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Les enjeux de la réforme pédagogique du collège

Le collège porte encore les traces du passé d’un second degré malthusien qui a eu beaucoup de difficultés à accepter d’accueillir les enfants du peuple. Ainsi, Jules Ferry constate en 1880, dans un système alors pourtant ultra élitiste, que les professeurs du secondaire se plaignent d’élèves « mal préparés, hors d’état de suivre avec fruit les exercices de la classe, et qui sont un embarras pour le maître, un mauvais exemple pour leurs camarades ». Il demande en conséquence qu’on dirige « vers de nouvelles voies les esprits qu’on aurait voulu contraindre à suivre malgré eux un enseignement qui ne leur convient pas »[[Circulaire du 28 septembre 1880, citée dans le Nouveau dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire, sous la direction de Ferdinand Buisson, édition 1911, article « lycées et collèges ».]].

À cette circulaire de la fin XIXe répond comme en écho 130 ans plus tard la circulaire du 26 aout 2011 : « Pour certains élèves, peu nombreux, le collège n’est pas pleinement un lieu de réussite. La découverte de nouveaux espaces de formation, la découverte du monde de l’entreprise peuvent, en ouvrant les perspectives, permettre à l’élève de renouer avec les apprentissages scolaires et de préparer un projet d’orientation ». Un peu comme si, depuis toujours, nous ne trouvions rien de mieux à faire pour préparer l’avenir de certains collégiens que de les inviter à quitter le tronc commun de la scolarité obligatoire le plus vite possible, pour « de nouveaux espaces de formation »….

Voulons-nous du collège unique ?

La difficulté que nous éprouvons depuis maintenant plus de quarante ans à construire le collège unique et à en achever la construction montre bien l’étendue de nos contradictions. Comment prétendre à une citoyenneté partagée par la jeunesse, quand une partie d’entre elle se rend très vite compte que le collège qui l’accueille n’a pas été pensé pour tous mais seulement pour ceux qui se destinent aux filières générales du lycée ? Comment expliquer que cette avancée démocratique permise par la réforme du collège en 2016 avec une deuxième langue vivante offerte à tous les enfants en 5e, et plus seulement à quelques-uns en 6e, soit autant combattue par certains ? Qui cela peut-il gêner ? Personne à priori, sauf peut-être ceux qui utilisent les langues vivantes pour séparer leurs enfants des enfants des autres dès la classe de 6e, mais qui ne peuvent évidemment avancer cet argument à visage découvert et qui préfèrent parler d’égalitarisme, de nivellement par le bas, le « bas », c’est-à-dire le peuple…

La question du collège unique est donc d’abord, me semble-t-il, tout autant une question politique qu’une question pédagogique : est-ce que notre pays veut, oui ou non, donner une culture commune à tous les jeunes pendant la scolarité obligatoire et donc organiser la scolarité de ces jeunes dans une école commune ? Est-ce trop demander dans un pays qui prône le « vivre ensemble » que de tout faire pour « scolariser ensemble » la jeunesse de notre pays au moins pendant le temps de la scolarité obligatoire ? Former des républicains, ce n’est pas trier et séparer précocement des individus, c’est se donner les moyens de forger un destin collectif.

C’est parce que la réponse n’a jamais été claire que l’on ne cesse de bricoler, parfois avec subtilité, des dispositifs pédagogiques chargés de dépasser cette contradiction.

Un peu de vocabulaire

La difficulté de la tâche apparaît d’ailleurs bien dans l’évolution du vocabulaire utilisé pour parler du collège. Pour les besoins d’un ouvrage que j’ai publié en 2006[[Jean-Paul Delahaye, Le collège unique pour quoi faire ?, Retz, 2016.]], j’avais relevé que le collège s’est appelé le « collège unique » dans les années 1975, il est devenu le « collège de la réussite » en 1982, le « collège pour chacun » en 1994 et 1995, le « nouveau collège » en 1997, le « collège pour tous » en 1998, « le collège pour tous et pour chacun » en 2000, le « collège réellement pour tous » en 2003… Formules qui sont autant de glissements sémantiques particulièrement révélateurs de la difficulté à situer ce niveau d’enseignement, mais tout autant révélateurs aussi des efforts entrepris pour essayer de donner, malgré tout, une identité à notre école moyenne.

Au fond, le collège est bien au cœur de la problématique de la démocratisation de la réussite scolaire et, d’une certaine façon, les débats d’aujourd’hui sur le collège unique sont en partie ceux ressassés depuis toujours.

La digue ou la vague

La société a-t-elle intérêt à instruire le peuple et si oui, jusqu’où ? Le collège est-il une « digue » ou une « vague » ? Comme au XIXe siècle, et nous reprenons ici les deux mots de « digue » et de « vague » utilisés dans une polémique de l’époque, il existe toujours en effet aujourd’hui des héritiers des partisans du collège comme « digue » (pour faire barrage à la démocratisation) et, comme au XIXe siècle, il y a aujourd’hui des héritiers des défenseurs du collège comme « vague » (pour répandre sur tous l’instruction et la culture)[[Un vif débat oppose à la fin du XIXe siècle Célestin Bouglé (partisan de la « vague ») et Albert Fouillée (partisan de la « digue »). Voir à ce sujet Frédéric Mole, « Hérédité ou démocratie : les aptitudes selon Alfred Fouillée et Célestin Bouglé (fin XIXe – début XXe) », dans Problèmes de l’école démocratique, XVIIIe-XXe siècles, Bruno Garnier (dir.), CNRS Éd., 2013. Dans le même ouvrage, on pourra lire notre postface « Le collège unique et l’école démocratique ».]].

Certains aujourd’hui, partisans de la « digue », considèrent que l’objectif du collège unique était mauvais en lui-même, voire démagogique, et donc inapplicable. Ils considèrent effectivement le collège comme une « digue » permettant de contenir l’utopie de la démocratisation scolaire et « l’égalitarisme ». Ils refusent donc l’idée de classes hétérogènes, sont des défenseurs du redoublement et de l’examen d’entrée en sixième, ou prônent des solutions comme l’apprentissage junior à quatorze ans, évidemment pour les enfants des autres pas pour les leurs. Les idées émises il y a peu par la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol)[[Fondapol, 12 idées pour 2012, décembre 2011.]] illustrent bien cette pensée, puisqu’il s’agirait d’instituer une « école fondamentale » (on remarquera le détournement du vocabulaire progressiste des années 1960-1970) pour les seuls élèves en difficulté de manière à n’accueillir en « collège général » (sic) que les élèves destinés à l’enseignement général traditionnel.

Si l’on suivait cette voie, le projet d’école démocratique n’aurait été qu’une parenthèse.

L’école moyenne

Mais, et c’est clairement la position adoptée de 2012 à 2017, on peut tout aussi bien considérer que les difficultés du collège unique proviennent de ce qu’on n’a pas assumé la logique de la réforme jusqu’au bout en ne donnant pas au collège un contenant et un contenu spécifiques au rôle d’école moyenne qui est le sien : achever la scolarité obligatoire dans de bonnes conditions pour tous les élèves et préparer, telle une « vague » et de façon différenciée, les élèves à toutes les formations ultérieures.

Or, l’histoire du collège unique montre qu’il y a un certain nombre de conditions à remplir pour que cette ambition corresponde à un collège assurant la réussite de tous les élèves. Ces conditions sont prises en compte dans la loi de refondation et donc dans la réforme du collège amorcée en 2016. Citons-en rapidement quelques-unes sans prétendre à l’exhaustivité.

  • Tout d’abord un travail est à effectuer en amont, le collège n’étant pas responsable de tout. La priorité donnée au primaire, l’effort produit pour l’éducation prioritaire, la refondation de la formation des maîtres pour mieux préparer les enseignants au poste de travail spécifique qu’est le collège, sont des mesures qui visent à donner au collège les moyens de réussir dans la mission qui lui est assignée.
  • Une bonne articulation école-collège est nécessaire, car on sait que ce sont les élèves les plus fragiles qui souffrent de son absence. La relance de la politique des cycles et la création d’un cycle CM1-CM2-6e dans la loi de refondation mettent en perspective sur un temps suffisamment long, à l’échelle du développement de l’enfant, le parcours d’acquisition du socle commun.
  • La professionnalisation du métier d’enseignant exige des capacités de coopération. C’est pourquoi, dans le nouveau référentiel des compétences professionnelles des métiers du professorat et de l’éducation voté à la quasi-unanimité du Conseil supérieur de l’éducation en juin 2013, trois des quatorze compétences communes à tous les métiers du professorat et de l’éducation commencent par le verbe « coopérer ». C’est un travail local, bienveillant et exigeant des personnels, qui permet à l’élève de trouver en l’école le lieu de son épanouissement scolaire. Pour que ce travail puisse se développer, il est nécessaire que les équipes disposent de marges d’autonomie qu’elles prennent en charge de façon collective. Cette capacité accrue d’initiative pédagogique permise par la réforme du collège permettra de répondre de manière adaptée aux besoins de chaque élève et de mieux faire vivre la politique pédagogique et éducative.
  • Un autre enjeu est de combler l’absence d’une véritable aide au travail personnel des élèves au collège. La mise en place en 2008 de « l’accompagnement éducatif », un dispositif permettant d’offrir aux collégiens, après la classe, des activités d’aide aux devoirs, des activités artistiques et sportives ou des actions de renforcement en langue vivante, de même que le nouveau dispositif « devoirs faits », sont de belles avancées qu’il faut saluer mais cela doit pas exonérer d’une aide effectuée dans le temps scolaire.

Or, jusque 2016, les collèges ne disposaient dans leur dotation horaire que de deux heures par division de sixième d’accompagnement personnalisé (AP) pour assurer à la fois la remédiation et l’aide au travail personnel. Et rien n’était prévu en cycle central et en troisième, alors qu’on mettait en place un accompagnement personnalisé en lycée ! Comprenne qui pourra… Dans le cadre de la refondation du collège, il s’agit aujourd’hui d’offrir à tous les élèves des temps d’accompagnement personnalisé qui s’articulent avec le tronc commun et les enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI).

Mais la possibilité donnée récemment aux collèges d’utiliser une partie des moyens consacrés à l’AP et aux enseignements interdisciplinaires (des moyens pour tous, donc) pour recréer des filières (réservées à une minorité), risque de contrarier cet objectif démocratique et de permettre la restauration d’une séparation de fait entre les jeunes dès la scolarité obligatoire. Vue sous cet angle, la critique de la pédagogie (et aucune partie de l’échiquier politique n’en a le monopole…) masquerait alors difficilement la volonté de pérenniser un système de tri et de sélection précoce protégeant la scolarité d’élites qui n’ont jamais été aussi clonées socialement.

Comme le disait le ministre Alain Savary en 1983 : « Le collège unique est une ambition, une œuvre de plusieurs générations. » Ce n’est certainement pas le moment de renoncer à cette ambition.

Jean-Paul Delahaye
Ancien DGESCO et ancien conseiller de Vincent Peillon


A lire également sur notre site :

La mission grande pauvreté, par Jean-Paul Delahaye

Le collège unique, pour quoi faire ? Les élèves en difficulté au cœur de la question, recension de l’ouvrage de Jean-Paul Delahaye, Éditions Retz, collection « Défis d’éducation », 2006.