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Les examens c’est aussi une question pédagogique

Trente ans déjà… En 1970, les Cahiers pédagogiques réalisaient un numéro sur les examens : « Examen des examens ». En relisant les articles de ce dossier, une évidence s’impose : apparemment, les choses ont peu changé. Et pourtant, quels changements dans le système scolaire depuis cette date ! Scolarisation massive bien au-delà de la scolarité obligatoire, taux d’accès au bac de l’ordre de 65 %, le nombre d’examens subis par les élèves se multiplie démesurément, désespérément. Si, pour les examens eux-mêmes, les choses changent, ce n’est ni dans leur fonctionnement pour les élèves, ni dans la manière dont les enseignants paraissent les vivre ; alors que plus de 80 % des élèves accèdent aujourd’hui à un examen au moins validé, l’épreuve elle-même ne change qu’à la marge, et quand elle change c’est apparemment pour renforcer ses travers terribles. On comprend dans ces conditions que ce qui a changé, c’est la signification et le rôle des examens dans la scolarité des élèves.

Le sens des examens

Malgré leur expansion un peu folle depuis les années soixante-dix, les examens gardent toujours un sens mais il s’est transformé. S’ils donnent en effet, pour une large part, le sens de la scolarité, Cela paraît très insuffisant tout en semblant combler les perspectives de travail que les élèves sont prêts à produire pour les réussir.

Compte tenu de l’évolution des attentes diverses qui pèsent sur le système éducatif, les examens ont fini par concentrer les contradictions. Et les aléas de leur fonctionnement constituent le symptôme de l’incapacité du système éducatif à se transformer dans ses structures, ce qui ne veut pas dire que les pratiques, les expériences n’évoluent pas en s’enrichissant, en se diversifiant.

Des moments et des signes, des repères donc

Si les examens restent des moments d’une rare intensité dramatique et médiatique, ils ont perdu pour beaucoup leur fonction de « rites de passage », sauf marginalement (l’entrée à l’ENA, le brevet de compagnons du tour de France…) ; il faudrait pour cela qu’ils permettent effectivement de s’extraire d’un monde pour accéder à un autre. Or, en se multipliant, ils se singent et se disqualifient mutuellement. À part quelques exceptions (le bac pro, peut-être), c’est toujours davantage de matières « générales » d’un côté, une professionnalisation un peu hasardeuse, de l’autre. Le formel le dispute au procédural – il paraîtrait que cela garantirait une certaine égalité – la validation de compétences utiles irait se chercher du côté des aptitudes prétendument attendues par le milieu de travail.

En concurrence permanente pour constituer une sorte de leadership symbolique dans des filières réelles ou imaginaires, les examens ne constituent pas moins des repères réputés lisibles à l’extérieur (les diplômes) et dans le système scolaire. Repères organisateurs du travail de l’enseignant comme de l’élève : des contenus à enseigner et des démarches à s’approprier, un savoir à ingurgiter et à savoir présenter, des procédures censées garantir la bonne issue des épreuves, voilà bien des obstacles dépassés ! Repères aussi pour instaurer l’impression d’un déroulement progressif presque fatal : de quel poids peut peser la « chrono genèse » des savoirs face à « l’aspiration » vers la norme du savoir à acquérir au bon moment pour la bonne fin. Repères pour baliser les parcours des élèves vers la « sortie » et les différencier, pour justifier les rétentions dans le système scolaire, redoubler pour être au niveau pour aller vers l’examen, prolonger sa scolarité puisqu’on est entraîné : en somme, les examens permettent de gérer les flux.

Faut-il s’en débarrasser ?

Même si l’expérience des élèves et des enseignants reste pour le moins mitigée, la réponse ne va pas de soi. Et il ne s’agit pas seulement de prendre garde à ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain : les examens n’apportent rien d’essentiel au fonctionnement du système pas plus qu’à l’apprentissage des élèves, mais ils occupent une place monstrueuse, décisive. Il faut être prêt à refonder un sens nouveau au travail des élèves, à leur rapport au temps, présent et projeté, à leur goût d’apprendre et de travailler en groupes (ou en réseaux).

En attendant, on peut s’en accommoder, il faut s’en accommoder, mais à certaines conditions que les auteurs des contributions de ce dossier déclinent dans des registres divers. On peut en isoler trois :
– l’organisation des épreuves : l’aménagement des modalités d’organisation et de passation des épreuves ; moins nombreuses et évaluées de façon continue tout au long de l’année terminale d’un cycle ;
– l’évaluation des élèves : si on veut espérer aider l’élève à se construire un devenir réellement autonome, il faut lui donner les moyens d’une réappropriation de son destin, cela commence par la maîtrise des conditions d’évaluation de ses acquis, à l’examen d’abord, tout au long de sa scolarité également ;
– la position de l’enseignant (évitons la posture !). Entre justice et justesse, les enseignants doivent en finir avec la négation du caractère primordial de l’évaluation parmi leurs fonctions sociales et tout particulièrement de ces rituels médiatiques que sont les examens, grands sélecteurs qui marchent à l’économie. Pour ce qu’ils font, en toute méconnaissance de la plupart de ces effets, ils ne coûtent pas si cher que cela ; ils sont exorbitants pour ce qu’ils ne font pas. Mais pourraient-ils le faire ?

Une question qui n’intéresse pas les pédagogues ?

Juste un mot, d’humeur, pour clore cette présentation trop alerte. Le coordinateur et initiateur du dossier ne peut que constater le peu de contributions d’enseignants de terrain, de pédagogues, militants ou non. Comme si la question des examens ne les intéressait pas. Ce serait laisser croire que ce qui détermine pour une large part le destin scolaire, donc social, des élèves ne les concerne pas. Ou que nicherait là ce qui restera toujours plus ou moins un élément irréductible du système. Ces suppositions ne sont pas sérieuses.

Tentons d’ébaucher quelques explications qui peut-être fourniront un début de réponse, juste assez pour entreprendre sereinement la lecture de ce dossier : les examens occupent une place à part, extérieure, dans l’activité des enseignants et il est toujours possible de travailler avec la conviction qu’on ne prépare pas seulement aux examens. Les changements qu’on peut exiger à leur endroit supposent la définition de revendications qui mettent au jour et instituent la fonction de validation des enseignants au même titre que la transmission de connaissances ; alors qu’on s’embourbe encore dans le faux débat éducation-instruction, il faudrait qu’on soit au clair sur le débat apprentissage-validation, dans un rapport qui ne soit même pas dialectique mais génétique ! Dans la perspective pragmatique et éthique qui domine chez les pédagogues, les examens ne constituent-ils pas le dispositif par excellence, la mise en situations problèmes la plus immédiatement opérationnalisable ? Peuvent-ils encore constituer la matière d’une équité à fabriquer, à bricoler avec les moyens du bord ?

Emmanuel Triby, Maître de conférence, université Louis Pasteur, Strasbourg. Formateur UIFM.