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Les enfants parlent aux enfants… et aux grands

C’est le sentier de la curiosité qui l’a menée vers la culture dédiée au jeune public. « Je préfère le terme « jeune public » que celui de « jeunesse ». Il est plus générique car il englobe les bébés et les jeunes… Et aussi permet de se dire qu’on peut être un jeune public si on vient pour la première fois au spectacle, même à 99 ans. » Après des études de philosophie, elle prépare le Capes et l’agrégation mais renonce à devenir enseignante. Son envie est freinée par le contraste constaté entre le programme et la réalité humaine et concrète. « C’est important d’ouvrir les enfants et les jeunes à se poser des questions mais pas avec Kant d’emblée. »

Elle lit beaucoup, assiste à de multiples spectacles grâce à des emplois étudiants d’ouvreuse au Corum à Montpellier puis à l’Opéra de Paris. Elle voit que l’accès à la culture est limité et que l’ouverture qu’elle apporte échappe à beaucoup, se transforme en vague hypothèse sous le coup de l’élitisme. Jean Vilar et son théâtre populaire, sa volonté de rendre la culture accessible à tous, font partie de ses références.
Devenue maman, elle ne souhaite pas se priver de l’oxygène culturel, alors elle va voir des spectacles avec ses enfants et découvre un monde riche et méconnu, celui du spectacle jeune public. Elle se sent dans son élément, perçoit aussi là un fil à tirer pour que ses convictions se transforment en actions. Petit à petit, elle crée des liens avec les artistes et les organisateurs de spectacles jeune public.

Éducation populaire et jeune public

Il y a dix-huit ans, elle est recrutée par la ville de Nanterre, à la Saison Jeune public, comme chargée des parcours culturels dans les écoles. « J’ai eu la chance de m’installer par hasard dans cette ville militante et active pour l’éducation populaire notamment pour la jeunesse, avec des actions au niveau culturel, sportif et pour les vacances, qui accompagne intelligemment les enfants jusqu’au bout. » Elle travaille avec les enseignants pour l’accueil des artistes dans les écoles, compose des parcours thématiques complets incluant des visites d’expositions ou des sorties théâtrales en famille.

Cinq ans plus tard, elle s’envole, mue par l’envie d’élaborer et de programmer des actions dans la banlieue parisienne. « Je me suis rendu compte qu’il existait de nombreux îlots d’éducation populaire, souvent dans des bastions communistes. » À Gennevilliers, Villiers-le-Bel ou encore Sevran, elle met en place des évènements dédiés aux spectacles jeune public.

Mais une autre envie grandit, celle de relier par la voix, de donner la parole et de raconter, d’utiliser le média de la radio pour pousser plus loin la démocratisation de la culture. « Tous les secteurs de la culture, le livre, le cinéma, le théâtre, se sont emparé de la culture jeunesse mais peu la radio. » Elle constate aussi que les artistes et professionnels du spectacle jeune public sont peu présents à la radio. « Et puis la richesse de ce qu’il se passe en banlieue semble ignorée à Paris. » Pour elle, la question de la démocratisation de la culture est insuffisamment investie par les médias radiophoniques.

Émission de radio

Elle conçoit un projet d’émission en direct pour les enfants et animée par les enfants qu’elle propose à l’Agora de Nanterre, la maison des initiatives citoyennes de la ville qui accueille les projets des habitants et possède une radio. Elle ne pense pas au départ animer l’émission « Minute Papillon ». Elle ne se sent pas légitime, malgré une expérience de chroniqueuse sur Radio Aligre dans l’émission de Véronique Soulé « Écoute, il y a un éléphant dans mon jardin ». Faute d’avoir trouvé une animatrice ou un animateur, elle se lance et se délecte de ce jeu avec les voix, la sienne et celle des enfants.

Chaque émission est conçue autour d’un thème pour lequel elle recherche une complicité à la fois du côté des enseignants et des artistes. L’idée est de construire des cartes postales sonores culturelles à partir d’un projet en classe. Les thèmes frayent avec la philosophie : « Qu’est ce qui nous console ? », « c’est quoi l’amour ? », « le souvenir » ; avec la culture : « dessine moi », « ah Ernesto ! » de Marguerite Duras, « Des héros pour grandir », « des lettres ». Ils traient aussi de questions de société liées au souci de solidarité : « chez soi » qui dénonce et pose la question de l’exil aux enfants, « je lie/lis avec ma grand-mère », pour montrer le lien entre les générations que tisse la lecture, « défi de solidarité » sur les mineurs isolés étrangers.

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En studio

À chaque fois, un artiste est associé, auteur, chanteur, dessinateur, conteur, comédien. « Quand je parle des émissions ou que je les partage, les artistes sont intéressés car ils se retrouvent dans les sujets et les préoccupations. Comment parler aux enfants, comment être interviewés par eux, ça les intrigue. » Elle raconte la rencontre avec Augustin Trapenard à l’occasion d’une émission sur le thème de la radio, de la distance presque professorale au début, vite effacée par les interventions des enfants portées par une approche pleine d’apprentissages réciproques.

Construire son propre métier

Au fil des émissions, elle apprend elle aussi du côté de l’animation culturelle. Elle regarde les enseignants et les intervenants culturels faire, s’en inspire, construit sa propre professionnalité. Elle transforme son initiative en véritable métier. « Mon métier c’est d’accompagner les enfants au spectacle, d’en parler et de les faire parler, de faire de la médiation et du lien. Et aussi de montrer aux jeunes que le théâtre, l’émotion artistique c’est pour tout le monde, pas seulement pour les bourgeois. »

Son initiative radiophonique se diffuse, s’exporte hors de la région parisienne. Elle construit des émissions en podcasts à partir de commandes de territoires. À Blainville-sur-Orne (Calvados), Hazebrouck (Nord) ou encore à Quimper (Finistère), elle réalise des projets de bonbons radiophoniques où se mêlent apprentissage de la radio et immersion culturelle en compagnie d’artistes. Elle pose ses micros au lycée agricole de La Canourgue (Lozère), invitée par une enseignante d’éducation socioculturelle qui mène un projet de radio. Les élèves assistent à des spectacles programmés par Scènes croisées de Lozère.

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Pauchon

L’idée est de laisser débats et paroles émerger autour de cette expérience qui leur paraissait au départ étrangère voire incongrue. « Ta vision du théâtre a-t-elle changé ? » « Qu’est-ce que c’est maintenant le théâtre pour toi ? » Les questions s’accompagnent de lecture de textes à voix haute. Des capsules sonores naissent ainsi, dans un espace de parole radiophonique consacré au spectacle. « Par le prétexte de parler de quelque chose, on leur fait décrire des choses. »

Elle se régale de ces créations impromptues et imprévisibles, place la confiance et l’écoute au fronton de son approche. « J’aime bien laisser la parole émerger, mettre les enfants en confiance. Je sais que je vais apprendre des choses, je sais que des perles vont jaillir, et seront cueillies par mon micro. Je suis bluffée à chaque fois. » Ce sont les enfants qui animent et finalement construisent, elle se tient sur la pointe des pieds, préfère l’improvisation à la programmation, pour ne pas freiner l’éclosion de la parole.

Un projet pour le confinement

Dès le début du confinement, cette parole lui a manqué, alors elle a imaginé un espace où les enfants raconteraient leur quotidien contraint : le projet « confinés mais connectés ». Elle a proposé aussi un appel du 18 avril 2020, où seraient enregistrés des messages codés et poétiques pour un destinataire défini qui, seul, en comprendrait le sens. Elle a initié des lectures de textes à partager.

Son engagement pour une culture accessible et une reconnaissance de la parole pour tous s’exprime également dans un projet de compagnonnage entre de jeunes migrants isolés et des volontaires. Là encore, l’égalité est de mise pour que la créativité et l’expression de chacun ne soit pas freinée par une hiérarchie culturelle induite.

Elle a hâte de reprendre le chemin des projets à l’école, de renouer la complicité vivifiante avec les enseignants et les artistes pour que les talents fleurissent. En attendant, la distance a renforcé encore à ses yeux la magie de la radio : « La radio est une résistance contre les écrans solitaires. Elle est la voix de la résistance qui nous met en lien les uns et avec les autres. »

Monique Royer

Logo de l’article : Virginie Meigné


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[et la page Facebook de Minute Papillon-https://www.facebook.com/minute.papillon.9634]

Des exemples de cartes postales sonores :

L’enfant caché en moi

Les rêves des plus petits