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Le pédagogue et le politique

Depuis plusieurs mois on assiste à une inflation de l’usage du terme « pédagogie » dans le champ politique. Aujourd’hui, c’est à propos du référendum ratifiant le traité établissant une constitution pour l’Europe que le chef de l’État souhaite une campagne « pédagogique »[[Le Monde, mardi 1er mars.]]. Déjà à l’occasion des réformes sensibles du gouvernement Raffarin – les retraites, l’assurance maladie ou l’école – il était question pour les ministres de faire preuve de « pédagogie », c’est-à-dire d’expliquer aux Français la teneur de leurs propositions, car s’ils les comprenaient, ils y adhéreraient forcément ! Aujourd’hui, qu’ils soient partisans du « oui » ou du « non », les politiques se veulent « pédagogues ».

Faut-il se réjouir de l’invasion d’un terme si souvent contesté ? Doit-on simplement observer cette évolution et regretter avec nostalgie une époque où « être pédagogue » ne désignait pas seulement une qualité ? Ce phénomène est un signe du temps et témoigne de la confusion dans laquelle semblent plongés bien des politiques.

Que ce soit à propos du référendum du 29 mai ou des réformes des deux années passées, la pédagogie est envisagée comme un moyen qui doit permettre d’atteindre une fin. Faire preuve de pédagogie implique dans le discours politique qu’il y ait une séparation entre ceux qui savent, qui comprennent les enjeux, et ceux qui ne savent pas. Les premiers doivent donc aider les seconds à accéder au savoir sur un texte constitutionnel complexe. Cette vision du pédagogique est fausse et réductrice. La pédagogie serait réduite à un acte de manipulation, c’est-à-dire de prise en main. Ici, c’est l’opinion qu’il s’agit de prendre en main. Une telle démarche implique une conception hiérarchisée du savoir. Il existerait un savoir qui surplomberait le réel et dont le partage permettrait à ceux qui ne savent pas d’être enfin éclairés. Être pédagogue, ce serait expliquer le texte à ceux qui ne peuvent le comprendre seuls, et cet acte suffirait à emporter leur adhésion. C’est la négation de l’opinion de l’autre, de ses arguments. Au-delà, c’est la négation de l’autre. Quel mépris ! L’expression « France d’en bas » s’étaye sur la même conception hiérarchisée des rapports sociaux.

La visée d’une pédagogie digne de ce nom est l’autonomie de l’autre. L’acte pédagogique échappe ainsi à celui qui le pose. C’est un acte qui ne s’épuise pas dans sa propre fin puisqu’il cherche à rendre l’autre acteur, et pourquoi pas de ses choix politiques ! Être pédagogue aujourd’hui, ce serait donc tenter de donner les moyens à chaque citoyen de se prononcer librement sur un texte qu’il peut comprendre et de choisir de façon réfléchie. Ce que proposent nombre de dirigeants politiques, c’est de se conformer à leur discours. L’acte pédagogique est entendu ici non seulement comme la maîtrise de l’autre, mais comme une emprise.

Notre rôle est alors de rappeler aux politiques que la pédagogie n’est pas un acte de manipulation et que leur rôle est de défendre des idées et de convaincre. Être « bon pédagogue », ce n’est pas séduire ou remporter l’adhésion, c’est donner à l’autre les moyens de trouver sa voie.