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Le pari de l’éducabilité

Le Microlycée de Paris est une structure de l’Éducation nationale qui accueille des jeunes entre 17 et 24 ans ayant tous connu une période de décrochage scolaire de minimum six mois et qui souhaitent revenir à l’école pour préparer le baccalauréat L ou ES. L’école, un lieu que ces jeunes décrocheurs ou décrochés ont souvent fini par détester. Des élèves témoignent.

Le retour dans les apprentissages est un processus complexe, souvent long et sinueux. L’envie de revenir n’est pas toujours synonyme de retour immédiat et continu ! Le travail de l’enseignant est avant tout de les y aider. Derrière l’objectif de la réussite au baccalauréat, beaucoup de questions se jouent de manière plus fine, en particulier la relation aux adultes et la reconstruction de l’image de soi. Si on demande aux élèves ce qu’ils apprécient au Microlycée, ils pointent toujours en priorité une relation de confiance, un climat apaisé, une aide bienveillante. L’innovation pédagogique est peu mise en avant. Le paradoxe de ces jeunes est qu’ils ont des représentations très tenaces de l’enseignement traditionnel, qu’ils n’ont d’ailleurs peut-être pas systématiquement connu ! Leur première question est de savoir si les enseignants du Microlycée sont bien de « vrais » professeurs. Ils veulent donc de vrais cours mais, en même temps, ne supportent plus ce qu’ils ont rejeté. Un cours magistral d’une heure est impossible ! Mais est-ce possible ailleurs ? Ainsi, les cours de culture et méthode où deux enseignants coaniment autour de la méthodologie, des compétences transversales, sont pour eux déstabilisants (mais comme dans un lycée traditionnel !).

Adhérer au projet des enseignants

Et pourtant, beaucoup de cours sont basés sur des travaux de groupe, des exposés, des recherches, de l’écriture collaborative. Ainsi en lettres, les élèves ont écrit un diner humaniste, ont fabriqué des anthologies de poésie, rédigé une écriture pour un plateau de scène de théâtre, autant de matériaux à inclure dans leur descriptif d’oral pour les épreuves anticipées. Ces démarches sont peu relevées par les élèves. On pourrait poser l’hypothèse qu’une fois en confiance, remotivés et aptes à entrer davantage dans les apprentissages, les jeunes adhèrent au projet pédagogique des enseignants et, finalement, le trouvent banal.

Il faut également ajouter que les enseignants aident les élèves à rattraper les cours manqués. Soit sur une plage horaire imposée, soit par l’outil informatique. Il s’agit alors non seulement d’envoyer ou de poster les documents travaillés en classe, mais aussi de laisser une trace écrite, des pistes de correction pouvant aider l’élève à suivre un minimum le cours. La séance de cours doit être pensée comme un tout, une entité, afin que les absents puissent suivre à peu près normalement le cours suivant.

À l’issue de notre première session de bacheliers en juin 2015, voici des témoignages de deux élèves sur leur perception de leurs deux années dans cette structure, et de trois autres qui sont en terminale cette année. Témoignages souvent émouvants, car ils ont réussi, quand ils étaient convaincus de n’être capables de rien. Donnons-leur la parole pour nous raconter.

Les raisons du décrochage

Margaux : « J’ai passé mes classes de 2de et de 1re L dans un lycée privé catholique. J’y ai rencontré des élèves mal intentionnés qui m’ont prise comme souffre-douleur. J’ai été moquée, insultée, mise à l’écart. Ce n’était, hélas, pas la première fois. J’ai toujours servi de bouc émissaire depuis le début de ma scolarité. Démoralisée par ces élèves, j’ai perdu toute envie d’aller à l’école. »

Mourad : « L’arrivée au lycée fait écho, même aux moins nostalgiques, à de bons, voire très bons souvenirs de jeunesse, où l’on retrouvait plein d’amis en s’en faisant de nouveaux, en découvrant de nouvelles choses sur soi et sur son entourage, dans un cadre plus souple qu’au collège. Eh bien si cet écho était une règle, j’en serai la plus criante exception. Pour moi, l’arrivée au lycée n’a été que stress, déceptions, désillusions, démotivation et solitude. Tous les prétextes étaient bons pour ne pas y aller : maladies, grèves des professeurs, des élèves, grève d’oreiller, réveil enrayé et autres diarrhées explosives. J’étais au moins inventif de ce côté-là. »

Les conséquences

Jackie : « Cette période dura deux ans. Deux ans enfermée entre quatre murs (ceux de l’hôpital ou de ma chambre). Bien évidemment, outre la maladie, ce décrochage forcé a déclenché une forte dépression, je n’avais plus aucun contact avec mes amis, le dialogue était assez compliqué avec ma famille proche, car j’avais le sentiment égoïste d’être la seule à souffrir et que personne ne me comprenait. De plus, je me sentais impuissante et éprouvais une certaine jalousie quand je voyais que les amis avec lesquels j’avais grandi étaient en train de passer leurs examens, préparaient leur entrée en fac, tandis que moi, j’étais bloquée depuis deux ans au même niveau. »

Mourad : « Je me suis progressivement isolé des autres, coupant les derniers liens qui m’unissaient à mes amis du collège. Je passais mes journées à jouer aux jeux vidéos et à regarder la télé, et mes nuits à me morfondre, à cultiver mon hostilité à l’égard du monde entier et ma haine envers moi-même. Après une année quasi complète d’absences injustifiées, et un refus catégorique de mon lycée pour un éventuel redoublement, j’ai passé les pires grandes vacances de mon existence, où je végétais seul dans ma chambre, perdu dans les problèmes insolubles de mon esprit lorsque les jeux vidéos ne les étouffaient pas assez fort. »

Les difficultés à revenir

Mourad : « Mais finalement, après une adaptation longue et difficile, je retrouvai peu à peu gout aux cours au sein du Microlycée, ainsi qu’un rythme de vie socialement acceptable. Me retrouver avec des gens aussi paumés que moi ne m’enchantait que moyennement, mais j’ai fini par leur trouver une forme de charme assez indescriptible. Mais ce qui a été le réel moteur de mon raccrochage, ce n’était pas les joyeux lurons qui me servaient de camarades de classe, et ce n’était pas non plus une lumière divine qui m’aurait éclairé sur l’importance d’avoir son bac aujourd’hui. »

Jackie : « J’avais certes la motivation pour retourner en cours, mais il me fallait aussi une certaine aide que je n’aurais peut-être pas trouvée dans un lycée traditionnel : se lever tous les jours tôt, se coucher tôt, faire partie d’un groupe, écouter des cours, etc. Des choses qui peuvent paraitre simples, mais dont j’avais complètement perdu l’habitude. »

Margaux : « Je ne voulais pas être entourée d’autres élèves, de peur qu’ils me fassent à nouveau du mal. Un lycée normal ne convenait certainement pas. Nous avions envisagé de passer par le CNED (Centre national d’enseignement à distance), puis nous avons fait des portes ouvertes dans des écoles Waldorf-Steiner, sans être convaincus. »

Les points positifs

Elias : « Cette structure est plus qu’un moyen de raccrochage, c’est une aventure. Et chacun la vit à sa façon. L’accompagnement qu’offrent les professeurs au Microlycée est une alliance, un pont entre le jeune un peu perdu entrant et l’adulte en devenir. Il y a un pacte de confiance. »

Olivier : « La détresse, allègrement nourrie d’un sentiment d’incapacité totale, est apaisée directement par la bienveillance de l’équipe pédagogique. Autre élément extrêmement appréciable de la composante Microlycée, le rythme progressif de la réinsertion scolaire, lequel évite une noyade due au découragement direct à la reprise. Je n’ai pas peur d’exprimer mes craintes, de poser des questions, de me tromper, etc. Sans mentionner les nombreuses sorties culturelles, vecteur d’un horizon plus large. »

Jackie : « Mais les enseignants ont su être patients, et ne m’ont pas agressée à chaque fois que j’étais en retard ou absente. Le côté humain est la qualité que j’ai le plus appréciée. »

Mourad : « Avec du recul, je dirais que c’était presque essentiellement la qualité des professeurs qui nous encadraient, ainsi que la proximité qu’ils entretenaient avec nous. Je sentais qu’ils se sentaient plus ou moins concernés par notre sort, et qu’ils s’impliquaient dans notre réussite. »

Margaux : « Cet établissement m’a redonné confiance en moi. J’étais entourée de professeurs à l’écoute, passionnés par leur travail et prêts à nous aider. Et, c’était une première, j’ai réussi à m’intégrer dans le groupe d’élèves et n’ai subi aucune moquerie. Le fait de travailler en petits groupes laisse la possibilité d’échanger, de donner son point de vue, de demander plus d’explications. On fait aussi beaucoup de travaux de groupe, mais les professeurs nous laissent aussi la possibilité de le faire seul le jour où on ne se sent pas capable d’être avec les autres. Il y a aussi un espace de liberté, on nous fait confiance. Si on a besoin de faire des recherches, on peut sortir de la classe pour les faire. La confiance est le pilier de la relation. »

Ingrid Duplaquet
Professeure au Microlycée et au Pôle innovant lycéen de Paris

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Cet article a été publié dans le dossier de notre n°531 – S’embarquer dans les apprentissages

N°531 – S’embarquer dans les apprentissages

Cordonné par Maëliss Rousseau et Céline Walkowiak

Comment embarquer les élèves dans les apprentissages, pour qu’ils aient l’envie et le plaisir d’apprendre ? Comment développer leur implication et leur engagement dans leurs apprentissages ? Certains dispositifs pédagogiques favorisent-ils la motivation et la mobilisation des élèves ? Pour quelle efficacité et quelles exigences ?