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Les badges de la discorde

Le monde de l’éducation est à nouveau secoué par une polémique douloureuse. Cette fois-ci, elle concerne des « Open badges » et la formation des enseignants. En effet, quatre petits badges sont à l’origine d’une vague déferlante de colère, ceux-ci étant pris pour une mesure gouvernementale de reconnaissance du gros travail conduit pendant la période de confinement pour assurer la continuité pédagogique, en lieu et place d’une revalorisation des salaires et d’une reconnaissance sans fards par les responsables académiques.
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Résidant à Montpellier, j’ai la chance de connaître les enseignants qui travaillent au service de la DANE (la Délégation académique du numérique éducatif). Je peux témoigner de leur dévouement en faveur de l’école et du souci attentionné dont ils font montre pour mettre à disposition de leurs collègues des outils numériques qui facilitent les apprentissages et la prise en compte de la diversité des élèves. Bref, comme beaucoup, des enseignants très chouettes, qui ne comptent pas leur temps pour faire vivre leur passion. Après les avoir contactés, ils m’ont permis de mieux comprendre une réalité, bien différente des suppositions d’un complot néolibéral fomenté par le gouvernement.

La DANE de Montpellier a lancé, en septembre 2019, des badges permettant aux enseignants de l’académie qui le souhaitent, de valoriser certaines de leurs compétences dans le champ du numérique éducatif. Ces « Open Badges » correspondent à des certifications numériques, attribuées individuellement. Ils ont été créés en 2011 par la fondation Mozilla, et prennent la forme d’images dans lesquelles des méta-données attestent de tout type de compétences, aussi formelles qu’informelles. Ils peuvent aussi reconnaître et encourager la validation des acquis de l’expérience (VAE).

Badges, brevets, blasons, arbres

J’ignore les motivations des collectifs du Libre numérique, mais cela ressemble tout à fait à la pratique des brevets en Pédagogie Freinet, des blasons dans le monde de l’escrime et des arbres de connaissances initiés par Michel Authier, Michel Serres et Pierre Lévy[[Michel Authier et Pierre Lévy, Les arbres de connaissances, Éditions La Découverte, 1992.]]. La différence ici, c’est que ces badges ont un caractère institutionnel, qu’ils ne sont pas directement créés par les membres du collectif et que, au moins pour l’instant, ils servent peu à une mutualisation des compétences.

Mais, au sein de l’Éducation nationale, il existe déjà des diplômes (Capes, agrégation) ou des certifications (Cafipemf – Certificat d’aptitude aux fonctions d’instituteur ou de professeur des écoles Maître formateur, Caffa – Certificat d’aptitude aux fonctions de formateur académique) permettent l’accès à un statut (professeur, formateur). Ces supports de reconnaissance institutionnelle sont alors valables tout au long de la carrière professionnelle. Leur problème est qu’ils ne valorisent pas tout ce qui se construit également à travers les échanges directs avec des collègues, ni tout le travail réalisé en autoformation, par de la lecture, des réseaux numériques ou autres. Ces sources d’évolutions professionnelles sont rarement mises en avant.

C’est donc tout le projet de ces outils que sont les badges : permettre une reconnaissance de compétences dans l’enseignement (ou ailleurs), surtout si elles ne peuvent pas bénéficier des certifications et des diplômes existants. Chacun est ensuite libre d’en faire l’usage qui lui convient : les afficher sur un profil public ou les ignorer. Grâce aux facilités du numérique, lorsqu’ils sont associés à une cartographie, ils permettent aussi de contacter des collègues géographiquement proches, partageant un intérêt pour une même thématique : cela permet de se créer des relations professionnelles, comme avec un réseau social.

Voilà donc ce qui a guidé ces collègues dans la mise à disposition de ces badges. Certes, on pourra regretter la mention « Covid-19 » qui fait un lien inapproprié avec une période délicate pour beaucoup, dramatique pour certains. Mais l’intention de ces badges ne dépasse celle de contribuer à une valorisation et une mise en réseau des fantastiques ressources qui existent chez les enseignants. En tant que pédagogue de la coopération, cela me rappelle les attaques faites aux enseignants qui utilisent des ceintures de couleur pour symboliser des évaluations réussies par des élèves. On les accuse de créer des hiérarchies là où justement Fernand Oury supposait de l’entraide pour lutter contre l’isolement de la difficulté scolaire.

Sans les intentions, les outils ne sont pas grand-chose. De plus, les médailles ou autres artefacts ne compenseront jamais les régularisations salariales que les enseignants réclament logiquement depuis très longtemps. Mais, pour une fois qu’une proposition rectorale va dans le sens du soutien du travail ordinaire des enseignants, ce serait dommage et injuste de la jeter dans le Tartare de l’éducation.

Sylvain Connac
Maître de conférences en sciences de l’éducation à l’université Paul-Valéry de Montpellier