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Les copains d’abord

Retrouvailles avec un groupe d’anciens élèves des années soixante-dix, qui ont donc quarante ans.

Ils ont gardé quelques souvenirs de mon enseignement. Ils se rappellent qu’on s’entendait bien, que j’essayais de faire des choses. Ils me revoient, fend-la-bise sur ma mobylette. Et mes cours, mes dispositifs, mes polycops ? Non, franchement, rien de bien précis.

Mais le sujet qui les passionne, qui fait se bousculer les souvenirs, c’est leurs relations d’alors. En quatrième puis en troisième, l’essentiel s’est passé entre eux. Le groupe des garçons était lancé dans des défis, à qui réaliserait le plus bel exploit : frotter au camembert le dessous de la table du prof d’anglais, laisser une gomme sur le poêle à mazout, on voit le genre. Les filles découvraient le bonheur de la confiance entre adolescentes et des secrets hors de la famille. Mais la grande affaire, pour tous, ç’a été manifestement le jeu complexe et changeant des attirances sentimentales, des premiers baisers, des passions adolescentes.

Ces quadragénaires se rappellent avec rires et émotions avec qui ils ou elles sortaient, avec qui ils ou elles ont rompu. Une des filles a apporté des lettres échangées à l’époque avec sa meilleure copine : il ne s’agit que de cela ; prendre son mec à Sandrine, tenter sa chance avec Alain, et il parait que Nadia, etc.

Ce constat m’a beaucoup amusé et intéressé. Il m’inspire même quelques réflexions. D’abord, que l’essentiel de l’apprentissage porte peut-être sur le relationnel, sans que nous le comprenions vraiment. Des féministes américaines considèrent que les filles apprendraient mieux les maths si on abolissait la mixité. Les maths, oui. Si on suivait cette direction, on en viendrait à donner des sujets différents selon le sexe, ou à noter sur des critères différents ; à instaurer un bac féminin spécifique. Et pourquoi s’arrêter là ? Isolons les élèves selon leur groupe ethnique, leur classe sociale, leur province d’origine, que sais-je.

Mais la force de l’école pour tous, c’est de regrouper des gens différents. Pour une excellente raison : ils devront vivre ensemble. Autant qu’ils apprennent, le plus tôt est le mieux.

 » Pourquoi aimes-tu tout de même la rentrée scolaire ?  » Il n’y a à cette question qu’une réponse honnête :  » Pour retrouver les copains et les copines « . Consultons honnêtement nos propres souvenirs !

C’est pour cela que l’essentiel de l’école est blessé quand les relations entres élèves se passent mal ; violences, racket, agressions sexuelles, on connaît.

L’essentiel : une expérience positive du groupe, et d’un groupe aussi divers que la société le sera. Bien entendu, nous enseignons, et il faut que nous le fassions bien, que des connaissances solides se mettent en place et s’organisent, qui met cela en doute ? Et nous n’avons pas à être des animateurs sympas qui n’enseignent rien. Mais sans ignorer que ce qui restera de plus fort, c’est l’expérience, heureuse ou malheureuse, négative ou constructive, de la vie de groupe et des relations entre des garçons et des filles du même âge.

Philippe Lecarme, professeur honoraire de Lettres.