en français pour les élèves non francophones, autant de compétences développées pendant ce championnat. Sans compter le maintien de ces élèves jusqu’à la fin du collège, ce qui a permis qu’elles aient toutes une orientation en lycée général (40 %) ou professionnel (60 %).

Toutefois, dire que ce projet a permis la réussite de toutes serait bien prétentieux, mais il est plus probable qu’il y est pour quelque chose dans le résultat des examens (deux tiers d’admises au CFG et au DNB, soit des chiffres identiques à ceux de l’établissement), avec mention pour la moitié des reçues.
Par ailleurs, si l’on parle d’épanouissement personnel, pour ces élèves qui ont souvent vécu le collège comme un échec, trouver une voie d’excellence par cette aventure sportive n’a pu être que bénéfique pour leur redonner confiance… C’est ce que montrait le sourire des joueuses, comme le sourire de ces parents anciennement réticents mais désormais fiers, à la cérémonie de remise des prix des meilleurs sportifs de la ville…

Yann Imine