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Le temps des crises

Pas la peine de raconter des histoires afin de se remonter le moral : disons-le tout de go, l’école que nous aimons, que nous voulons, est en perte de vitesse.
Xavier Darcos a été un mauvais ministre, et il n’avait pas l’excuse de l’incompétence. Il a cédé à l’ambition et à l’idéologie. Il n’a pas résisté aux coupes claires de Bercy, allant même au-devant des desiderata du prince. Il a massacré les conditions de formation des maîtres (dont nul ne conteste qu’il fallait les amender). Il a détourné l’évaluation de sa vocation initiale. Il a manqué une réforme du lycée pourtant opportune. Et refusé le dialogue tout en affirmant le contraire.
Mais nous ne sommes pas (seulement) victimes d’un ministre, de celui-là ou de ceux à venir. Nous ne sommes pas (seulement) victimes des options ou de la pingrerie des individus. Tout se passe comme si un cycle s’achevait, comme si la boucle était bouclée.
L’ambition de parvenir à une école juste, ouverte à tous, l’ambition de concevoir un collège réellement unique a du plomb dans l’aile. Cela n’est pas d’hier. Sans cesse, il a fallu et il faut combattre pour que l’effet d’annonce ait un effet de réalité. Sans cesse, il a fallu défendre l’idée que, pour favoriser les chances de tous, il convenait d’enseigner différemment. Cela n’est pas nouveau, c’est la mobilisation de toujours. Depuis trente-cinq ans, nous observons la manière dont une partie des usagers de l’école, mais aussi une partie des maîtres, font des pieds et des mains pour vilipender la massification, pour contourner la démocratisation. C’est au point que les classes préparatoires et les établissements qui les abritent sont devenus, au sein du service public, une véritable enclave privée où triomphent les fils de cadres et les fils de profs.
Ce qui est nouveau, c’est que ce qui se pratiquait hier en catimini – les filières souterraines, l’orientation par et pour les initiés – est à présent revendiqué toute honte bue. Intellectuellement, les réactionnaires dominent. Politiquement, les libéraux l’emportent. Les cris d’orfraie d’une gauche qui s’est crispée sur la défense des acquis, les protestations d’un syndicalisme qui a prôné le statu quo et l’indéfinie croissance des moyens n’y peuvent mais. La roue a tourné et ce n’est pas conjoncturel.
Que faire ? Comme disait l’autre. Faire, précisément. Résister en actes. Ne pas gesticuler de manière désordonnée, ne pas céder au baroud d’honneur. Ne pas chercher à convaincre l’opinion de ce qu’elle ne veut pas entendre, ni les politiciens, ni les essayistes, ni les éditorialistes. Moins encore les ministres. Mais pratiquer la pédagogie, s’adresser aux élèves, aux parents, inlassablement. Miser sur le long terme, semer durablement, glisser un peu de justice, un peu de scrupule dans les interstices du système.
Le pouvoir avait devant lui une échéance cruciale : saisir l’occasion du renouvellement des générations pour bousculer les habitudes, les discours anciens. Il ne l’a pas saisie, il ne la saisira pas. L’enseignement est, plus que jamais, dans les mains des enseignants. Quel beau métier !